P comme Particle Fever

L'Abécédaire |

Où l'on quitte l'environnement pas si inhospitalier d'une étoile à neutrons pour plonger au cœur du Large Hadron Collider, grâce à Particle Fever, admirable documentaire qui revient sur la genèse de l'accélérateur de particules et la découverte du Boson de Higgs, et nous amène dans les coulisses des expériences scientifiques qui y sont menées…

La Fièvre des particules [Particle Fever], Mark Levinson, 2013. Couleurs, 99 minutes.

Côté sciences, on vit une époque formidable : New Horizons vient de nous apporter les premières images détaillées de la lointaine Pluton ; on a posé, tant bien que mal, le robot Philae sur une comète relisez ces mots : _poser_ un _robot_ _sur_ une _comète_ ! je n’en reviens toujours pas : même imparfait, c’est un putain d’exploit scientifique ; Dawn vient d’accomplir sa mission autour de la protoplanète Cérès ; on découvre des exoplanètes par paquets ; Curiosity arpente le sol de Mars depuis trois étés… Et du côté de l’infiniment petit, c’est tout aussi réjouissant.

Il y a bientôt deux ans, en octobre 2013, les physiciens Peter Higgs et François Englert ont reçu le prix Nobel de physique pour avoir postulé, cinquante ans plus tôt, l’existence du boson de Brout-Englert-Higgs-Hagen-Guralnik-Kibble — communément raccourci en boson de Higgs —, particule insaisissable, mise en évidence en juillet 2012 au Large Hadron Collider. En juillet 2013, un documentaire est sorti, s’intéressant à l’aventure que fut le lancement de cet accélérateur de particules.

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« All the superlatives are justified, this is the case where the hype is approximately accurate. » Nina Arkani-Hamed.

Le documentaire débute en 2008, alors que la construction du LHC sous la frontière franco-suisse touche à son terme. Si le projet du LHC a été approuvé dès 1994, pour succéder au collisionneur Large Electron Positron, sa mise en chantier n’a débuté qu’en 2000 et s’est achevée plus tard que prévu, à l’été 2008 : à l’origine, la date de mise en service était fixée à 1999. Est évoqué aussi le concurrent américain du LHC, qui n’a jamais vu le jour : le Congrès a choisi de couper les fonds. Les diatribes des politiciens étatsuniens sont édifiantes. Grosso modo, les arguments sont : c’est trop cher, y aura qu’à copier les Européens (qui font rien qu’à copier sur nous), et puis franchement, à quoi ça sert ??

« Why are we doing it? We actually have two answers. One answer is what we tell people and the other answer is the truth. I’ll tell you both. And there’s nothing incorrect about the first answer. It’s just… it’s not the thing that drives us. It’s not how we think about it, but it’s something you can say quickly (…). Answer number one: we are reproducing the physics, the conditions, just after the Big Bang. (…) Okay, answer two: we are trying to understand the basic laws of the nature. It’s sound slightly more mild (…). » David Kaplan

David Kaplan pose d’emblée les enjeux : va-t-on découvrir quelque chose ? Ou bien, dans le cas contraire, ne saura-t-on pas ce que l’on a loupé ? Est-ce que le LHC va fonctionner ? Et si oui, va-t-on trouver quelque chose ? Bien sûr, l’un des buts de l’appareil est de mettre en évidence le fameux boson dit de Higgs : le nom de la « particule de Dieu » est prononcé à la onzième minute.

Alternant entretiens, images d’archives, extraits de journaux télévisés, prises de vue in situ et schémas explicatifs animés, La Fièvre des particules suit différents scientifiques : David Kaplan, Monica Dunford, Fabiola Gianotti, Savas Dimopoulos, Nina Arkani-Hamed… Scientifiques installés, proches de la retraite ou alors juste post-doctorants (la sémillante Monica Dunford), théoriciens ou expérimentalistes. Le documentaire nous fait vivre l’excitation des participants au projet, sans omettre les points d’achoppement, où la science n’intervient que peu. C’est en grande pompe que le premier faisceau a été lancé le 10 septembre 2008, mais le LHC a subi une grave avarie quelques jours plus tard : une fuite d’hélium qui a causé un retard de plus d’un an dans les expériences. Un ratage, en termes de communication et de réputation. Il est question aussi, un peu, de ces illuminés croyant que le LHC allait provoquer l’apparition d’un trou noir qui avalerait la Terre (on est toujours là, non ?).

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On suit aussi les questionnements de Kaplan et Arkani-Hamed sur les implications de la masse du boson de Higgs : une masse de 115 giga-électronvolt accréditerait l’hypothèse de la supersymétrie ; une masse de 140 GeV tendrait davantage vers l’hypothèse du multivers — une hypothèse funeste pour Arkani-Hamed, qui y voit là la fin de la physique, les réponses se situant potentiellement dans les autres univers. (En passant, cette hypothèse aurait représenté une étape supplémentaire dans le démontage de l’anthropocentrisme : depuis Copernic, on sait que la Terre n’est plus au centre du monde ; Darwin a montré que l’homme, fruit de l’évolution, était un animal comme un autre, soumis, d’après Freud, à ses pulsions… Notre soleil justement, un « petit soleil jaunâtre et minable » selon Douglas Adams, se trouve dans une galaxie normale. Et si en plus notre univers est seulement un univers parmi les autres, un peu plus vivable par la grâce de sa constante cosmologique…) Finalement, le boson de Higgs va se révéler peser un poids intermédiaire, laissant la porte ouverte aux deux possibilités.

Assez parlé du LHC et du boson… Dans la forme, ce documentaire est lui-même remarquable. Sans esbroufe, de manière discrète. À aucun moment il ne suscite l’ennui : bien monté, bien mené, il rend compréhensible au béotien les enjeux de cet accélérateur de particules, et présente également une jolie galerie de scientifiques : les théoriciens et les expérimentalistes, qui ont besoin l’un de l’autre ; les jeunes, plein d’allant et de motivation, les moins jeunes, qui ont conscience de la lenteur des choses… Bref, une réussite formelle.

Entre février 2013 et avril 2015, le LHC a été amélioré, afin de produire des taux d’énergie encore plus forts ; de nouvelles découvertes devraient en résulter (des pentaquarks, par exemple, ont été mis en évidence, selon une annonce du 14 juillet 2015). Maintenant qu’il est reparti, on attend prochainement un Particle Fever 2

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Connaissez-vous Le meurtre le plus lent avec l'arme la moins efficace (The Horribly Slow Murderer with the Extremely Inefficient Weapon, 2008) ? Probablement, vu son succès et son ancienneté (relative, à l’heure d’internet). Publiée sur YouTube, cette vraie-fausse bande-annonce pour un film de neuf heures, réalisée par Richard Gale, raconte sur dix longues minutes l’histoire d’un type poursuivi par un psychopathe, armé d’une petite cuillère. Ce court-métrage a connu plusieurs suites. L’une d’elle, Save Jack, est interactive, et propose au spectateur plusieurs choix pour sauver Jack. L’un d’eux nous amène dans un endroit connu…

Introuvable : non
Irregardable : non
Inoubliable : oui

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