Où, histoire de commencer cet Abécédaire par un chiffre, il est question de Zone Zéro, roman de l'auteur autrichien Herbert Franke…
Où, histoire de commencer cet Abécédaire par un chiffre, il est question de Zone Zéro, roman de l'auteur autrichien Herbert Franke…
Quoi de mieux pour commencer un abécédaire que de débuter par un chiffre ?
Zone Zéro (1970), donc, sixième roman de l’Autrichien Herbert Franke (qui n’est pas le double germanique du créateur de Dune). Franke, un auteur plutôt méconnu : bien qu’à la tête d’une bibliographie forte de ving romans, n’en a vu que deux publiés en France : La Cage aux orchidées (1961, en Présence du Futur en 1964) et le présent Zone Zéro (Ailleurs & Demain, 1973).
Le roman se déroule dans un futur indéterminé. La Zone Zéro du titre, c’est une enclave jusqu’alors inaccessible, depuis des temps immémoriaux, cernée par une ceinture radioactive. Mais inexplicablement, la Zone Zéro abaisse un jour ses défenses. Le monde libre (ou qui se prétend tel) s’empresse de lancer une expédition scientifique et militaire afin de comprendre cet endroit, dans le but à peine officieux de l’annexer.
La Zone Zéro réserve bien des surprises aux conquérants : ce n’est nullement le territoire dévasté qu’ils s’attendent à trouver. La ville qu’ils abordent, placée sous une cloche titanesque et à l’architecture inattendue, semble peuplée d’habitants invisibles. Ceux-ci en quittent en réalité presque jamais leurs appartements, d’où ils se livrent à des jeux (rejouer la bataille de Waterloo par exemple). Mais les explorateurs se rendent compte qu’ils ne restent qu’en surface des choses et que le fonctionnement de la ville leur demeure encore secret. L’un des membres de l’expédition, Daniel, est envoyé en mission d’infiltration. On lui accorde une journée : sa mission va durer plusieurs semaines.
Très vite, voilà Daniel intégré dans la vie de la cité : il a un matricule, un appartement, un travail. On lui fait subir des tests, sans qu’il sache quand cette batterie de tests s’arrête. Pas de test = test invisible ? Son passé, il commence à l’oublier, à mesure qu’il plonge plus profondément dans les arcanes. Il comprend que la ville fonctionne sur le principe de la libre circulation. Chacun possède une barrette, indiquant sa position, qu’il est libre d’activer ou désactiver – mais les choses s’avèrent bien plus aisées quand elle est ouverte. Les biens sont libres aussi. La seule monnaie, c’est l’unique chose qui soit ici limitée : le temps de calcul. Car un ordinateur régi(rai)t la ville. D’ailleurs, nombreux sont les cyborgs à y vivre. Et le destin ultime des habitants semble être l’intégration avec ce cerveau central. Mais les choses commencent à déraper pour Daniel : l’utopie n’en est peut-être pas une… ou se situe dans un ailleurs virtuel.
Zone Zéro ne laisse d’intriguer. L’écriture se fait volontiers expérimentale dans le premier tiers du roman, alternant deux lignes temporelles : présent (l’exploration de la cité) et futur (Daniel en quarantaine, interrogé par les autorités du monde libre), ainsi que des listes, des injonctions, des programmes… Si le contexte évoque au départ un simple affrontement Est-Ouest (rappelons que le roman a été écrit en 1970), les choses se révèlent plus complexes, et l’opposition monde libre/Zone Zéro n’a rien du simple décalque USA/URSS. D’un côté, l’on a un monde se prétendant libre mais qui a tout d’une dictature militaire ; de l’autre, un territoire dont les habitants ont adopté un mode de vie individualiste et hédoniste, laissant les basses œuvres aux « primis », de grands singes semi-intelligents. Si les soldats du monde libre sont prompts à se laisser aller aux sirènes hédonistes, au grand dam du commandement militaire, la société de la Zone Zéro se trouve peut-être sur le bord de l’effondrement — mais prête à franchir le pas vers l'intégration avec l'ordonateur.
Dès Daniel entré dans le cœur de la Zone Zéro, Franke délaisse cependant la thématique utopique/idéologique pour s’interroger sur la nature de la réalité. Des questionnements proches de Philip K. Dick (naturellement) et Stanislaw Lem (Le Congrès de Futurologie en particulier), sous un angle informatique (la primauté du temps de calcul, le fait que toute simulation suffisamment poussée soit indiscernable de la réalité voire soit la réalité elle-même).
Malgré un début confus, Zone Zéro s’avère très vite d’une lecture passionnante. Et l’on ne peut que regretter qu’Herbert Franke, hormis une dizaine de nouvelles éparses au fil des années, n’ait pas été davantage traduit sous nos latitudes.
Introuvable : d’occasion
Illisible : une fois plongé dans le bain, ça va
Inoubliable : pas loin