D comme Derelict

L'Abécédaire |

Où l'on regarde attentivement Derelict, la tentative entreprise par un étudiant en cinéma pour réhabiliter le désastreux Prometheus de Ridley Scott… Remixée avec le séminal Alien, la préquelle parvient-elle à se débarrasser de ses défauts rédhibitoires ?

Derelict, Job Willins, 2015. Auto-édité. 149/147 minutes.
Basé sur Alien (1979) et Prometheus (2012) de Ridley Scott.

Est-il possible de sauver Prometheus ? Il n’est pas question ici du demi-dieu, mais de la préquelle que Ridley Scott a infligée à son séminal Alien. Préquelle qui a suscité des tombereaux de réactions outragées, à juste titre, le film péchant par son inconsistance et une liste longue comme le bras de défauts impardonnables…

Drôle de saga que celle d’Alien, tout de même : un film fondateur jamais égalé ; une suite (Aliens, James Cameron, 1986) bourrine mais solide ; un troisième film renié par son auteur (Alien3, David Fincher, 1992) ; un quatrième volet grotesque (Alien, la résurrection, Jean-Pierre Jeunet, 1997) ; enfin, deux crossovers avec Predators dont on taira prudemment l’existence… Et Prometheus, manière pour Ridley Scott de revenir sur le tard sur sa création. Et de la massacrer purement et simplement.

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Un étudiant en cinéma, Job Willins, a toutefois estimé que Prometheus pouvait être sauvé, et a proposé un nouveau montage du film, en retirant ce qui n’allait pas et en rajoutant des morceaux d’Alien. Avec comme ambition d’obtenir le film qu’aurait dû être Prometheus : une préquelle faisant réellement le lien avec Alien, et non le point de départ d’une nouvelle franchise. Un film hybride, mais unifié par une même image en noir et blanc. Et titré Derelict, du surnom donné au vaisseau spatial extraterrestre abandonné, commun aux deux films. Scott l’appelle le « Croissant », mais faisons comme s’il n’avait rien dit.

Et faisons comme si l’on découvrait l’histoire…

Dans un futur lointain… En chemin vers la terre, le cargo Nostromo rentre de mission, mais détourne son trajet suite à la réception d’un signal. SOS ? Avertissement ? L’équipage n’en sait rien, et envoient une navette sur la planète d’où provient le signal. Planète inhospitalière, dont l’atmosphère irrespirable est balayée par des vents violents, et où se dresse l’épave d’un vaisseau spatial de toute évidence non-humain… Exploration ; les œufs ; le facehugger ; le petit déjeuner gâché ; le massacre lent et méthodique de l’équipage ; Ripley en petite culotte : la suite de l’histoire, vous la connaissez…

Trente ans plus tôt, le vaisseau Prometheus était parti en mission secrète vers cette même planète, suite à la découverte, un an plus tôt, de dessins rupestres laissant supposer la venue sur Terre d’extraterrestres. Le Prometheus se pose non loin d’une éminence, de toute évidence artificielle. La partie scientifique de l’équipage l’explore, et découvre divers mystères : des cadavres d’humanoïdes géants (les Ingénieurs), une sculpture gigantesque figurant une tête, des centaines d’amphores contenant une sorte d’huile noire. L’un des équipiers, David, est un androïde, qui poursuit des buts dont la majeure part de l’équipage n’a pas connaissance : se trouve en secret à bord du vaisseau son commanditaire, le magnat Peter Weyland, en quête de l’immortalité. Les choses commencent à mal tourner : le biologiste est retrouvé mort dans la colline artificielle, le biologiste revient mais zombifié, l’archéologiste meurt peu après avoir ingéré de l’huile noire. Et sa compagne, Shaw, accouche d’une créature en forme de calamar… David a trouvé dans les souterrains sous la colline un vaisseau spatial, où gît encore un Ingénieur. Weyland se rend à son chevet, mais les choses virent à l’eau de boudin : l’extraterrestre décapite David et tue Weyland, avant de prendre le contrôle du vaisseau et de se préparer à décoller, direction la Terre. Après y avoir amené la vie, les extraterrestres veulent l’y détruire. Shaw et la capitaine, Vickers, sorte du Prometheus à temps : celui-ci fonce sur le vaisseau alien et provoque son crash. Vickers meurt écrasée, mais Shaw survit. Elle trouve refuge dans le module de survie, largué par le Prometheus avant son accident volontaire, mais s’y fait agresser par l’Ingénieur, qui a survécu au crash. Le calamar, qui a bien grandi depuis avoir été ôté du ventre de Shaw, se rue sur l’extraterrestre et l’insémine avec un alien, qui « éclot » quelques heures plus tard. Quant à Shaw, elle décide de partir avec David vers la planète d’origine des Ingénieurs…

Oui, cela ressemble beaucoup au Prometheus sorti sur grand écran… mais sans la plupart des grosses conneries qui plombaient le film originel. Le script originel de John Spaihts pour Prometheus, intitulé Alien: Engineers (cf. Xenopedia pour un résumé assez complet), avait certes plus de sens que la version réécrite par Damon Lindelof. En disposant des images d’Alien, de Prometheus et de ses scènes coupées, Job Willins ne disposait pas de tout le matériel adéquat pour « restaurer » la préquelle et la ramener dans le droit chemin. À tout le moins, Willins la réaligne avec le projet de Spaihts, en coupant la plupart des moments embarrassants de Prometheus — et il y en avait… Adieu, les déclarations anti-scientifiques de Shaw qui préfère croire qu’avoir la preuve ; adieu, le biologiste faisant gouzi-gouzi avec le pénis-vagin extraterrestre ; adieu, l’inutile lien de parenté de Vickers avec Weyland…

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Qu’en est-il ? Le résultat est intéressant, réellement. Willins a opté pour le montage en parallèle des deux films, l’un et l’autre se faisant très souvent écho dans cette variation/remix, comme le montre la scène de confrontation ci-dessous :

Néanmoins, force est d’avouer que cette tentative de reconstruction/réhabilitation de Prometheus fait apparaître de manière flagrante sa médiocrité face à Alien. Parce que les acteurs sont mal dirigés : en un haussement de sourcil, Ian Holm fait oublier Michael Fassbender, qui est pourtant celui qui se défend le mieux dans la préquelle. Parce que les personnages sont mal écrits. Parce qu’à aucun moment Prometheus ne fait peur : la scène de l’avortement fait grincer des dents parce qu’elle est dégueulasse, mais n’arrive pas à la cheville de l’explosion du torse de John Hurt. Parce que les effets spéciaux numériques banalisent le spectaculaire et, pire, le rendent toc : le derelict d’Alien a plus de présence que tous les décors de Prometheus. Parce que la BO de Marc Streitenfeld, un temps assistant de Hans Zimmer, demeure fade face à la partition classique mais soignée et inquiétante de Jerry Goldsmith. Malgré toutes les qualités du travail de Job Willins, ce re-montage fait rarement oublier cette différence de qualité entre les deux œuvres.

Prometheus aurait pu être un film réussi, mais Ridley Scott a opté pour la facilité. Willins fait œuvre de recréation (récréation aussi), d’un intérêt toutefois mineur : il faut bouffer de l’alien matin, midi et soir pour regarder cette copie éditée. Ou être curieux et avoir deux heures et demi à perdre. À noter que le projet n'a guère plus à la XXth Century Fox : le remix a été visible, juste un temps, sur la plate-forme Vimeo avant d'être retiré à l'injonction du studio. Mais on le trouve sur les sites de partage.

En septembre, Willins a indiqué travailler sur un projet titré Ripley, dont l’ambition n’est rien de moins que de remixer Alien3 avec Alien : la résurrection

Le tumblr de Job Willins.

Introuvable : oui (non)
Irregardable : non
Inoubliable : non

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