En contrepoint à l'excellente critique qu'en fait Gregory Drake dans le Bifrost 78, Pierre Stolze nous propose son avis sur le dernier roman en date de Michel Houellebecq, Soumission. On se souviendra qu'entre Doc Stolze et les œuvres du terrible Michel règne le désamour — on se souvient du billet de notre ami sur La Carte et le Territoire, récompensé par le Goncourt en 2010.
L’immense poète Joë Bousquet (1897-1950) écrivait à une jeune admiratrice (in Lettres à une Jeune Fille, Grasset, 2008) : « L’écrivain qui cherche à faire désespérer l’homme de lui-même est un médiocre et un salaud. Car l’homme naît dans le doute, il naît aveugle à ce qu’il est vraiment. Le confirmer dans ce doute, c’est facile et bête. La vraie tâche, c’est de lui faire sentir les ressources illimitées de l’humain. ».
Dans toute son oeuvre (?), Michel Houellebecq s’ingénie pour que son lecteur doute de lui-même. Houellebecq dénigre, rabaisse, salit sans cesse. Il fait dans le « facile et bête ». Dans la provocation systématique et imbécile. Soumission est bien le titre de son dernier roman, et non « Insoumission », encore moins « Indignez-vous ! ». Houellebecq crache sur les « ressources illimitées de l’humain ». Non qu’il n’y croit pas, mais elles ne l’intéressent pas pour faire son… intéressant. Le seul but recherché : « faire scandale, […] choquer le bourgeois » (p 279)
Soumission multiplie les provocations gratuites et les invraisemblances énormes. Provocations gratuites ? Ainsi à propos de François Bayrou (premier ministre d’un président musulman élu en 2022 pour contrer le Front National) : « Ce qui est extraordinaire, chez Bayrou, ce qui le rend irremplaçable […] c’est qu’il est parfaitement stupide […] il n’a jamais eu, ni feint d’avoir la moindre idée personnelle. » (152) « Bayrou est vraiment un crétin, […] tout juste bon à prendre des postures avantageuses dans les médias ». (p. 291) Houellebecq ne se doute pas que : « c’est celui qui dit qui est. » Invraisemblances énormes ? Comment croire que dans cette France dirigée par un musulman, une majorité de femmes accepteront sans broncher d’abandonner leurs emplois et de retourner dans leurs foyers, cela afin de faire baisser le chiffre du chômage et qu’à l’Université, où bien évidemment n’enseigneront que des hommes, ceux-ci seront obligés de se convertir à l’Islam. Quelques mois seulement après l’élection du président français Mohammed Ben Abbes, le Maroc adhère à l’Union européenne, puis c’est le tour de l’Algérie, de la Tunisie, du Liban et de la Turquie. Or adhérer à l’Union Européenne demande des années d’efforts et les impétrants doivent se plier à des exigences politiques et économiques draconiennes. Comment croire une seconde que tous les pays européens accepteront unanimement l’adhésion de tant de nations musulmanes ? Le rêve de Ben Abbes : recréer l’Empire Romain tout autour de la Méditerranée, mais cette fois sous l’égide de l’Islam. J’en ris encore ! Autres énormités : voici un ancien normalien supérieur, agrégé de lettres, qui entre dans la police (les Renseignements Généraux !) ; voici un docteur ès lettres, pour une thèse sur Laforgue, qui devient inspecteur des impôts.
Le narrateur de Soumission, François, est un professeur de littérature qui a rédigé une thèse si remarquable sur Joris-Karl Huysmans qu’il a obtenu les félicitations du jury à l’unanimité. Mais tout ce que cet éminent professeur nous apprend de Huysmans, au fil du roman, on le trouve déjà sur Wikipédia ! François, qui s’est rendu à Bruxelles, s’aperçoit qu’il a oublié à Paris son exemplaire de Là-Bas dont il veut absolument relire quelques passages. Et il rentre dare-dare à Paris en TGV pour récupérer le livre. Le téléchargement d’un ouvrage par Internet, le narrateur, apparemment, ne connaît pas. En 2022 ! Comment peut-on écrire qu’entre le trio Baudelaire-Rimbaud-Mallarmé et plus tard André Breton, il n’y a pas eu de poète majeur en France ! À la trappe Apollinaire, Valéry ou Saint John Perse ! (p. 53). Et que de réflexions absurdes, voire de contrevérités, sur les différences entre l’art roman et l’art gothique (p. 167), sur la pensée de Nietzsche ou de René Guénon, ou encore sur l’Islam. « […] le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue. […] il y a pour moi un rapport entre l’absolu soumission de la femme à l’homme, telle que l’a décrit Histoire d’O, et la soumission de l’homme à Dieu, telle que l’envisage l’islam ».(p. 260)
Cette histoire de soumission est absolument contredite par le philosophe musulman Abdennour Bidar, auteur, entre autres ouvrages, de Un Islam pour notre temps (2004) et de L’Islam sans soumission : pour un existentialisme musulman (2008). Bidar est pour une « réforme de l’islam » par, notamment, « une complète remise en cause des interprétations actuelles du Coran », car il est persuadé que « l’islam est compatible avec la modernité ». Et quand on l’interroge sur la peur des Anglo-Saxons, contrairement aux français, face à l’irrespect, à la satire, au blasphème (allusion bien sûr à la tragédie de Charlie Hebdo1), le philosophe répond : « Soit nous choisissons une transcendance qui nous écrase et ne nous laisse d’autre attitude possible que la prosternation et la soumission, et là, on arrête de rire. Soit on affirme que la liberté humaine est à la hauteur de cette transcendance, on la regarde dans les yeux et on rit . Ce qui est en jeu, c’est bien le choix de notre humanité. » (Interview in Télérama 3393, janvier 2015) Abdennour Bidar croit aux « ressources illimitées de l’humain », selon la formule de Joë Bousquet. Pas dans sa soumission servile !
Le roman Soumission, toutes proportions gardées, serait un peu la version romanesque du Suicide Français d’Eric Zemmour. Mais Houellebecq va encore plus loin que le polémiste : « Cette Europe qui était le sommet de la civilisation s’est bel et bien suicidée, en l’espace de quelques décennies. » (p. 257)
Il y a une forme certaine de lâcheté chez Houellebecq. Toutes ses âneries, ses contrevérités, ses jugements à l’emporte-pièce, il les place dans la bouche de son narrateur et des protagonistes de son histoire. Pour se défendre au cas où : « ce n’est pas moi qui pense cela, ce sont mes personnages. » Pareille hypocrisie, pareille tartufferie ne trompe personne.
Revenons au titre de mon article. Houellebecq est-il un médiocre et un salaud selon la définition de Joë Bousquet ? Un médiocre, certainement ! Un salaud, non. Car pour être un véritable salaud, il faut être intelligent. Et intelligent, Houellebecq, assurément, ne l’est pas.
PS : concernant le style de Houellebecq (ou plutôt son non-style, ratatouille effarante, salmigondis indigeste de trucs puisés à différents auteurs), je renverrai à un article de Raphaël Meltz (directeur de publication de la revue Le Tigre), article qui a déjà quelques d’années, mais toujours pertinent et que l’on trouve facilement sur Internet. Titre « Houellebecq et la littérature ? ». Je ne citerai que la première ligne de l’article : « Écrivain. Romancier. Littérature. Houellebecq. Cherchez l’intrus. »
1. La dernière grande colère de Cabu avant d’être abattu, fut contre le roman Soumission qu’il accusait de faire le lit du Front National.↩