Retour en Allemagne de l’Est, avec sa science-fiction si particulière. On s'intéresse cette fois à Die Unsichtbaren (Les Invisibles), premier roman de Günther Krupkat figurant un premier contact extraterrestre…
Retour en Allemagne de l’Est, avec sa science-fiction si particulière. On s'intéresse cette fois à Die Unsichtbaren (Les Invisibles), premier roman de Günther Krupkat figurant un premier contact extraterrestre…
Retour en Allemagne de l’Est et sa science-fiction, avec Günther Krupkat (1905-1990). Auteur berlinois assez prolifique – six romans entre 1956 et 1968 et sept nouvelles –, il a également travaillé comme scénariste, adaptant l’un de ses romans (Das Gesicht, 1958) en un téléfilm ( Das Gesicht, 1962) et signant un scénario original pour un téléfilm de SF de trois heures (Die Stunde des Skorpions, 1968). Mais l’objet de ce billet est le premier roman de Krupkat, Die Unsichtaren, dont le titre pourrait se traduire par « Les Invisibles ».
Nous voici à la fin du mois de décembre de l’an de grâce 1998 : le monde entier retient son souffle au moment de passer en 1999. Un monde divisé en deux : d’un côté, le monde libre, avec l’URSS comme leader ; de l’autre, les derniers États capitalistes, surnommés les Desperados, avec les USA à leur tête et Basil Varone comme leur sinistre éminence grise. Et dans l’espace, les trois stations spatiales Kosmos I, II et III orbitent paisiblement. Deux d’entre elles – Kosmos I et III – sont occupées par des résidents du monde libre ; quant à Kosmos II, elle est détenue par les Desperados. Mais sur Terre, des événements étranges se produisent, comme à Londres, où l’Institut astrophysique reçoit la visite d’un hôte inconnu… et invisible. Au large des Lofoten, c’est un corps étrange, et toute évidence pas véritablement humain, qui a été repêché. Qui est derrière tout ça ? L’une ou l’autre grande puissance ? Ou autre chose ? Ces invisibles semblent avoir à cœur la recherche scientifique. Tandis que les personnages complotent gentiment de leurs côtés, les événements s’accélèrent lorsque les États Unis Socialistes d’Europe lancent deux vaisseaux en direction de la Lune : les curieusement nommés Phobos et Deimos. Or, voilà que les Desperados, vraiment désespérés, tentent de saboter la mission : une explosion dans la salle radio des deux vaisseaux, qui se retrouvent en incapacité de communiquer. Qui pourra leur venir en aide ? C’est une fusée appartenant à Varone qui décolle, et la pilote rebelle à son bord parvient à sauver la situation. Survient alors la rencontre avec une flottille de sphères argentées, qui accompagnent les cosmonautes sur la Lune. Là s’y dresse une cité, elle aussi faite d’argent, et peuplée de créatures humanoïdes dont les spécificités pourraient bien correspondre à celles des mystérieux visiteurs. De fait, le principal interlocuteur des humains est un savant, surnommé Professeur Gamma, qui s’empresse de fournir toutes les explications nécessaires aux voyageurs terriens. Gamma et les siens viennent de nulle part ailleurs que la planète Mars… et en paix.
Une postface de l’auteur conclut le roman. À l’opposé d’un Ludwig Turek mettant en garde le lecteur contre le danger nucléaire et la guerre, Krupkat se contente de désamorcer ses extrapolations : ceci est possible, ceci ne l’est pas et ne provient que de son imagination. Et quant à la vie sur Mars ? Pour savoir, mieux vaut aller voir !
Dans mes précédents billets consacrés à des romans de SF est-allemands, je me plaignais de leurs faiblesses narratives : Die Unsichtbaren ne contrevient malheureusement pas vraiment à cette règle. Si le roman se lit plutôt bien (par opposition à un Ultrasymet bleibt geheim écrit de manière tristement fonctionnelle), les personnages sont relativement anémiques, l’action avance par à-coups, le discours est convenu (évidemment, je me plains avec un recul de soixante ans : vu le contexte de publication, cela n’a rien de surprenant). Et le dernier chapitre, qui voit la rencontre avec les mystérieux « Invisibles » du titre, s’avère précipitée : l’auteur y balance tout en vrac, de la justification des phénomènes étranges causés par les Invisibles jusqu’à la disparition de l’Atlantide. Dommage, il y avait de quoi faire mieux.
Pour un roman d’anticipation situé à la fin du XXe siècle, Günther Krupkat se montre étonnament prudent. Publié quatre années avant le fameux discours de Kennedy annonçant l’intention des USA d’envoyer des hommes sur la Lune, Die Unsichtbaren présente un monde où la colonisation spatiale n’est pas encore allée plus loin que l’orbite terrestre basse ; la Lune est une destination, pas encore atteinte. On pourra s’amuser aussi du fait que les trois stations spatiales portent le même nom, alors que leur construction par des puissances antagonistes supposerait que ce ne soit pas le cas, d’un strict point de vue idéologique. Il est brièvement fait mention des canaux martiens : bien que leur inexistence ait été démontrée dès le début du XXe siècle, il faudra attendre les photos de la sonde Mariner 4 lors de son survol de la planète rouge en 1965. En matière d’imagination, Günther Krupkat se montre quelque peu terne, et ne cherche pas à faire mieux ou différemment que son prédécesseur Kurd Laßwitz . Ses Martiens – petits êtres aux grands yeux, chauves, à la peau pareille à du cuir – vivent égaux entre eux, mais on ne saura malheureusement que peu de choses sur leur mode de vie. Une chose est sûre, ils sont technologiquement très avancés. Si, sur Terre, on utilise la climatisation atomique (« Atom-Klimaanlage ») pour réguler les températures, chose qui permet (par exemple) de maintenir Londres dans un printemps perpétuel, les Martiens, eux, envisagent carrément de décaler leur orbite afin de rapprocher un tantinet leur froide planète du Soleil. Ces petits hommes (presque) verts sont pacifiques, certes : on n’atteint pas l’âge des étoiles sans laisser derrière soi nos instincts guerriers.
Côté politique, contexte oblige, le roman ne verse pas vraiment dans la dissidence : l’Europe entière est unie sous la bannière des États Unis Socialistes d’Europe, dont la capitale est Londres. On n’en sait guère davantage sur la manière dont on est arrivé là, pas plus que sur la situation dans le reste du monde — si ce n’est que les États-Unis d’Amérique demeurent dans la même ornière idéologique capitaliste et destructive. La conclusion ne résout pas grand-chose et laisse la situation en statu quo, tant entre les états terriens qu’entre les relations Terre-Mars. Tout ça pour si peu ? Tant pis.
Die Unsichtbaren est illustré par Hans Rede, de manière gentiment désuète. En voici un florilège :
Introuvable : oui
Illisible : non
Inoubliable : non