« These were the most paranoid people I ever met. »
C’est peu dire que les Lone Gunmen font partie de l’ADN de X-Files : c’est lors de la première saison que le trio formé par John Fitzgerald Byers, Richard Langley et Melvin Frohike fait sa première apparition, et au cours de la neuvième qu’il effectuera la dernière (si l’on omet le très bref caméo dans l’épisode 5 de la saison 10). Au cours de l’épisode-complot Entité Biologique Extraterrestre, Mulder a besoin d’aide et présente donc cet improbable trio à Scully – ainsi qu’au spectateur.
Paranoïaques et complotistes jusqu’au bout des ongles, Byers, Frohike et Langly s’avèrent tous trois fort timbrés. On les aperçoit à l’écran que le temps de deux scènes mémorables, qui assurent au trio une popularité certaine. Destinés à n’être les sidekicks que d’un unique épisode, ils vont devenir des personnages récurrents qui épaulent Mulder et Scully dans leurs enquêtes, leur assurant un support technique indispensable – Langly étant censément un hacker hors-pair.
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« No matter how paranoid you are, you're not paranoid enough. »
Aussi, rien d’étonnants à ce que le trio bénéficie bientôt de sa propre origin story : ce sera Les Bandits solitaires ( Unusual Suspects, troisième épisode de la saison 5 de X-Files). L’action des Bandits solitaires se situe en mai 1989 : John Fitzgerald Byers travaille alors à la Federal Communication Commission. Lors d’une convention dédiée au matériel électronique, il tombe sous le charme de Holly Modeski, belle blonde éplorée à la recherche de sa fille et poursuivie par son ex psychotique. Byers est bientôt secondé par Melvin Frohike et Richard Langly, deux vendeurs de matériel audiovisuel, hackers à leurs heures perdues. Il s’avère que l’ex psychotique n’est autre que Fox Mulder, agent du FBI alors assigné à l’unité des crimes violents, et que Holly Modeski n’est peut-être pas la femme qu’elle prétend être…
Narré par Byers à l’inspecteur John Munch (on parlait de crossover x-filienpar là mais ce personnage est un crossover à lui-seul), cet épisode raconte donc la rencontre de Fox Mulder avec ceux qui ne se nomment pas encore les Lone Gunmen, autour d’une intrigue voyant s’échaffauder un sinistre complot gouvernemental. Bien entendu, à condition que le rapport de J.F. Byers soit véridique : les narrateurs et les informations non-fiables sont légion dans X-Files ( par exemple). De plus, la paranoïa de Fox Mulder semble trouver ici son origine, plus encore qu’avec l’abduction de sa sœur. Une réussite.
Si l’affaire Susanne Modeski a trouvé une première conclusion dans Les Bandits solitaires, dix ans intradiégétiques plus tard, l’épisode Brelan d’as (Three of a kind, vingtième épisode de la saison 6) boucle les fils. Byers traîne Langly et Frohike aux conventions de toute sorte, dans l’espoir de retrouver celle pour qui il a toujours le béguin. Justement, alors que le trio assiste à une convention à Las Vegas, dans le but de soutirer des informations, Byers croise Susanne. Ou du moins, le croit-il. Via un ami/concurrent, Jimmy le Geek, les Lone Gunmen apprennent qu’une prochaine conférence devrait apporter des informations sur de nouvelles et terriblement efficaces méthodes d’assassinat. Y aura-t-il un rapport entre la présence supposée de Susanne Modeski et cette conférence ? Pour ce faire, le trio débauche Dana Scully.
Un épisode sympathique, miroir du précédent : Mulder en est totalement absent, remplacé au pied levé par Scully. Gillian Anderson se retrouve à jouer une partition amusante, lorsque son personnage se retrouve drogué et plongé dans un état second. Pour le reste… eh bien, c’est un épisode des plus sympathiques, peut-être un brin anecdotique et moins bon que Les Bandits solitaires.
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Deux ans plus tard, les Lone Gunmen obtiennent leur propre série, spin-off de X-Files. La question était : l’inénarrable trio parviendrait-il à assurer ? Réjouissants en sidekicks paranos de Mulder et Scully, qu’allaient-ils donner, livrés à eux-mêmes ?
Créée par Chris Carter, Vince Gilligan, John Shiban et Frank Spotnitz, la série a été diffusée au printemps 2001 sur la Fox. Mark Snow en signe la musique, avec un thème principal moins atmosphérique, plus rock et gouaillard que X-Files. Moins atmosphérique, le générique l’est aussi, en reprenant les conventions des génériques de l’époque – et vas-y que je tourne la tête…
L’épisode pilote commence par une opération digne de Mission Impossible : tandis que Langly fait le mariolle lors d’une convention, Frohike, aidé par Byers, joue les acrobates pour dérober un processeur ultra-puissant. Mais une hackeuse, Yves Adele Harlow (un anagramme de Lee Harvey Oswald), aussi sexy que douée, les coiffe au poteau. Dégoûtés, les trois hackers ruminent leur peine, lorsque Byers apprend le décès de son père. Un décès qui s’avère suspect… ça conspire à fond !
Mine de rien, le 11-Septembre est préfiguré, avec six mois d’avance, dans ce pilote diffusé en mars 2001 : une faction occulte au sein du gouvernement américain prévoit de faire s’écraser un avion sur le World Trade Center… Troublant, mais voir autre chose qu’une triste coïncidence serait devenir aussi complotiste que nos héros.
« I know you and your friends are fighting for the American dream. Just don’t expect to win. »
Si le pilote s’avère un épisode agréable à regarder, il faut bien vite déchanter avec la suite. On peut légitimement s’attendre à une série à l’ambiance lourde et paranoïaque, une version de X-Files débarrassée de l’élément surnaturel… mais il n’en sera rien. Ne faites pas confiance à la pochette du DVD, qui clame fièrement son sous-titre : « Au cœur du complot ». Le complot est ailleurs, sûrement au même endroit que la vérité.
Bref, dans son bunker, quelque part au Maryland – un foutoir rempli de matos électronique –, le trio édite tant bien que mal sa feuille de fou, The Lone Gunman. Trio, les Lone Gunmen ne vont pas le rester très longtemps : dès le deuxième épisode, la donne est changée. Lors d’une mission, Byers, Frohike et Langly croisent le chemin d’un coach de football américain, qui entraîne une équipe d’aveugles : Jimmy Bond. Le jeune homme, aussi enthousiaste que crétin, et habité par le même patriotisme que Byers & co, est bombardé « stagiaire » du trio, et sa fonction devient celle d’élément comique de la série. S’il y a une bourde à ne pas faire, Jimmy la commettra quand même.
La redoutable hackeuse Yves Adele Harlow est elle aussi de tous les épisodes. Hackeuse aussi sexy que redoutable, volontiers moqueuse (« Conspiracy theories and masturbation. I suspected there was a connection. »), elle sauve systématiquement la mise aux Lone Gunmen, tout en empochant la monnaie et le résultat de leurs efforts. Les personnages de Jimmy et Yves évoluent peu à peu au fil des épisodes, le premier se révélant avoir plus de jugeote que Byers, Frohike et Langly, la seconde gagnant tardivement en profondeur, en particulier dans Le Dernier Tango à Miami ou Romeo 61. Si Byers, Frohike et Langly bénéficient chacun d’épisodes détaillant un tant soit peu leur passé, ils ne changent guère au cours de la série : Byers demeure le type normal un peu coincé, Langly le hackeur geignard et Frohike le baroudeur du groupe. Leurs attitudes et réactions restent des plus prévisibles jusqu’à la lassitude.
Quant au contenu des épisodes, ils nous éloignent donc du complot cher à Mulder. L’épisode 3, L’Empoisonneuse d’Alsace, nous montre le trio à la recherche d’une ancienne sympathisante nazie ; dans l’épisode 4, De l’eau dans le carburateur, c’est le prototype d’une voiture fonctionnant à l’eau qu’il s’agit de retrouver avant une grosse entreprise automobile ; Trois hommes et un bambin, cinquième épisode, possède un titre qui indique grosso modo les enjeux, sur fond de campagne électorale… L’épisode 7, La Planète des Frohikes, voit le trio se faire duper par un chimpanzé des plus intelligent. Il faut attendre l’épisode 11, Jeux de menteurs, pour que les Lone Gunmen croisent le chemin de Walter Skinner… et interfèrent son enquête avec leur maladresse habituelle. L’épisode final (quoique ayant été diffusé sur la Fox en avant-dernière position, allez comprendre), Romeo 61, ramène Morris Fletcher, un Man In Black, aussi insupportable que roublard, déjà aperçu dans le double épisode desX-Files Zone 51 (S06E04-05) et entraperçu dans Brelan d’as, ainsi que Kimmy, le frère de Jimmy le Geek assassiné dans ce même Brelan d’as – sans oublier un sympathique caméo de Fox Mulder.
Avant d’atteindre les derniers épisodes, il aura fallu ainsi se fader une dizaine d’épisodes relativement médiocres, fonctionnant sur un schéma similaire : les Lone Gunmen enquêtent ; Jimmy fait des gaffes ; Yves intervient. La série ne brille guère par son humour, à peine au-dessus du niveau pipi-caca ; à ce titre-là, L’Empoisonneuse d’Alsace est un modèle d’humour puéril – l’un des enjeux est que Frohike vérifie si la vieille dame, pour le fils de laquelle il se fait passer, possède bien une tache de naissance sur les fesses. Avouons-le, on s’attendait à autre chose. Abandonner le ton globalement sérieux des X-Files est un choix compréhensible – ce spinoff se devait sûrement d’avoir un ton propre –, mais la série a débuté sur un malentendu, avec le très x-filien pilote, et la suite n’a jamais vraiment décollé, le cocktail d’humour et d’espionnage échouant à faire mouche.
Les spectateurs n’ont pas suivi les Lone Gunmen dans leurs aventures (et ça se comprend), au point que la série a été annulée au milieu de sa première saison. C’est ballot, quand le treizième épisode, à l’ambiance un un peu plus sérieuse qu’à l’accoutumée, s’achève sur un vilain cliffhanger. « To be continued » affiche l’écran. Bien essayé, messieurs les showrunners, mais raté.
Le trio a fait son retour un an plus tard, en 2002, au cours de la saison 9, avec l’épisode N’abandonnez jamais (Jump the shark). Morris Fletcher, aussi combinard que d’habitude, est interrogé par les agents Reyes et Doggett, à qui il affirme que Yves Adele Harlow a été transformée en super-soldat. On comprend que la hackeuse a disparu depuis Romeo 61 et que Jimmy Bond s’est lancé à sa recherche ; quant aux Lone Gunmen, ils ont épuisé leurs maigres économies dans cette quête vaine, arrêtant la publication de leur magazine.
Pour qui n’a pas suivi la série, cet épisode semblera sûrement nébuleux, même si les scénaristes prennent soin de présenter Jimmy et Yves, et de résumer les événements de The Lone Gunmen. Mais N’abandonnez jamais s’achève d’une manière frustrante. Spoiler :Sélectionner le texte pour le faire apparaître. sérieusement, tuer le trio d’une manière aussi lamentable, il n’y avait pas mieux à faire ? Les Lone Gunmen sont étroitement liés à la présence de Mulder, et se débarrasser de ces personnages dans un épisode dont Mulder est absent et où Scully se contente d’une apparition finale a quelque chose de désinvolte. Un dénouement regrettable : en dépit d’un spinoff médiocre, les Lone Gunmen méritaient mieux.
Avant la récente saison 10, X-Files avait déjà connu des saisons 10 et 11, sous la forme d’un comics. Les Lone Gunmen y sont de retour, avec une bonne raison pour l’être, mais la mini-saison diffusée début 2016 semble entériner la conclusion de N’abandonnez jamais.
Personnages secondaires truculents de X-Files, les Lone Gunmen ont fait le sel de la série mais leurs aventures en solo (enfin, en trio (enfin, en quintet plus exactement)) n’ont pas réussi à convaincre, faute de qualité. Dommage.
« We never gave up, we never will. In the end, if that's the best they can say about us, it'll do. »