Aller dans l'espace, voyager à des vitesses relativistes, voilà qui est exaltant… mais que se passe-t-il lorsqu'on revient sur Terre ? Dans Retour des étoiles, Stanislas Lem nous raconte le retour sur Terre d'un astronaute après plus d'un siècle d'absence et sa difficile réadaptation à ce monde qu'il ne comprend pas et qui n'éprouve aucun intérêt pour son expédition.
Retour des étoiles [Powrót z gwiazd], Stanislas Lem, roman traduit du polonais par Michel de Wieyska. Denoël, coll. « Présence du futur », 1961 [1979]. Poche, 288 pp.
Poursuivons gaiement notre tour d’horizon des romans de Stanislas Lem, avec un texte paru la même année que le fameux Solaris : Retour des étoiles. Le titre ne ment pas, et là où le premier roman amène son lecteur en orbite autour de cett étrange planète recouverte d’un océan sentient, Retour des étoiles le ramène sur notre Terre. (Dissipons toute ambiguités : Retour des étoiles et Solaris n’entretiennent pas rapports suite/même univers entre eux.)
Hal Bregg était pilote à bord du Prométhée, un vaisseau spatial lancé pour une longue mission d’exploration. Pour les voyageurs, dix ans se sont écoulés, au cours desquels ils sont allés plus loin qu’aucun homme n’a jamais été, au cours desquels ils ont vécu des aventures fortes ou bien tragiques – ceux qui ne sont pas revenus sont nombreux. Mais sur Terre, plus d’un siècle s’est écoulé. Lorsque le roman débute, Hall Bregg débarque sur Terre après un bref séjour à l’Adapte, situé sur la Lune. Quelqu’un est censé l’attendre à la descente de la navette, mais personne ne se pointe. Et Bregg de décider de se prendre en charge lui-même… mais le voilà vite perdu dans une ville qu’il ne comprend pas. Surtout, si personne ne semble savoir qui il est (ça peut se comprendre), personne non plus n’a vraiment gardé souvenir de cette expédition, et le retour du Prométhée a été un non-événement.
« Le fait qu’il ne restait plus une seule pierre de la ville que j’avais laissée en partant était plutôt favorable. C’était comme si je vivais sur une autre planète, parmi d’autres gens. L’autre monde n’existait plus et celui-ci était nouveau. Pas de vestiges, pas de ruines qui remettraient en doute mon âge biologique, je pouvais presque oublier cet âge terrestre, tellement incroyable. » (p. 103)
Ce que Bregg découvre au fil du temps et de ses rencontres, c’est que la société dans son ensemble n’est pas la même : les gens sont plus calmes, moins entreprenants. Un changement qui n’est pas dû à une évolution naturelle de la nature humaine, mais qui s’avère artificiel : un an après le départ du Prométhée, trois scientifiques ont mis au point un procédé chimique, la « bettrisation », qui tempère les gens – les neutralise, même. Non-bettrisé, les cheveux blancs et tout musclé par rapport à ses semblables maigrichons et paraissant éternellement jeunes, Bregg fait figure d’anomalie… de monstre, même.
Comment s’adapter ? Le veut-il vraiment ? Après quelques temps à errer dans la ville et sa géographie étrange, il finit par décider de s’installer dans une villa. Il partage les lieux avec un couple ; ce sera pour l’ancien astronaute l’occasion de découvrir avec la douce Eri que les relations amoureuses ont elles aussi changé. Quelques aspects ont passablement vieilli sous cet aspect-là : Hal Bregg, pour conquérir une femme, la violente un peu afin de l’amener à de meilleurs sentiments.
La communication, encore et toujours. Cette fois, le problème n’est plus de communiquer avec une intelligence autre – que ce soit l’océan sentient deSolaris, la nécrosphère inanimée de L’Invincible, ou les aliens étranges d’Eden –, mais bien avec ses semblables. Dans Mémoires trouvés dans une baignoire, la communication peine à s’établir parce que les couches de sens et le chiffrement des informations s’accumulent jusqu’à l’overdose. Ici, les revenants des étoiles (poke les Strougatski) sont surtout déphasés temporellement ; la société et son langage a évolué, pas eux.
« – Si vous étiez, par exemple, réaliste…
– Mais je le suis, réaliste, l’interrompis-je.
Le docteur eut un sourire.
– Ce mot a une autre signification maintenant. Il désigne un comédien jouant au réal. » (p. 84)
Un problème de communication qui se révèle notamment au travers des dialogues : quand Bregg tente de converser avec ses semblables, c’est à peine si les deux interlocuteurs parviennent à former des phrases complètes. L’un commence à parler, l’autre croit comprendre et le premier s’arrête : l’espace d’un instant, tous deux imaginent comprendre les non-dits mais en fait, pas du tout. Et Bregg a vécu tant de choses dans l’espace… Il a besoin d’en parler, de s’épancher au sujet des camarades qu’ils ont perdu. Mais à quoi bon ? Car les membres de ce futur doux et lissé ont perdu tout intérêt pour la conquête spatiale.
Après tout, peut-être la solution à la survie de l’humanité réside-t-elle, dans la tempérance de ses ardeurs ? Le monde futur que décrit Lem a tout de l’utopie, l’homme vit en paix avec lui-même et avec la nature. Mais on peut également y voir une prémonition de notre société : en dépit des rodomontades d’Elon Musk et consorts, en dépit de l’enthousiasme passager suscité par les sondes Juno, New Horizons, Rosetta ou Curiosity, nous sommes davantage préoccupés par nos nombrils (et nos smartphones) que par les étoiles. Rien n’indique toutefois que la société pré-bettrisation ait été au bord de l’effondrement.
Sous certains aspects, on peut rapprocher Retour des étoiles du Meilleur des mondes, l’auteur polonais décrivant une société future aseptisée, où les gens mènent une vie d’abondance autant que lénifiante, la bettrisation étant semblable au soma d’Huxley.
Néanmoins, en dépit de ses points intéressants, Retour des étoiles peine à être pleinement convaincant. Lem en est conscient, et, dans l’Avertissement de l’auteur qui introduit La Voix du maître, il livre un bref commentaire à son sujet :
« [un roman] qui se veut être un "avertissement en matière de civilisation", et que je n’ai pas réussi aussi bien que j’aurais pu le souhaiter. »
Effectivement. La première moitié, montrant un Hal Bregg aux repères atomisés, est la plus réussie. La seconde moitié tire en longueur, jusqu’à une épiphanie finale pas inintéressante, mais qui arrive tardivement, au termes d’atermoiements agaçants.
En définitive, pas le roman de Stanislas Lem le plus intéressant. Mais pas de quoi le dédaigner si d’aventure vous tombez sur un exemplaire d’occasion.
Introuvable : oui (occasion)
Illisible : non
Inoubliable : non plus