Où l'on s'intéresse à Momus, obscur avatar de David Bowie. Musicien, le bonhomme est aussi écrivain et son premier livre publié, le présent Book of Scotlands, présente une collection d’Écosses alternatives.
Où l'on s'intéresse à Momus, obscur avatar de David Bowie. Musicien, le bonhomme est aussi écrivain et son premier livre publié, le présent Book of Scotlands, présente une collection d’Écosses alternatives.
Dans la mythologie grecque, Momus est la fille de Nyx, la nuit, et est la déesse du sarcasme. Sur notre plan de réalité, Momus a acquis une existence des plus concrètes, sous la forme d’un musicien-écrivain écossais, sorte d’avatar obscur de David Bowie.
Les points de convergence, et de divergence totale, entre les deux artistes sont nombreux, qu’on en juge : les deux portent un pseudo – Robert David Jones pour l’un, Nicholas Currie pour celui qui nous intéresse – ; Momus est écossais tandis que Bowie était un anglais, expatrié aux USA depuis longtemps ; Bowie a sorti vingt-six albums – Momus une trentaine, dans l’indifférence quasi-générale ; Bowie avait les yeux vairons – Momus est borgne. Bowie était le pape de l’art-pop – Momus est, aux yeux du Guardian, le « David Bowie de l’art-pop underground » (une définition que Momus affiche avec autant de fierté que d’ironie sur la page d’accueil de son site). Et Momus est encore en vie, ouf.
Pour ma part, ma découverte de l’artiste remonte à début 2013, lorsque David Bowie, après dix ans de quasi-silence, a lancé « Where Are We Now ? » en éclaireur pour son solide come-back The Next Day. « Where Are We Now ? » est une mélancolique chanson revenant sur son fameux séjour berlinois, à laquelle Momus a répliqué dans la foulée avec un remix hanté, au moins aussi bon que l’original. Quand Bowie a annoncé la sortie prochaine du single « The Stars are out (tonight) », l’Écossais a choisi de surfer sur le succès de son remix et a mis en ligne, deux semaines avant la publication officielle du titre de Bowie, une reprise par anticipation de la chanson – en d’autres termes, les deux chansons n’avaient en commun que le titre. Par la suite, Momus a enregistré un album de reprises de celui qui fut Ziggy Stardust : Dybbuk (2015). Mais cela nous éloigne du pendant littéraire de l’œuvre de Momus…
Book of Scotlands est le premier livre de Momus. Remarquez le titre, Scotlands et pas Scotland : le livre affiche en lettres plus grosses que le titre son slogan, « Every lies creates a parallel world. The world in which it is true. » Ce « Livre des Écosses » nous propose plus ainsi de cent soixante Écosses imaginaires, dans des textes qui, en termes de taille, vont de la vignette tenant en trois lignes, à la nouvelle s’étalant sur trois pages.
Pour vous donner le ton, voici quelques extraits choisis parmi les textes (ultra) brefs :
« Scotland 164. The Scotland in which four hundred years of profound influence from Calvin is replaced by four hundred years of profound influence by Calvino. »
« Scotland 145. The Scotland in which there is no repetition. No two houses are alike, nobody has the same name as anybody else, there is no habits. Every television show is seen just once, and no website visited twice. If you’ve used a word before, you have to make up a new one. »
« Scotland 97. The Scotland in which the monarch is Aslan et the glen is Narnia. »
« Scotland 117. The Scotland millions of Canadians, Americans, Australians and New Zealanders sail toward annually in the hope of finding a better life. Many perish in the attempt.»
« Scotland 76. The mist-filled Scotland in which people chant Hugh McDiarmid poems over Side Two of David Bowie’s Low. »
David Bowie : on évoquait plus haut la relation quasi-fusionnelle qu’entretient Momus avec le Thin White Duke. De fait, celui-ci apparaît dans plusieurs des short short stories du Book of Scotlands. On notera en particulier « Scotland 109 » où Momus imagine que le chanteur, cocaïné à mort, fuit Los Angeles pour gagner Édimbourg au lieu de Berlin en 1977, où il enregistrera une trilogie d’albums qui formeront le pinacle de sa carrière. Dans « Scotland 137 », Bowie devient, un temps, dictateur du Royaume-Uni, avant qu’on le chasse suite à la parution du décevant album Tonight… Mais il n’y en a pas que Bowie : dans « Scotland 31 », Momus s’intéresse cette fois à Tricky (dont le surnom signifie « sournois, fourbe »), l’un des membres fondateurs de Massive Attack, renommé ici Tricksy (« espiègle »). Et l’espièglerie est bien le maître mot de ce livre. Savoureux pour qui apprécie Bowie (ou Massive Attack).
Bref. Ce recueil de variations sur un thème imposé va au-delà de simple clin d’œil amusés (et amusants). Tandis que les vignettes font la part belle au bon mot et à l’absurde, Momus prend le soin de développer des historiettes sur les textes plus longs, volontiers ironiques voire féroce. Tel « Scotland 116 », qui se présente comme un guide de survie à l’usage des employés étrangers (anglais ?) mutés en Écosse, guide prenant d’expliquer que les indigènes sont rustres, paresseux voire primitifs, mais pas méchants pour autant. Inversement, « Scotland 162 » tient du conte et « Scotland 109 » (déjà évoquée au paragraphe ci-dessus) relève de l’uchronie. De nombreux textes s’avèrent critiques, tant envers les Anglais que les Écossais eux-mêmes. Pour qui s’intéresse à l’Ecosse (ou à Momus, soyons fous), ce recueil est indispensable.
Par la suite, Momus a publié Book of Japans, qui, sur la forme, ne semble ne pas avoir grand-chose en commun avec Book of Scotlands – à cela que les deux livres sont parus dans la même collection. Dans ce nouveau livre, il y est question de douze Écossais effectuant un voyage temporel et débarquant au pays du soleil levant…
Peu connu dans l’Hexagone, Momus a vu toutefois deux de ses livres bénéficier d’une traduction en français : Le Livre des blagues (Book of Jokes, 2009), publié chez La Volte, et UnAmerica (UnAmerica, 2014), chez le Serpent à plumes. Ce dernier s’attache à raconter le périple d’un Américain, à qui Dieu demande d’effectuer le voyage de saint Brendan, à l’envers, afin de désinventer les USA – drôle quoique inégal et foutraque.
Foutraque, inégal, mais terriblement attachant, cela s’applique aussi à Momus.
Introuvable : pas facile
Illisible : non
Inoubliable : oui