Où, après Nonfilm, l'on continue de s'intéresser à la filmographie de Quentin « Mr. Oizo » Dupieux, avec son premier vrai long-métrage, Steak. Et tant qu'à être à la lettre S, on poursuit avec Seuls Two d'Eric et Ramzy.
Où, après Nonfilm, l'on continue de s'intéresser à la filmographie de Quentin « Mr. Oizo » Dupieux, avec son premier vrai long-métrage, Steak. Et tant qu'à être à la lettre S, on poursuit avec Seuls Two d'Eric et Ramzy.
Il y a quelques mois dans ce navrant Abécédaire, on s’amusait devant Nonfilm, le premier film de Quentin Dupieux. Sorti en 2001, ce moyen-métrage avait tout du film d’étudiant en cinéma / art : un objet filmique avec peu de budget, moyennement identifié / identifiable, sacrément méta. Six ans plus tard, le bonhomme a remis le couvert avec un deuxième film, Steak, véritable long-métrage pour le coup au vu de sa durée, avec des acteurs (re)connus — Eric et Ramzy —, non plus uniquement une bande de potes.
Qu’en attendre ? A fortiori quand, depuis sa sortie, on a eu le temps de voir les films postérieurs du cinéaste-musicien ?
L’histoire de Steak se déroule quelque part aux Etats-Unis. Tout commence par un enchaînement invraisemblable de circonstances : un militaire en goguette perd sa perruque alors qu’il roule au volant de sa 4x4 et fait un accident ; un lycéen qui passait par là, Georges (Ramzy), récupère le pistolet automatique du type ; du genre souffre-douleur, Georges flingue ses tourmenteurs, mais laisse l’arme du crime entre les mains de son ami Blaise (Eric Judor), lequel se fait arrêter par les policiers.
Sept ans plus tard, Blaise sort (ou plutôt : est expulsé) de son hôpital psychiatrique où il avait commencé à se sentir à l’aise. C’est nul autre que Georges, le visage couvert de bandage (on dirait un émule de Jason), qui vient le chercher. Blaise s’en rend compte à ses dépens : le monde a changé mais pas lui. Morts de honte, ses parents ont fichu le camp, et Georges semble décidé à ne plus vouloir s’encombrer de son ancien ami. Parce que Georges, maintenant, veut devenir un Chivers. Les Chivers, c’est une bande de lycéens (car, oui, Georges fréquente toujours le lycée) qui roulent en 4x4, se sapent avec le même uniforme (jean slim, veste rouge estampillée Chivers), boivent du lait dans de petites bouteilles et ne jurent que par l’artificiel (pas question de sortir avec une fille qui n’aurait pas les seins refaits). Georges, donc, veut rejoindre ce clan-là, mais le retour de Blaise va lui compliquer la tâche. D’autant que Blaise aimerait bien, tant qu’à y être, devenir un Chivers lui aussi…
Lors de sa sortie, Steak semble avoir été très, très fraîchement accueilli, tant par la critique que (surtout) par le public. Le gros malentendu de Steak, c’est son affiche, qui proclame fièrement « La nouvelle comédie avec Eric et Ramzy ». Certes, il y a bien le duo comique dans les rôles principaux, mais on est à des kilomètres de comédies comme La Tour Montparnasse infernale ; il s’agit surtout d’un film de Quentin Dupieux — chose qui apparaît de manière plus évidente à l’aune des films suivants.
De fait, le réalisateur introduit des éléments récurrents de son cinéma : les USA vus sous un jour absolument pas glamour… mais pas glauque pour autant, juste terne et sans fard ; un humour absurde, dans un monde possédant sa propre logique légèrement décalée ; une douce mélancolie ; une bande-son électronique aussi crétine que déjantée (aussi daft que punk, disons) ; la présence de potes musiciens parmi les acteurs (Sébastien Tellier, Vincent Belorgey aka Kavinsky, Sébastien Akchoté aka SebastiAn, qui figurent tous, en compagnie de Dupieux aka Mr Oizo, sur le label Ed Banger) — inversement, on retrouvera Eric Judor dans Wrong Cops. Enfin, le dispositif « métafilm», déjà présent dans Nonfilm, ressurgira dans Rubber.
Cela étant dit, Steak n’a rien du chef d’oeuvre méconnu. Le film demeure un cran en-dessous des suivants (Rubber, Wrong ou Réalité) : il y a des longueurs, la fin apparaît préciptée, ce n’est pas aussi fou qu’attendu. Mais Steak possède néanmoins ses moments de grâce : les Chivers, émules gentillets (enfin, disons moins ultraviolents) d’Alex DeLarge et ses droogies ; la partie de ce jeu incompréhensible mêlant cricket et calcul mental ; la séquence du kidnapping d’enfant. Et le film, loin d’être un divertissement idiot, se montre une satire par l’absurde de notre société. Sans oublier quelques scènes touchantes, comme la rupture entre Georges et Blaise à la moitié du film :
Georges : Viens, je vais t’expliquer quelque chose. Écoute-moi, écoute-moi. Est-ce que tu te souviens des types que tu as vus hier ? C’est les Chivers. (…) Bon ben moi maintenant, je suis un Chivers, tu vois. Ça veut dire que j’assure à fond. Y a pas mieux que les Chivers.
Blaise : Et moi, je suis quoi ?
Georges : Toi, t’es rien du tout.(…)
Georges : Toi, tu crains. Tu crains à mort, même. Tu crains à l’infini.
Blaise : Qu’est-ce que tu sous-entends par « tu crains à l’infini ». Toi, tu crains à l’infini et toi tu crains à mort.
Georges : Mais enfin, Blaise, regarde-moi ce visage, il est même pas refait. Et puis ces habits, ça ne se fait plus, plus personne ne met ça. C’est comme ton bicross, là. Qui c’est qui vient en bicross ? Tu vois des bicross de garés quelque part ? Tu vois des bicross ? Mais pas besoin de chercher, y en a pas, t’es le seul mec en bicross ici ! C’est comme ce bracelet, euh, uruguayen, personne ne met ça.
Blaise : Mexicain. C’est un bracelet…
Georges : Écoute-moi bien. J’ai une solution pour toi. Tu devrais partir. Tu devrais partir très très loin, dans un pays très lointain, sous-développé. Un pays où un pauvre type comme toi, ben ça deviendrait cette fois un king.
Blaise : Hmm !
Georges : T’as compris l’expression « king » ?
Blaise : J’ai compris, ça y est. J’ai besoin de temps, mais c’est le nouvel humour. (Il applaudit.) Bravo, parce que là, j’ai marché.
Georges : Écoute-moi bien, je vais pas te le dire dix fois, tu comprends pas, je te parle sérieusement d’homme à homme. Il y a des fois, il faut savoir écouter et c’est maintenant. Je ne veux plus jamais te revoir, tu ne viens plus frapper chez moi. C’est compris ? C’est fini, chacun sa route. Tchao.
Blaise : Georges ? C’est le nouvel humour, ça, Georges ? Georges ! On était comme frère et sœur, Georges !
Cela n’est que pure spéculation de ma part : Steak a peut-être infusé dans l’esprit d’Eric et Ramzy, les incitant à se tourner vers la réalisation à leur tour, afin de porter sur grand écran leur univers décalé. C’est en 2008, soit un après après Steak, que le duo comique a sorti son premier et unique film, Seuls Two. Tant qu’à y être, quelques mots sur ce film-là…
Seuls Two , écrit et réalisé par Eric et Ramzy, raconte l’histoire de Gervais (Eric), flic maladroit et malchanceux (et puceau également) qui, à la veille de son mariage, est sur le point d’attraper Curtis (Ramzy), insaisissable voleur. Le matin-même de la cérémonie, Gervais se retrouve lancé dans une course-poursuite au cours de laquelle… Paris se vide de ses habitants. Voilà le pauvre individu tout seul, livré à lui-même dans une capitale déserte — ou presque. Curtis est la seule autre personne à ne pas avoir disparu. S’ensuit un jeu de chat et souris, fait de haine et d’amitié.
Bon, Seuls Two n’a pas grand-chose à voir avec Steak : si Eric Judor reprend son rôle de type un peu fragile et très gamin dans sa tête et Ramzy celui de l’enfoiré qui ne l’est pas tant que ça, les ressemblances s’arrêtent là. Le film vaut surtout pour ses scènes dans Paris désert, où le duo s’en donne à coeur joie. Pour le reste : humour frénétique gentiment régressif, potentiellement lourdingue ; bande-son funky-omniprésente, lourdingue elle aussi. Une semi-réussite.
Au fait, et le titre ? Il est autant question de steak dans Steak que d’automne et de capitale chinoise dans L ’Automne à Pékin de Boris Vian.
Introuvable : non, se trouve aisément en DVD
Irregardable : oui
Inoubliable : presque