Continuons l'exploration de la science-fiction est-allemande. Après le très communiste premier contact de Die Goldene Kugel, place à un récit d'anticipation placé sous le signe de la découverte d'un nouveau matériau révolutionnaire : Ultrasymet bleibt geheim de Hans Vieweg.
Poursuivons gaiement la poursuite de notre exploration de la SF est-allemande après Die Goldene Kugel, avec ce roman de Heinz Vieweg. La bibliographie de l’auteur sur Wikipédia indique qu’il s’agit de son troisième roman : brève bibliographie, comptant six titres répartis entre 1953 et 1958. De fait, Vieweg, né en 1920 (et toujours vivant ?), est l’un des premiers auteurs de science-fiction est-allemand.
Ultrasymet bleibt geheim (que l’on pourrait traduire par « Ultrasymet reste un secret ») a été publié chez Verlag Neues Leben, l’une des plus grandes maisons d’édition est-allemande, au sein de la collection jeunesse Spannend Erzählt (que l’on pourrait traduire par « Écrit avec du suspense »). Une collection dédiée à l’aventure, pas uniquement la SF, et qui a accueilli des auteurs aussi divers que le Russe Ivan Efremov (l’auteur de La Nébuleuse d’Andromède, dont on reparlera à un moment ou à un autre), Walter Scott, James Fenimore Cooper, Jules Verne et son émule Paul d’Ivoi. Je viens d’écrire le mot « SF» : c’est une erreur, Spannend Erzählt n’a rien publié sous le nom de science-fiction. Par contre, des « Zukunftsromanen », des « romans futuristes », oui – comme le présent roman. Science-fiction : le terme forgé par Hugo Gernsback sonnait de manière trop américaine au goût du régime en place, et les éditeurs lui ont préféré différents termes, tels que « Zukunftsroman » ou surtout « wissenschaftliche Phantastik », un « fantastique scientifique » aux tropes différents des productions américaines/occidentales.
Bref. Voyons ce qu’il en est de plus près. Ultrasymet bleibt geheim débute par le journal de bord de l’archéologue Schlüter et de l’échec de son expédition au Sahara – échec retentissant, car Schlüter et un collègue botaniste y laissent leur vie. Ce journal est lu par le professeur Herbert Grant, un an après que les restes de l’expédition ont été retrouvés ; Grant a mis la main sur de mystérieux cristaux bleutés. Soumis aux ultrasons, le professeur découvre que ces cristaux deviennent malléables. Une sorte de fusion froide, mais pas nucléaire. Voilà que se dessine la perspective d’un avenir serein, où cette nouvelle matière, l’utrasymet – comme Ultraschall synthetisches Metall, pourrait remplacer l’acier, dont le monde subit actuellement une pénurie. Sauf qu’Olaf Sören, le Suédois qui dirige le lobby de l’acier, ne l’entend pas de cette oreille. Il dépêche auprès du laboratoire de Grant une espionne, la belle Sonja Janssen. Censée séduire l’un des collègues de Grant, c’est finalement de ce dernier qu’elle s’amourache. Bientôt, des scientifiques algériens rejoignent l’équipe, et quelques temps plus tard, tout le monde se rend dans le Sahara, afin de partir à la recherche de ces fameux cristaux bleus (de la meth cuisinée par Walter White ?). Des incidents se produisent : l’effondrement d’un mur de chantier sur des membres de l’équipe, l’assassinat déguisé en suicide d’une assistante de Grant… De fait, l’équipe grouille de saboteurs – venant tant de l’engeance capitaliste que des cheikhs arabes, persuadés que les Allemands veulent coloniser l’Algérie (alors qu’en fait, ben non, pas du tout). Grant parviendra-t-il à triompher ?
La prose de Vieweg est tristement fonctionnelle ; c’est, au mieux, passable. Les phrases, brèves, se suivent : sujet, verbe, compléments. La dramaturgie n’est pas non plus exempte de faiblesse : nul chapitrage, le roman est un texte d’un seul tenant – tant pis pour les cliffhangers. Des personnages assez fades, un récit qui alterne entre recherche scientifique et aventures un peu exotiques, illustré par les croquis et les aquarelles un brin fadasses de Karlheinz Birkner : rien d’excitant a priori. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que Ultrasymet bleibt geheim est dépourvu d’intérêt.
Dans le monde décrit par Vieweg, peu de détails sont donnés sur le contexte international : tout juste comprend-on que l’Allemagne est unie (plus exactement, il n’est pas fait mention d’une Allemagne divisée), vraisemblablement communiste, et que l’Algérie est désormais une république – à l’époque de publication, la guerre d’Algérie vient tout juste de débuter. Au détour d’un paragraphe (p. 81), on apprend que les ferments de la révolution couvent en France et que l’Angleterre et les USA sont de plus en plus sujets aux troubles. Voilà pour les seules données indiquant une action située dans un cadre futur.
« Grant winkte ab. "Alles halb so schlimm. Der Sieg ist von vornherein auf unsere Seite. Vor Sabotage werden wir uns schützen wissen. Wäre Algerien heute noch eine französische Kolonie und Deutschland ein Land der Konzerne… Ja, dann sähe es wohl anders aus. Dann hieße es ‘Weltmonopol Ultrasymet’. Oder wir, samt unsere Erfindungen, wären zugunsten des Stahl längst verschwunden. Paß auf, vielleicht bekommen wir noch eine verlockendes Angebot von einer kapitalistischen Stahlgesellschaft." » (p. 66)
« Grant fit un geste de dénégation. "Ce n’est pas trop grave. La victoire est d’emblée de notre côté. Nous savons nous protéger des sabotages. Si l’Algérie était encore une colonie française et l’Allemagne un pays de trusts, oui, ça serait tout à fait différent. Ça s’appellerait ‘Monopole mondial Ultrasymet’. Ou nous aurions, avec toutes nos inventions, disparu depuis longtemps en faveur de l’acier. Attention, peut-être recevrons nous encore une offre attrayante d’une société sidérurgique capitaliste." »
Le monde reste donc encore divisé entre communistes et capitalistes. Côté communiste, la société semble rester bien patriarcale : le laboratoire est dirigé par un homme, Grant, et l’équipe est essentiellement masculine ; les femmes sont réduites au rôle d’assistantes. Sonja Janssen, la vile espionne suédoise, a des tendances hédonistes : si elle a des connaissances scientifiques, c’est aussi une artiste, et sa fin sera cruelle. Un brin simpliste, certes. Un schématisme qui se retrouve dans les relations entre les personnages : les Allemands convainquent et triomphent par le dialogue (et à coups d’ultrasons à la fin), tandis que les vilains ont recours au meurtre et à la coercition, utilisent l’extrémisme religieux (on trouve une escouade d’islamistes fanatiques), sans forcément obtenir de résultats probants. Sans oublier que les capitalistes sont incompétents, car incapables de trouver un remède à la pénurie d’acier : la solution provient du monde communiste.
Et scientifiquement ? Ultrasymet bleibt geheim a le mérite de se pencher sur la fusion froide, concept assez nouveau à l’époque et remontant (selon Wikipédia) à la fin des années 40, avec les hypothèses d’Andrei Sakharov et Ilia Frank sur le remplacement des électrons par des muons afin d’effectuer une fusion nucléaire à température ambiante. Près de soixante-dix plus tard, il ne semble pas y avoir eu d’avancée véritable en la matière, et l’expérience pas-super-reproductible de Pons et Fleischmann en 1989 a quelque peu sonné le glas des recherches sur le sujet, qui a rejoint la « mémoire de l’eau » au rang des bullshits. Mais en cette année 1955, Vieweg faisait preuve d’originalité, en remplaçant le nucléaire par des ultrasons. J’ignore à quel point cette méthode possède quelque fond de réalisme ; le soudage par ultrasons existe mais se destine surtout à certains plastiques au point de fusion inférieur à 200° C – et dégage donc un minimum de chaleur, sans parler des ultrasons eux-mêmes, potentiellement nocifs pour l’oreille humaine. Notre auteur ne semble y avoir guère réfléchi, ses scientifiques effectuant leurs recherches sans équipement particulier.
En somme, Ultrasymet bleibt geheim reste témoin d’une époque, un échantillon absolument peu passionnant d’un « wissenschaftliche Phantastik » aux enjeux mineurs. Une curiosité archéologique.