Objectif Runes en plus (Bifrost 87)

Critiques |

Un tout bref addendum au cahier critique du Bifrost 87 spécial Jean Ray, où l'on se penche sur une poignée de livres à la frontière des genres qui nous intéressent ou qui ne sont pas parvenus à convaincre complètement la rédaction…

objr87-domino.jpgL'Effet domino

François Baranger - Bragelonne coll. « Thriller » - février 2017 (roman inédit - 570 pp. GdF. 21,50 euros)

Après une incursion remarquée dans le domaine de la SF avec son long, très long, trop long Dominium Mundi, François Baranger, illustrateur et romancier, change de genre et s’attaque au thriller avec L’Effet domino. Un tueur en série assassine de façon horrible à Paris, en 1907 : les cadavres sont atrocement mutilés, les viscères répandus de façon ordonnée, des symboles cabalistiques étranges inscrits tout autour. Or, les victimes sont toutes des proches de célébrités (Camille Saint-Saëns, Claude Monet, Marie Curie). Aussi, le préfet Lépine est-il sur les dents. Et comme l’enquête n’avance pas assez vite, il fait appel, en grand secret, à un inspecteur breton, Philippe Lacinière, connu pour son efficacité, mais, surtout, sa grande droiture. On lui confie aussitôt une équipe réduite et une consigne  : faire vite et discret.

Et c’est parti pour une course poursuite à travers les rues d’un Paris en pleine transformation. L’auteur fait de la capitale du début du siècle un personnage essentiel de son histoire, la décrit avec un plaisir gourmand évident et une certaine finesse – la plus grande réussite de ce récit. À quelques rares exceptions près, on n’est pas devant un catalogue d’exposition ou un guide touristique : cette ville vit, grouille d’habitants, respire, pue, crie, se tait. Elle donne corps à ce duel haletant entre le policier et le meurtrier.

François Baranger, dans L’Effet domino, en dépit de ce que suggère la quatrième de couverture, laisse bien de côté les domaines qui nous sont chers en Bifrosty. En effet, pas une once de fantastique, de weird, dans ce nouveau roman. Mais si l’on n’est pas rebuté par les boyaux et les morceaux de corps, les rebondissements multiples (pas toujours surprenants) et les personnages bien charpentés (mais un brin caricaturaux), alors le tueur aux dominos n’attend plus que vous.

Raphaël Gaudin

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objr87-starpoint1.jpgLe Projet Starpoint T1 : La Fille aux cheveux rouges

Marie-Lorna Vaconsin - Anne Carrière/La Belle colère - mars 2017 (roman inédit - 384 pp. GdF. 19 euros)

Âgé de quinze ans, Pythagore Luchon vit dans la petite ville morne de Loiret-en-Retz, seul avec sa mère : son père, scientifique de renom et spécialiste de physique quantique, est plongé dans le coma depuis trois ans après un vol à l’arrachée qui a mal tourné. Pythagore entame sa classe de seconde mais rien ne va : il a loupé sa rentrée à cause d’une gastroentérite et pendant son absence, sa meilleure amie, Louise Markarian, s’est entichée d’une « nouvelle », Foresta Erivan, la fille aux cheveux rouges. Finie leur belle complicité : Louise n’en a que pour l’intrigante Foresta qui semble l’entraîner dans une vie plus trépidante que celle qu’on peut espérer à Loiret-en-Retz… Jusqu’au jour où Foresta vient trouver Pythagore pour lui dire que Louise a disparu dans un univers parallèle dont elle-même est issue, univers qu’il est possible de rejoindre grâce à un subtil breuvage tiré d’oranges bleues tout en croisant les reflets de miroirs ou de fenêtres. Pythagore se retrouve alors mêlé à la vie des jeunes gens « de l’autre côté du miroir », des Géographes, dans un monde violent qui menace de s’écrouler dans la guerre…

Voilà plusieurs semaines que l’éditeur tente de construire autour de ce premier tome d’une trilogie intitulée « Le Projet Starpoint » l’aura de mystère censée entourer toute œuvre qui bousculera un peu le lecteur assoupi, plus précisément le « jeune adulte », comme on dit, puisque c’est lui qui est visé. Las, votre serviteur n’est ni l’un, ni l’autre, et il n’a pas senti passer le vent de la flèche qui aurait pu venir le frapper. Il est plutôt resté mollement fiché dans son fauteuil, se demandant s’il est nécessaire d’imposer à de vieux adolescents les souvenirs mornes des malaises de l’âge ingrat. Heureusement (?) qu’on ne s’en tient pas à cela et qu’en contrepoint, on trouve aussi dans ce roman le premier amour, le premier baiser, le groupe de rock-metal, le gentil punk à chiens, les substances doucement illicites, l’interro d’éco qu’on n’a pas eu le temps de réviser, le grand benêt de fils de bourgeois, arrogant et auréolé de ses succès auprès des filles, un peu mais pas trop superficielles quand elles sont belles – comme il se doit –, les premières soirées sous les étoiles, les grands un peu bêbêtes et portés sur la bouteille, les adultes empêtrés dans leur solitude, et surtout l’ado lambda, en la personne de Pythagore Luchon, coincé, par un nom dont on ne sait quoi penser, entre le mythe et la médiocrité, le héros et le mec moyen, un univers trépidant et un autre qui se refuse plus ou moins à lui, même si l’aventure, et on n’en doute pas dès le début, passera de l’un à l’autre. D’ailleurs, il n’est question que de passage, initiatique, d’un univers à l’autre, d’un âge à un autre, et d’épreuves tout aussi initiatiques, guerrières pour l’essentiel. Alors on pense à Philip Pullman, bien sûr, et il est même cité en quatrième de couverture. Mais le destin de ce livre sera tout autre : « À la croisée des mondes » fait partie de ces œuvres, comme « Le Seigneur des Anneaux » ou bien encore Watership Down de Richard Adams, qui, toutes écrites qu’elles soient pour un jeune public, entraînent derrière elles tous les âges, du plus tendre au plus affirmé, grâce à leur culture et leur capacité à nous émouvoir, à nous faire bouger. Ici, malgré les sauts incessants d’une réalité à une autre, rien ne bouge, tout est à sa place et c’est bien le problème.

Arnaud Laimé

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objr87-brillants23.jpgLes Brillants T2 et T3

Marcus Sakey
2. Un monde meilleur - Gallimard coll. « Série noire » - février 2016 (roman inédit traduit de l'anglais (USA) par Sébastien Raizer - 432 pp. GdF. 20 euros)
3. En lettres de feu - Gallimard coll. « Série noire » - mars 2017 (roman inédit traduit de l'anglais (USA) par Sébastien Raizer - 384 pp. GdF. 20 euros)

Voici donc la suite et la fin de la trilogie des « Brillants ». C'est en quelques sorte une uchronie où, à partir de 1980, 1% des bébés se sont mis à naître nantis de pouvoir spéciaux. Il ne sont pas des super-héros pouvant postuler chez DC ou Marvel, ils n'ont pas de cape et ne porte pas leur slip par-dessus leur collant. Pas de pouvoirs psi au sens traditionnel du terme. Ce serait Les Enfants de Darwin, chers à Greg Bear, à ceci près qu'ils sont fort différents les uns des autres; leurs capacités sont uniques ou presque. Ils peuvent deviner avec certitude les fluctuations boursières, prédire les pensées et actions d'autrui en interprétant leur langage corporel avec une précisions absolue, prédire tous les schémas événementiels futurs à l'instar d'un joueur d'échec prévoyant plusieurs coups d'avance, se déplacer sans être vu ou percevoir le temps différemment. Qu'il y ait de tels surdoués dans la nature n'est pas du goût de tout un chacun. Cette fois, ce n'est pas juste une religion ou une couleur de peau ! La société à peur des brillants : d'un type capable de rafler 300 milliards de dollars sur les marchés financiers, par exemple. Et les brillants ont peur des 99% de la population qui a peur d'eux. Le DAR, un service pas très secret le plus puissant des USA est chargé d'arrêter ou de tuer les brillants usant de leurs capacités en marge des lois. Tous les brillants ne se valent pas et ceux de niveau 1 font quasiment des miracles. Aussi les enfants de niveau 1 sont-ils déportés dans des « académies », des camps de concentration (pas d'extermination) où on leur lave le cerveau avec force torture psychologique pour les asservir, en faire des esclaves et exploiter à peu de frais leurs talents. Le gouvernement nourri le projet d'implanter des puces à tous les brillants pour les tracer en permanence.

Agent du DAR bien que lui-même brillant, Nick Cooper vient de devenir conseiller du nouveau président des Etats Unis après qu'il ait tué le directeur du DAR, fait tomber l'ancien président corrompu à la fin du tome 1 et réhabilité l'ancien terroriste brillant de génie John Smith.

Cooper entend ménager la chèvre et le chou pour éviter la guerre civile d'extermination qu'il voit se profiler et comprend s'être fait manipuler pat J. Smith. Terroriste un jour, terroriste toujours. Il sait que Smith veut la guerre à outrance parce qu'il à calculer qu'il l'emporterait. Chez les normaux, le conseiller Owen Leahy a pris la suite d e ceux qui ont été éliminés à la fin du tome 1. Le nouveau président a ordonné d'assiéger la réserve de la Nouvelle Canaan, fondée dans le Wyoming par l'ultra-milliardaire Eric Epstein pour abriter les brillants et les soustraire aux pogroms, avec une force très considérable que Leahy lance à l'assaut. Mais la force de 80 000 hommes est anéantie et la Maison Blanche y passe aussi…

C'est une lecture très fluide, très agréable. Les pages tournent toutes seules. On est porté par l'histoire, heureusement. Parce que dès que l'on prend un peu de recul, d'importantes failles ne cessent d'apparaître. On ne cesse plus de se demander pourquoi ci, pourquoi ça. Les réponses, quand il y en a, sont loin d'être satisfaisantes. Pourquoi Epstein, maître de l'information, n'a-t-il pas protéger les 600 enfants exfiltrés d'une académie qui sont pris en otage par la horde de normaux venus liquider la Nouvelle Canaan ? Personne n'y a pensé ? Pas un parent ? Et qu'en a fait la horde après avoir franchi les douves ? Plus un mot. Pourquoi Soren Johansen devait-t-il aussi tuer le bébé d'Ethan ? Pourquoi Shannon laisse-t-elle s'enfuir la personne qui accompagne Smith ?

Cette trilogie restera un excellent divertissement tant que l'on n'y regardera pas de trop près. Il faut la prendre pour ce qu'elle est. Si, sur ce même sujet, on veut lire quelque chose de plus spéculatif, il faudra se porter sur le diptyque de Darwin de Greg Bear. Mais le plaisir de lire sera moindre…

Jean-Pierre Lion

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