Z comme Zagor

L'Abécédaire |

Où l'on conclut ce nouveau tour d'alphabet en retombant en enfance avec les livres dont vous êtes le héros, en s'intéressant tout particulièrement à la série « Défis fantastiques » au travers de son méchant inaugural, Zagor, l'increvable Sorcier de la montagne de feu…

Le Sorcier de la montagne de feu [The Warlock of Firetop Mountain], Steve Jackson & Ian Livingstone, livre-jeu traduit de l’anglais [UK] par Camille Fabien. Gallimard, coll. « Folio Junior / Un livre dont vous êtes le héros : Défis fantastiques », 1983 [1982]. 220 pages, poche.
Retour à la montagne de feu [Return to Firetop Moutain], Ian Livingstone, livre-jeu traduit de l’anglais [UK] par Yannick Surcouf. Gallimard, coll. « Folio Junior / Un livre dont vous êtes le héros : Défis fantastiques », 1993 [1992]. 194 pages, poche.
La Légende de Zagor [Legend of Zagor], Ian Livingstone, livre-jeu traduit de l’anglais [UK] par Pascal Houssin. Gallimard, coll. « Folio Junior / Un livre dont vous êtes le héros : Défis fantastiques », 1994 [1993]. 272 pages, poche.

Avant l’essor de l’informatique domestique, et donc des jeux vidéo, les livres dont vous êtes le héros ont connu un succès certain. Plusieurs collections ont vu le jour dans les années 70-80, certaines bénéficiant même d’une traduction française. Comme la série de livres-jeux « Défis fantastiques » ( Fighting Fantasy), créée par Steve Jackson et Ian Livingstone, et qui compte plus de soixante titres. La plupart se déroulent dans un univers de fantasy, guère éloigné de celui de Donjons & Dragons. Accessoirement, il existe un autre Steve Jackson, dit Steve Jackson US pour le différencier de son homonyme britannique, qui a lui aussi écrit des « Défis fantastiques » et a fondé Steve Jackson Games et inventé le GURPS (système générique de règles pour jeux de rôles).

 

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Introducing Zagor…

 

Bref. Le titre inaugural de la série « Défis fantastiques » s’intitule Le Sorcier de la montagne de feu, et introduit le personnage de Zagor (d’où le titre de ce billet), maléfique sorcier qui va gagner en ampleur au fil des volumes qui lui seront consacré. En outre, ce premier volume de « Défis fantastiques » pose les règles, qui ne varieront guère par la suite : trois compétences (habileté, endurance, chance) pour déterminer le personnage du joueur, un système de combat simple.

 

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Affutez votre crayon gris et préparez votre gomme.

 

L’introduction du livre pose les enjeux : « Le Sorcier de la montagne de feu n’est pas un livre comme les autres. Outre le livre lui-même, il vous faudra une paire de dés, un crayon et une gomme : muni de ces armes, vous pourrez alors devenir le héros d’une aventure périlleuse au cours de laquelle vous chercherez le trésor que le sorcier a caché. » Pas de monde à sauver, juste un trésor sur lequel il s’agit de mettre la main. Et c’est parti pour l’exploration de la montagne de feu (qui, malgré son nom, n’est pas un volcan mais juste une montagne coiffée de plantes rougeâtres), aux entrailles peuplées d’un bestiaire empruntant à Tolkien et la mythologie gréco-latine : gnomes, gobelins et farfadets, mais aussi cyclope et minotaure, sans oublier l’indispensable dragon…

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Zagor, encore en forme…

 

Le livre se divise grosso-modo en deux parties (les experts ès LDVELH attribuent la première à Ian Livingstone, la seconde à Steve Jackson). La première est un labyrinthe assez classique, fonctionnant sur le principe du Porte-Monstre-Trésor. Dans la majorité des cas, les ennemis sont faciles à vaincre et la curiosité est récompensée, et le joueur récupère ainsi or, équipement ou artefacts fort utiles en temps voulu. Puis l’on arrive à une rivière souterraine : à partir de l’autre rive commence un second dédale, passablement plus complexe. Mieux vaut dresser un plan pour savoir où l’on va et surtout où l’on est déjà passé. L’issue du dédale nous mène au fameux Sorcier et à son dragon, deux ennemis qu’il est possible de vaincre sans avoir à livrer combat, pour peu que l’on ait récupéré les objets adéquats en cours de route. Répétons-le, l’enjeu est juste le trésor.

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Une sentinelle, qui ne fera pas long feu, et dont on retrouvera les ossements dans la suite.

Côté jouabilité/parcours, les livres-jeux se divisent en deux types : les « One-True Path », où un seul et unique bon chemin mènera à la fin, et… les autres, à la circulation beaucoup plus libre. Côté objectif, Le Sorcier de la montagne de feu fonde le genre du « Kill the Sorcerer ». Sans être un pur OTP, il n’a qu’un seul chemin correct pour parvenir au but (à savoir : récupérer les bonnes clefs afin de faire main basse sur le trésor), et s’avère un pur KTS. Probablement novateur lors de sa parution originelle, Le Sorcier de la montagne de feu a pris un petit coup de vieux. Le scénario est peu palpitant et l’aventure peine à passionner : le joueur ouvre (ou pas) une porte, combat les monstres derrière (ou évite le piège), chope le trésor, et ainsi de suite jusqu’au boss de fin. Les points de chance/endurance sont pris ou donnés au petit bonheur la chance, le style demeure assez plat et moins riche en descriptions (heureusement qu’il y a des illustrations, qui donnent davantage à voir), et aucune rencontre marquante ne rehausse l’intérêt. Quant à l’antagoniste, Zagor, il n’a pas encore acquis la stature maléfique qui sera la sienne dans les deux volumes ultérieurs : à peine décrit, il manque encore d’envergure. Cette qualité faiblarde n’empêche pas le livre d’être réédité régulièrement depuis une trentaine d’années. Surtout, il pose les bases du monde de Titan, dans lequel se dérouleront la grande majorité des « Défis fantastiques » suivants.

Par ici, un blogueur tente de réhabiliter Zagor, en tentant de démontrer que tout cela n'est qu'un malentendu et que le pauvre homme n'a fait de mal à personne (ce qui n'est pas faux dans Le Sorcier…).

 

Enfin, le livre-jeu est devenu un jeu de plateau en 1986, qui reproduit peu ou prou le plan du labyrinthe de Zagor. N’y ayant jamais joué (ayant en fait découvert son existence lors de la rédaction de ce billet), je ne saurai en dire davantage.

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l'édition anglophone du jeu ; il en existe une française.

 

Introuvable : non
Injouable : non
Inoubliable : oui, vu son statut de pionnier

*

Une cinquantaine de « Défis fantastiques » plus tard est paru Retour à la montagne de feu, envisagé un temps comme le volume conclusif de cet ensemble de livres-jeux. Mais ce titre ayant rencontré un succès inattendu, la collection sera prolongée sur une quinzaine de volumes supplémentaires.

 

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Et c'est reparti…

 

Retour à la montagne de feu se déroule dix ans après Le Sorcier de la montagne de feu. Il faut croire que l’aventurier du premier volume a choisi l’alternative « piller le trésor » plutôt que « devenir le nouveau boss des lieux », car Zagor a usé d’un sortilège de résurrection pour revenir d’entre les morts. Problème, il lui faut un nouveau corps : le mage maléfique envoie ses troupes ravager les environs. Et un nouvel aventurier (vous !) de se coltiner le sale boulot…

L’intrigue ne commence pas immédiatement au pied de la montagne : le joueur a le choix entre s’y rendre immédiatement ou bien faire un détour par une bourgade proche. Ce second choix s’avère l’occasion de récolter quelques précieux renseignements et de se fournir en équipement (et de buter un monstre ou deux). En fait, il faut passer par la bourgade : il est impossible de finir le jeu si l’on n’a pas les bons renseignements ni le bon équipement. Ce Retour… a pris en compte le passage des années, et le lecteur-joueur retrouve, dès ses premiers pas dans le repaire de Zagor, quelques références au premier volet.

 

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Zagor, moins en forme, plus en colère…

 

Attention cependant, le labyrinthe est devenu bien plus dangereux. Dans Le Sorcier de la Montagne de Feu, les morts subites (i.e. paragraphe signifiant la fin prématurée de l’aventure suite à un choix funeste) étaient très rares. À l’inverse, ce Retour… les multiplie  : s’écarter du bon chemin conduit, à plus ou moins court terme, à une mort certaine. Les ennemis sont plus costauds, le dédale moins évident à arpenter : bref, le challenge augmente. Non seulement il faut récupérer plusieurs objets magiques, indispensables pour survivre au combat contre Zagor, mais la sagacité du joueur est aussi mise à l’épreuve au travers de quelques énigmes mathématiques (damned !Évidemment, on peut « scroller » à travers les paragraphes pour trouver celui qui correspond à la solution, mais c’est UN PEU de la triche, vous l'avouerez bien.). Du « death and retry » : ce n’est qu’au bout de plusieurs tentatives qu’on parviendra au but.

Par rapport au premier volume de la trilogie, l’ambiance se fait plus sombre : le bestiaire faire la part belle aux créatures dégoûtantes et aux nécromanciens, les occasions de trouver la mort sont nombreuses, le joueur est activement encouragé à tout explorer, y compris les poches de ses victimes (qui a dit que c’était moral ?)… Bref, une suite sympathique, si je puis dire, mais qui ne déborde pas d’originalité.

Introuvable : non
Injouable : non
Inoubliable : oui

*

Vous pensiez avoir mis la pâté à Zagor ? Oui mais non. Le vilain sorcier s’avère plus coriace que prévu. Les ultimes phrases de Retour à la Montagne de Feu laissaient planer le doute, entrouvrant la porte à une suite : suite au succès du deuxième volet des mésaventures de Zagor, le 54e Défis Fantastiques (écrit, selon les spécialistes, non par Livingstone mais Carl Sargent, sous le pseudo de Keith Martin, auteur d’une huitaine de livres-jeux) ramène une nouvelle fois le maléfique sorcier d’entre les morts. Cette fois-ci, ce n’est plus l’Allansie qu’il menace, mais le royaume d’Amarillie, dans un univers parallèle.

 

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Jamais deux sans trois…

 

L’introduction, assez longue, donne un background important à ce nouveau monde : le lecteur-joueur comprend qu’il débarque quelques années après un conflit long et meurtrier contre un ennemi… lequel vient de ressusciter, hybridé avec Zagor. Le sorcier fourbit ses armes au Château d’argent, peuplé d’orques (mutants parfois), de zombies et d’autres créatures revenues d’entre les morts d’un acabit similaire.

Nouveauté par rapport aux Défis Fantastiques passés, le roman permet d’interpréter, au choix, plusieurs héros — chacun naturellement doté de capacités variées. Il y a un barbare (force brute), un magicien (ben… la magie), un nain (pas très maniable), et un guerrier (bon en tout, expert en rien). Cette galerie de personnages jouables garantit à ce LDVELH une plus grande rejouabilité.

 

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Zagor, carrément furax…

 

De fait, La Légende de Zagor constitue l’aventure la plus ardue de la trilogie. Non seulement le Château d’argent nécessite d’être fouillé de fond en comble pour trouver les objets magiques, indispensables pour accéder au repaire de Zagor et affaiblir le sorcier, mais le joueur doit, en plus de faire travailler ses cellules grises pour les énigmes (il y en a une poignée, jamais difficiles, mais qui nécessitent d’explorer à fond les lieux), prier les dieux pour bénéficier d’une chance monstrueuse aux dés, cela afin d’espérer vaincre les innombrables monstres puis Zagor et son dragon, qui représentent les adversaires les plus forts de tous les Défis Fantastiques.

On peut certes choisir de zapper les combats et de se concentrer sur l’exploration : quoi de plus agaçant que de perdre à cause d’un mauvais jet de dés ? Lorsque j’avais onze ans et pas de console, les combats et tests aux dés accroissaient passablement la durée de vie du livre-jeu. Combat perdu ? Retour au paragraphe 1 avec un nouveau héros. Vingt ans après, je n’ai tout simplement envie de laisser le pur hasard gâcher mon aventure, quitte à perdre une part de l’intérêt des LDVELH.

Par rapport aux deux aventures précédentes et pour un même nombre de paragraphes (400, la norme d’un Défis Fantastiques, le livre se révèle plus épais : l’auteur prend son temps pour décrire le Château d’argent et sa cohorte de créatures maléfiques (bon, il y a aussi quelques alliés, dont un curieux ferrocochonUn cochon mangeur de fer, quoi !), et l’ambiance surprend donc par sa qualité et sa variété. Côté jouabilité, on a la possibilité de vraiment explorer les lieux, c’est-à-dire de revenir sur ses pas et fureter plus attentivement dans certains lieux en disposant d’informations supplémentaires ; les morts subites sont bien plus rares que dans Retour à la montagne de feu, et ce sont moins les mauvais choix de paragraphes que les combats qui achèveront le joueur.

Un contexte approfondi, une ambiance plus prenante, une plus grande rejouabilité… En somme, cette Légende de Zagor s’avère sans conteste la plus réussie des trois aventures dédiées au sorcier maléfique.

 

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Une quadruple préquelle romanesque.

 

À noter que Zagor est aussi l’antagoniste d’une série de romans, co-écrits par Ian Livingstone et Keith Martin, « Zagor Chronicles » : quatre volumes parus entre 1993 et 1994, formant une préquelle à La Légende de Zagor (et inédits en français). Ne les ayant pas lus, j’ignore tout de leur qualité.

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Tout comme Le Sorcier de la Montagne de feu, La Légende de Zagor s’est vu adapté en jeu de plateau. Un jeu plutôt classieux, avec plateau en 3D, figurines, et un dispositif électronique faisant de Zagor le MJ. Le genre de jeu auquel j’aurais adoré jouer plus jeune.

Introuvable : non
Injouable : vu sa difficulté, presque
Inoubliable : oui

 

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