Où l'on s'intéresse à Assise devant un décor de tempête, étrange premier roman de Didier Pemerle, à qui l'on doit les traductions de Tous à Zanzibar ou de L'Enchâssement…
Où l'on s'intéresse à Assise devant un décor de tempête, étrange premier roman de Didier Pemerle, à qui l'on doit les traductions de Tous à Zanzibar ou de L'Enchâssement…
En Bifrostie, l’on connaît surtout Didier Pemerle pour être l’émérite traducteur de quelques-uns des chefs d’œuvre du genre : L’Enchâssement certes, que l’on vient de rééditer, mais aussi Tous à Zanzibar ou Rendez-vous avec Rama. Voilà qui en impose.
Mais, chose moins connue, Pemerle est également l’auteur d’une poignée de romans, publiés dans les années 70 et 80. Le premier d’entre eux est le présent Assise devant un décor de tempête (joli titre au demeurant), dont la quatrième de couverture ne fait pas dans l’humilité : « Lautréamont et Tex Avery au pays de James Bond ». Rien que ça !
Tentons de résumer Assise… Il y a Fred et Grabu, deux espions qui font leur boulot d’espionnage, quelque part en Afrique (??). A un moment donné, Grabu vide le chargeur de son flingue dans le ventre de Fred, parce qu’il le soupçonne de faire double jeu, et rentre en métropole. En réalité, Fred n’est pas mort, et entame une nouvelle mission. Dans ce coin d’Afrique, il y a un savant fou qui ôte les cerveaux de ses victimes pour les remplacer par un appareil de sa conception… Le sinistre individu et ses assistants ont déjà sévi sur plusieurs millions de personnes. Et puis il y a ce qu’on a appelé faute de mieux l’hydrotome, cette masse liquide formée du contenu des océans, qui s’est détaché de la Terre avant de s’écraser sur la Lune – de sorte que l’eau se fait rare sur notre globe.
« Les navires envoyés en reconnaissance ne dépassèrent pas le cap de Magellan ou la Tasmanie : une montagne liquide, sillonnée de courants imprévisibles, se dressait devant eux. La montagne devint visible à toute une partie de l’hémisphère austral et envahit le ciel. Une gigantesque marée y affluait, asséchant les littoraux jusqu’au pôle Nord, dont la banquise reposait, penchée, sur le fond rocheux et les algues pauvres à découvert. Les photos enregistrées par les satellites montraient une goutte reliée au pôle Sud de la terre par un isthme qui chaque jour s’amenuisait. Une lune transparente s’éloigna dans le ciel. »
Le moins que l’on puisse dire est que le roman est luxuriant – autre manière de dire que c’est passablement le bazar. Encore que la seconde moitié du roman explicite par endroit les bizarreries de la première. Le style est volontiers complexe, surréaliste, rendant l’intrigue particulièrement ardue à suivre. Divisé en deux parties de taille quasi identique, Assise… évite les paragraphes et les dialogues, tous ces marqueurs permettant au lecteur de se repérer aisément dans un livre. Passé et présent se mêlent, parfois au sein de la même phrase – à moins que ce ne soient les réalités qui entrent en collision. Les protagonistes meurent, ou pas. Parfois pour de faux, et parfois pour de vrai mais en fait non…
« Il fut tué dans un accident de voiture mais n’en mourut pas. »
Les personnages sont schématiques, plus des silhouettes qu’autre chose. L’important ne réside pas là. Assise devant un décor de tempête s’aventure quelque peu en territoire science-fictif, à la manière de Maurice Leblanc ou Maurice Renard, dès lors qu’il est question de ce savant fou transplantant les cerveaux ou de cette masse aquatique quittant de manière inopinée la Terre et des conséquences funestes que cela implique. Dans le genre, Assise devant un décor de tempête fait aussi irrésistiblement penser à Jerry Cornélius de Michael Moorcock, ensemble de romans, parodies d’espionnage, plutôt foutraques et à peine lisibles.
« Grabu ouvre la fenêtre et crie : qui veut voir le patron des services secrets de contre-espionnage, regardez bien, il va sortir de chez moi. Les passants fuient. Les commerçants baissent leurs rideaux de fer. Grabu voit le patron qui vient de dévaler les escaliers saisir la poignée de la portière au moment où le chauffeur fait démarrer la voiture. Il est traîné sur quelques dizaines de mètres puis lâche la poignée et reste allongé sur la chaussée au milieu d’une tache qui s’étend, sèche et se craquelle sous le soleil. Une jeune femme enjambe le corps avec grâce et rejoint un groupe de touristes qui lui demandent de répéter ce mouvement et qui la photographient enjambant le corps du patron.
Plus tard, les pompiers arrivent, aspergent d’eau glacée le patron qui se redresse, s’ébroue, et demande qu’on le ramène à son bureau avant toute chose. »
L’intérêt du roman se situe essentiellement dans son style. Ici, l’écriture se fait effective : au lieu de décrire les événements étranges, elle-même se fait l’instigatrice de ces bizarreries. Une écriture magique, en somme.
Une curiosité. Pourquoi pas.
Introuvable : oui
Illisible : oui
Inoubliable : non