La popularité d’une œuvre se mesure également avec ce qu’elle engendre par la suite, que ce soit séquelles, remakes ou parodies. Et de ce côté-là, on va le voir, le Rocky Horror Picture Show est modestement servi — mais avec quel bonheur ?
La popularité d’une œuvre se mesure également avec ce qu’elle engendre par la suite, que ce soit séquelles, remakes ou parodies. Et de ce côté-là, on va le voir, le Rocky Horror Picture Show est modestement servi — mais avec quel bonheur ?
En matière de suites, le Rocky en a connu deux, dont une seule a finalement atteint les écrans.
En 1981, Jim Sharman et Richard O’Brien ont donné une suite au Rocky Horror Picture Show, Shock Treatment. Néanmoins, seule une partie du casting du RHPS a répondu à l’appel : Tim Curry (refus), Barry Botswick (indisponible) et Susan Sarandon (trop gourmande) en sont notoirement absents — mais les autres sont là, à savoir Richard O’Brien (forcément), Patricia Quinn, Nell Campbell et Charles Gray. Shock Treatment : avec un tel titre qui claque, le long-métrage allait-il être à la hauteur du film originel ?
L’histoire se déroule quelque temps après les événements du premier film. Désormais mariés, Brad et Janet Majors vivent à Denton, cette charmante petite ville américaine. Depuis peu, l’entière population semble vivre dans les studios de DTV, la chaîne de télévision locale passée sous la coupe d’un riche homme d’affaire, Farley Flavors. Les habitants sont soit simples spectateurs, soit figurants, soit techniciens voire animateurs. Un jour, Brad et Janet sont invités sur le plateau de l’émission Marriage Maze, présentée par Bert Schnick, un excentrique animateur censément aveugle. Les choses se déroulent moyennement bien, Brad voyant sa cote de popularité dégringoler. Le voilà bientôt emmené en fauteuil roulant dans l’annexe psychiatrique voisine, où les docteurs Cosmo et Nation McKinley vont prendre soin de lui.
Enfermé dans une camisole, attaché à son fauteuil roulant, le tout dans une cage, le pauvre Brad ne risque guère d’aller mieux. Les tentatives de Janet pour revoir son époux sont sans cesse repoussées par les frère et sœur McKinley, et Farley Flavors convainc la jeune femme d’endosser une carrière d’animatrice ; Janet hésite mais cède, et acquiert une popularité soudaine dans son rôle de diva. Parviendra-t-elle toutefois à libérer Brad ?
*
Shock Treatment s’avère un étrange objet filmique. Le changement de casting passe plutôt bien : depuis le Phantom of the Paradise de Brian de Palma, où elle tenait le rôle de Phoenix, Jessica Harper avait prouvé qu’elle savait (bien) chanter (que serait le film sans sa voix grave et mélancolique ?), et sa prestation parvient à faire oublier les regrets que l’on éprouve à ne pas voir Susan Sarandon. Cliff De Young interprète doublement Brad Majors et Farley Young, mais sans faire d’étincelles. Dans le rôle des frère & sœur bizarres, Richard O’Brien et Patricia Quin sont égaux à eux-mêmes ; idem pour Charles Gray, non plus criminologiste mais juge (oh, c’est un peu la même chose). En revanche, Nell Campbell est méconnaissable dans sa tenue d’infirmière sexy.
Musicalement, Shock Treatment surprend aussi. Une quinzaine de chansons émaillent le film : si aucune ne possède la même immédiateté que « The Time Warp » ou « Hot Patootie (Bless My Soul », elles s’avèrent toutes cependant très plaisantes au fil des écoutes, dans une tonalité bien plus rythmée que les chansons du RHPS. « Me of Me », où Janet fait son show, pastiche le « Call Me » de Blondie (en incluant aussi une phrase ou deux en français).
À sa sortie, Shock Treatment s’est sévèrement planté, tant auprès du public que des critiques. Au moins autant que le RHPS. Par malheur, le temps n’est pas parvenu à lui accorder un statut culte, chose d’autant plus dommage que Shock Treatment n’est pas un mauvais film. En fait, c’est même un bon film, à la réalisation plus assurée que le Rocky Horror Picture Show, et qui a pour qualité de ne pas ressembler au Rocky Horror Picture Show. Enfin, une qualité qui s’avère sûrement un défaut : ceux qui s’attendent à un Rocky Horror 2 ont été ou en seront pour leurs frais. Shock Treatment s’attaquant à d’autres thématiques. Adieu le travestissement, les questions de genre et l’hommage amusé à la SF des années 50 ; Shock Treatment nous montre une autre bande d’aliénés, fourre dans un même sac téléréalité, consumérisme et psychiatrie, dans une satire des années Reagan.
Bref, Shock Treatment est une vraie-fausse suite injustement sous-estimée et qui mériterait d’être réhabilitée.
À la fin des années 80, Richard O’Brien s’est penché sur le projet d’une deuxième suite au Rocky Horror Picture Show: The Revenge of the Old Queen.
« Let me take you to a place of seduction
Where hearts are light because it's night all day
(…)
Stay vain in Transylvania
Stay sane in Transylvania
Remain in Transylvania »
La Vieille Reine du titre, qui ressemble à « une sosie d’Elizabeth Taylor noyée depuis une semaine ou deux », n’est autre que la mère de feu Frank N. Furter. Brad est devenu go-go-dancer cul-de-jatte à Las Vegas puis est mort ; Janet cuve son chagrin dans l’alcool… En réaction aux avis mitigés sur Shock Treatment, The Revenge of the Old Queen se concentre sur Riff Raff. Devenu général sur Transylvania, l’ancien majordome culpabilise quelque peu, non pas tant pour avoir assassiné Frank N. Furter mais pour avoir aussi occis sa sœur Magenta : la première scène le voit pleurer sur son cercueil de la défunte. Mais le voilà bientôt chargé d’une mission : la Vieille Reine veut qu’il retourne sur Terre afin de retrouver Frank… Quant à Steve Majors, agent du FBI spécialisé dans les ovnis, il tente de comprendre ce qu’il est advenu de son grand frère Brad quinze ans plus tôt, et découvre qu’une communauté de Transylvaniens réside sur Terre. S’ensuivent imbroglios et quiproquos, l’histoire s’achevant sur un improbable détournement de La Chose d’un autre monde (1951) :
« Keep watching the showers ! »
Ce Rocky Horror Picture Show part 2 n’a jamais été plus loin que le scénario, et à défaut de voir un jour le film se concrétiser, on peut toujours en lire le premier jet du script.
Vous connaissez sûrement la Règle 34 de l’internet, qui formule plus ou moins en ces termes : « Si ça existe, il en existe une version porno. » (Son corollaire est la règle 35 : « S’il n’y a pas de version porno, ça ne saurait tarder. ») La seule exception à la règle 34 étant la règle 34 elle-même, le Rocky Horror Picture Show n’y échappe pas – le contraire aurait été franchement surprenant –, et il existe (au moins) deux versions porno du film.
Le titre de ce film porno de 1986 annonce la couleur. Tammy et Tommy (franchement, faire un effort pour les noms, c’était de trop ?), un jeune couple nouvellement marié se retrouve (comment ? pourquoi ?) dans la demeure de Mistress Tantala, qui vit là avec ses compatriotes de Sexsylvania (forcément), répondant aux noms évocateurs d’Eros, Priapus, Venus ou Pandora.
Tammy : Tommy, I need to talk to you. I want to go home.
Tommy : Why?
Tammy : The food looks awful, these people are freaky and I'm so horny I can't stand it.
Et puis… eh bien, ils baisent. Que voulez-vous, c’est un film porno. Mais moche. Comme le dit Gene Chiovari ( grand fan du Rocky devant l’Éternel), ce Rocky Porno Video Show se résume à « ugly people having ugly sex under ugly lighting », avec son lot de scènes improbables (il y a plus d’une manière de souffler une chandelle).
Malheureusement, dans le genre, celui-ci peine à susciter quelque afflux sanguin du côté de l’entrejambe. Surtout, il ne fait pas grand-chose de sa thématique Rocky : les costumes et maquillages ne ressemblent guère au film dont il s’inspire, et le seul lien véritable s’avère le titre. Bref, une pornoparodie franchement dispensable… (Mais si vous voulez vous brûler les rétines, des extraits sont visibles par là.)
Plus proche de nous dans le temps, une nouvelle version porno du film de Jim Sharman a vu le jour en 2011. Pour le coup, il s’agit moins d’un film surfant mollement sur le Rocky Horror Picture Show qu’une véritable parodie pornographique, comme le titre l’indique fort justement.
Le générique reproduit celui du film originel, où nom des acteurs et de leur personnages apparaissent dans une typographie ensanglantée. Si Brad, Janet et Eddie demeurent tels quels, Frank N. Furter devient Frank N. Beans, ses serviteurs sont Stiff-Staff (« bâton raide ») et Vagina au lieu de Riff-Raff et Magenta, et la groupie Columbia s’excite en Euphoria. Quant à Rocky Horror, le voilà mué en Rocki Whore. Enfin, l’histoire est narrée, non par un Criminologue, mais par un « Pornologist »…
Tout commence par une nuit sombre et orageuse. Au volant de sa voiture, Brad peine à rassurer Janet, qui s’inquiète de n’avoir qu’un seul partenaire sexuel au cours de sa vie. Puis le GPS annonce obligeamment aux jeunes mariés qu’ils sont perdus au milieu de nulle part. Ce sur quoi Janet commence par faire une fellation à Brad, afin de passer le temps. Quittant leur véhicule, ils se dirigent vers le manoir tout proche, dans le but d’y passer un coup de téléphone. Ils y sont accueillis par l’inquiétant Stiff-Staff, qui annonce au couple qu’il fera l’affaire. Bientôt voilà Brad et Janet introduits auprès de Frank N. Beans…
« Brad : They’re making a p… p… pornographic movie ! »
Frank : Yes, we are… »
Après quoi, Vagina et Euphoria se papouillent (pour dire les choses chastement), sous la caméra de Stiff-Staff, le regard ébahi de Janet et celui, plus intéressé, de Brad. Une fois la scène bouclée, Frank convie tout ce beau monde au laboratoire, où il donne à la vie à Rocki (avec un « i », oui), qui n’est non plus un Muscle Man, mais une pornstar.
Par rapport au Rocky Porno Video Show, The Rocki Whore Picture Show redresse le niveau. Le film se veut comme un véritable remake porno, non comme une simple resucée parodiant un titre connu. L’histoire reprend assez fidèlement la trame du film de Jim Sharman, et costumes comme décors sont reproduits avec un luxe de détails (la troupe de fans Sins of the Flesh ont apporté leur soutien à la préparation du film). Et Mac Hunter, dans le rôle de Frank N. Beans, s’avère le plus convaincant du casting – pour le reste, c’est jeu plat et seins refaits.
Sans oublier une poignée de chansons, détournant (sans surprise) lubriquement les paroles des originelles. Le refrain du « Time Warp » devient ainsi « Let’s do an orgy again ». Des reprises aux orchestrations un peu cheap, chantées en playback par des acteurs peu doués en la matière – on retiendra surtout l’effort fait de coller au film originel.
Là où The Rocki Whore Picture Show pèche, c’est dans les actes sexuels en eux-mêmes. Le film reste tranquillement dans les clous du mainstream : relations hétérosexuelles ou lesbiennes – pas de scènes gays. Trente-cinq plus tôt, le Rocky Horror Picture Show nous montrait pourtant un Frank N. Furter qui assume fièrement sa bisexualité ; ici, ça ne va pas plus loin qu’un vague flirt entre Brad et Frank. Certes, le Rocki Whore Picture Show ne s’adresse pas aux fans hardore du Rocky Horror en premier lieu, mais plutôt à un public consommateur de porno. Une absence de prise de risque que l’on ne peut que regretter, la transgression n’ayant guère droit de cité.
Retour à des choses beaucoup plus sages… voire trop sages, si l’on regarde l’hommage rendu par la série Glee au Rocky Horror Picture Show et si l’on examine les régulières rumeurs de remakes.
En 2009, la série TV Glee a entrepris de rendre hommage au Rocky Horror Picture Show dans le cinquième épisode de sa deuxième saison.
Tout commence avec le professeur de chant William Schuester qui décide de monter le Rocky Horror Show avec le Glee Club, tout cela dans le but inavoué d’essayer de reconquérir Emma Pilsbury, la conseillère d’orientation, fan de ce spectacle qui l’a aidé à surmonter ses TOC. Certes, ledit spectacle est plutôt NSFS (not safe for school), et Schuester sait qu’il faudra l’amender, voire le caviarder. Chose à laquelle va s’employer la coach des cheerleaders, Sue Sylvester, également animatrice télé, que deux managers de la chaîne ont poussé à s’engager dans le spectacle. Schuester s’emploie donc à faire répéter ses élèves tout en faisant face aux différents problèmes : c’est l’insupportable petit ami d’Emma qui joue Eddie ; l’élève censé interpréter Frank n’a pas l’autorisation parentale et le rôle échoit à Mercedes (au physique à l’opposé du personnage) ; Finn qui endosse le rôle de Brad ne se sent pas à l’aise à l’idée de passer la moitié du spectacle en sous-vêtements, idem pour Sam jouant Rocky. Ce dernier abandon conduit Schuester à répéter la lascive « Touch-a Touch-a Touch-a Touch Me » avec Emma, tant pis si ça enrage méchamment Eddie. Mais Schuester se rend compte qu’il est allé un peu trop loin lorsque Finn, après s’être baladé en caleçon dans les couloirs du lycée afin de s’imprégner de son rôle, est menacé d’exclusion. Sue fait la morale à Schuester, qui reconnaît avoir utilisé le spectacle dans des buts égoïstes et admet que le Rocky Horror Show relève moins de la provoc’ que de l’acceptation de soi-même. Et le Glee Club de jouer finalement le spectacle pour eux-mêmes.
Les choses ne commencent pas si mal dans cet épisode, avec un générique pastichant « Science-Fiction / Double Feature », les sympathiques caméos de Barry Bostwick et Meat Loaf, le sujet du caractère approprié ou non du RHS pour un public adolescent abordé de front. Les numéros musicaux reprennent l’essentiel des chansons du film, pour des résultats d’une fidélité et d’une qualité variables : la réinterprétation de « Sweet Transvestite » peine à convaincre (du moins, lorsqu’on connaît par cœur l’original)
Faire jouer Frank N. Furter par une Noire obèse : pourquoi pas, mais le choix fait perdre une bonne part de l’impact provocateur. Par ailleurs, les paroles « I’m a sweet transvestite / From Transexual, Transylvania » deviennent « I'm just a sweet transvestite / From sin…sational Transylvania ». (Pareillement, « Touch-a Touch-a Touch Me » voit « I thought there's no use getting into heavy petting / It only leads to trouble and seat wetting », des paroles de toute évidence un minimum explicites, devenir gentillettement « I thought there's no use getting into heavy sweating / It only leads to trouble and bad fretting ».)
C’est là que réside l’essentiel du problème : cet épisode de Glee choisit de décentrer la thématique, et insiste lourdement sur la non-nécessité de pousser les limites mais plutôt de trouver sa place, les élèves du Glee Club étant tous plus ou moins des « misfits ». Mais retirer au RH(P)S son caractère gentiment provocateur revient à lui retirer son sel : le film est justement apprécié parce que ses protagonistes repoussent leurs limites, parce que Brad et Janet se découvrent. Les histoires de personnages peinant à s’intégrer et trouvant finalement un milieu ou une manière de s’épanouir, il y en a à la pelle sinon. En somme, cet épisode de Glee constitue un hommage regrettable, qui, non content d’affadir l’œuvre originelle, la transforme en un spectacle affreusement inoffensif.
Depuis des années court la rumeur d’un remake du Rocky Horror Picture Show. Une rumeur qui remonte au moins à 2009 (voire plus tôt), quand MTV Films avait annoncé son intention de refaire le film pour Halloween cette année-là. L’année suivante, c’est Ryan Murphy, le créateur des séries Glee puis American Horror Story, qui semblait en vue de réaliser le remake en question. Plus récemment, au printemps 2015, la Fox s’est à son tour positionnée pour ce projet, avec une sortie envisagée pour Halloween : rien de vraiment concret jusqu’à novembre 2015, où les choses ont commencé à se préciser. Un titre : The Rocky Horror Picture Show Event ; un réalisateur : Kenny Ortega, responsable de High School Musical 1, 2 et 3 ; et dans le rôle de Frank N. Furter, Laverne Cox, actrice transgenre remarquée dans la série Orange is the new black. Un choix audacieux, mais guère pionnier, Orange… et Sense8 (avec Jamie Clayton, autre actrice transgenre) étant passés par là.
Malgré tous ses défauts formels (qu’on énonçait dans le billet précédent), le Rocky Horror Picture Show est tout simplement in-remakable. C’est énoncer l’évidence, mais ce film est sorti à une époque et un contexte donnés, qui ont certes changé sans que le film perde de sa pertinence. Sans oublier la tendance des remakes à être plus fades que les originaux : remettre au goût du jour un Rocky Horror Picture Show en le vidant de sa charge subversive n’aurait pas le moindre intérêt. De plus, le Rocky… est devenu culte et s’est acquis une fanbase conséquente, qui, comme toute fanbase, ne supporterait pas de voir l’œuvre originelle trahie. Wait and see.
« I see you shiver with antici… pation ! »