Vous publiez ces jours-ci un nouveau livre audio dans la collection CyberDreams que vous dirigez, aux éditions du Bélial. Cela s’appelle « Bleu » et je crois qu’à l’origine il s’agit d’une longue nouvelle parue dans la revue Ténèbres, il y a une quinzaine d’années.
Oui. « Bleu » est effectivement paru dans Ténèbres, en 1999. Mais il s’agit d’une nouvelle version. Le texte a été profondément remanié pour le passage à l’oralité.
C’était déjà le cas pour votre précédent audio, « Bal à l’Ambassade ». Pourquoi remanier ces textes alors qu’ils me semblent parfaitement aboutis dans les versions publiées ?
Certains textes ne demandent aucune retouche pour une lecture à voix haute. Notamment ceux écrits « au gueuloir » comme on dit. C’est-à-dire ceux « testés » à vive voix par l’auteur, et éventuellement rectifiés dans leur écriture, « en temps réel », tout au long du processus d’écriture. À l’inverse, il y a des textes sans doute impossibles à rendre par oral : je pense à ceux qui intègrent une forte dimension visuelle, par exemple par des changements de typographie, des décalages de marges, ce genre de choses. En tout cas, moi, je ne serais pas capable de les oraliser. Concernant mes propres textes, on a souvent fait la remarque que j’avais volontiers une écriture cinématographique, très visuelle, avec des longs plans séquences. Plusieurs critiques ont aussi remarqué que mes textes intégraient une forte dimension sensorielle : c’est vrai que je m’efforce de faire appel à toute la palette sensorielle, vue et ouïe en premier, comme la plupart des écrivains, mais aussi goût, odorat et toucher. Il me semble important de plonger le lecteur dans un bouillonnement sensoriel.
C’est difficile à rendre à haute voix ?
Non, je ne crois pas. C’est une question d’écriture. En fait, la réécriture de mes textes pour ce passage à l’oralité consiste surtout à découper les longues phrases en segments plus courts, avec une information par phrase. J’enlève aussi une partie des adverbes. De règle générale, je pense que l’on utilise toujours trop d’adverbes. Les utiliser est une solution de facilité.
Peut-on dire que les nouvelles versions de vos textes sont moins littéraires, alors ?
Mon dieu, j’espère que ce n’est pas ainsi que les gens les perçoivent ! Non, non ! C’est simplement une autre manière de dire la même chose, de transmettre les mêmes émotions.
Peut-on dire que ce que vous proposez est proche du conte ?
Je ne crois pas. Enfin, « proche » peut-être… dans une certaine mesure. Ne serait-ce parce qu’il s’agit de littérature orale, mais ce n’est pas du conte au sens traditionnel. Je ne suis pas conteur, je suis écrivain. J’essaie d’intéresser le public par un passage à l’oralité de certains de mes textes. Je crois que ça reste de la littérature écrite… mais « dite ». J’ai beaucoup fréquenté le milieu du conte pendant une dizaine d’années, car j’accompagnais une conteuse sur scène, en tant que musicien. À dire vrai, je ne suis pas un grand fan du conte, et j’apprécie peu de conteurs. C’est rarement exceptionnel sur le plan littéraire (la langue) et pas davantage sur le plan visuel (la théâtralisation, si on peut dire). Mes copains conteurs m’expliquaient souvent que je prenais le conte pour ce qu’il n’était pas : ce n’est pas de la littérature et ce n’est pas du théâtre. Et que donc je ne le comprenais pas. Ils avaient sans doute raison.
Vous dites que vous êtes écrivain mais vous êtes aussi musicien.
Oui. J’ai toujours travaillé à la fois dans le monde de l’édition, comme écrivain, essayiste, traducteur, critique, etc., et dans le monde du spectacle, comme musicien et compositeur. Et également parolier.
Est-ce qu’on peut dire que la spécificité des livres audio que vous publiez dans votre collection, est le fait d’intégrer une forte composante musicale ?
Oui, c’est exactement ça. Je m’efforce de donner à l’habillage sonore, dont la musique n’est qu’un aspect, la même importance que « l’histoire » racontée par la voix.
La voix reste toutefois l’élément central. Elle est mixée très en avant de la musique. Donc, quelque part, l’aspect littéraire est tout de même privilégié ?
On peut le voir comme cela. Si la musique est trop présente, elle détourne l’attention de l’auditeur. Il faut alors faire un effort pour se concentrer sur ce que « raconte » la voix. On connaît d’ailleurs bien le phénomène : la plupart des gens ne savent pas ce que racontent les chansons qu’ils entendent. Je ne parle pas de la « chanson à texte » comme on dit, mais de ce que tout un chacun entend à la radio, par exemple. On retient le refrain mais souvent on ne sait pas ce que disent les couplets ! Pour en revenir à votre question, la musique est tout de même très importante. Pour « Bleu », j’ai travaillé quasiment un mois à temps plus que complet, juste pour composer la musique, l’enregistrer et mixer le tout. J’espère que ce travail s’entend !
Parlons de la musique, alors. Dans la liste des instruments que vous avez utilisés ne figure aucun clavier, ni piano ni synthétiseur, alors qu’ils sont très présents dans les précédents audio.
J’ai utilisé un piano classique dans « Bal à l’Ambassade » et les synthétiseurs constituent vraiment l’ossature de « La Dernière chance ». Dans « Bleu », il n’y a que des instruments à cordes. Enfin, pas tout à fait : à un moment, j’utilise des bols tibétains pour obtenir des sons cristallins et très purs, et une des pistes s’ouvre sur une sorte de rondeau un peu médiévalisant dans lequel j’utilise des flûtes. Mais sinon, je n’utilise effectivement que des cordes.
Des guitares, je suppose ?
J’utilise deux guitares électriques à six cordes, une guitare slide à dix cordes et, ponctuellement, un dulcimer des Appalaches acoustique.
C’est un instrument ancien ?
Oui. Il a été longtemps utilisé dans la musique populaire européenne avant de quasiment disparaître au dix-neuvième siècle. Des colons l’ont emporté avec eux en Amérique et il survécu dans la région des Appalaches. Quand il y a eu la grande vague de renaissance de la musique folk, dans les années septante, le dulcimer a fait sa réapparition. Quasiment personne ne l’utilise en Europe mais il est très populaire en Amérique, dans la musique traditionnelle.
Vous utilisez vos guitares d’une manière tout de même assez étonnante. On entend des nappes plutôt complexes, de longues tenues de notes, des effets de battements ou de déphasages. Vous produisez vraiment ces sons uniquement avec des guitares ?
Et avec des pédales d’effet, bien sûr. Et avec trois ou quatre effets additionnels proposés dans Audacity 2. C’est le logiciel dans lequel j’importe les fichiers .wav de tout ce que j’enregistre, pour en faire le mixage, et ensuite les exports .mp3 et .ogg que mon éditeur propose en téléchargement.
Vous pouvez nous en dire plus ? Ou est-ce secret ?
Vous savez, n’importe quel musicien qui tripote des machins électroniques finit par trouver des petites choses plus ou moins intéressantes. J’utilise des guitares équipées de micros qui ont un gain important. Il faut de la sauce au départ ! Pour les nappes, j’utilise une pédale Electro-Harmonix qui simule un sitar. En pratique, on choisit une tonalité, et la pédale rajoute des harmoniques à la manière des cordes sympathiques d’un sitar. On peut choisir ces harmoniques, les modifier, les doser. C’est effroyablement compliqué et pas mal aléatoire : il m’est arrivé de générer un effet super et de ne jamais parvenir à le retrouver. Comme sur les vieux synthés analogiques. J’utilise aussi un delay et un flanger en principe étudié pour la basse. Au final, j’arrive à avoir des tenues intéressantes, très riches en harmoniques. Ensuite, il y a le travail de sous-mixage et l’utilisation d’autres effets, en particulier de la réverbération, de l’écho, éventuellement une inversion du sens de lecture. Selon l’ordre dans lequel on applique ces effets, on obtient des choses très différentes. Et puis on peut aussi utiliser la fonction de copier-coller pour allonger des sons, mais c’est assez risqué parce que les raccords sont difficiles, justement à cause de la fluctuation des harmoniques.
À vous entendre, on se dit que cet aspect « bidouille » vous plaît bien !
C’est vrai. Je peux passer des heures à triturer des petits morceaux de « sons » pour obtenir au final dix secondes de musique. Les logiciels de mixage et les effets sont des outils formidables. Mais il faut prendre garde à ne pas se laisser dépasser. L’effet pour l’effet, ce n’est pas de la musique. Ce sont simplement des outils supplémentaires qui vous aident à sortir de votre tête les sons que vous y entendez, les sons dont vous rêvez.
Dans les deux dernières pistes de « Bleu », il y a des espèces de fulgurances sonores, des scintillances qui semblent surgir du néant. Il y a un aspect fantomatique.
Au départ ce sont de courtes phrases musicales de quelques secondes, jouées sur une guitare slide à dix cordes, accordée en open tuning, en utilisant un bottleneck en métal chromé. On attaque les cordes de manière assez sèche, sur un accord parfait, puis on fait glisser le bottleneck sur les cordes, jusqu’à la note (ou jusqu’aux notes) que l’on veut atteindre. Ça fonctionne dans un sens comme dans l’autre : on peut monter ou descendre. C’est l’idée. En suite, il s’agit d’habiller ces petits morceaux de musique. On peut, par exemple, les retourner — comme lorsqu’on coupait une bande magnétique et qu’on la lisait à l’envers dans un magnétophone. Puis on applique une grosse réverbération sur la phrase retournée, avant de la remettre à l’endroit. Du coup, la réverbération vient avant la note. Ça fait comme un vortex qui s’ouvre dans l’espace et tout d’un coup une note surgit du néant, précédée/annoncée par une sorte de souffle chuintant ! On la laisse s’épanouir pendant deux ou trois secondes, puis on lui colle un gros écho juste avant qu’elle ne s’éteigne, pour produire une petite cascade qui va en s’amenuisant… Ensuite on dessine une enveloppe sur tout cela, pour régler le volume sonore et pour susciter une disparition finale en douceur. Ce n’est qu’un exemple. Il y a évidemment des choses beaucoup plus compliquées. Raconté ainsi, ça peut paraître abscons ! Il faut l’écouter !
Vous avez une idée des prochains titres dans la collection ?
Je pense enregistrer une version studio d’un spectacle qui a été donné lors de l’inauguration de l’Espace Jules Verne, à la Maison d’Ailleurs. Il s’agissait d’une adaptation de « Maître Zacharius », une nouvelle fantastique de Jules Verne. J’en avais composé la musique. Dans un premier temps, je compte enregistrer le texte original complet, bien entendu sans la moindre retouche. Et puis voir comment ma musique pourrait s’y intégrer. Sinon, j’aimerais beaucoup publier dans la collection CyberDreams d’auteurs auteurs et d’autres compositeurs, mais je ne reçois aucune proposition.
L’exercice est trop difficile ?
Je ne pense pas. Je crois plutôt que les gens attendent de voir ce qui se passe. C’est un énorme travail, vous savez ! CyberDreams, c’est mon bébé alors je ne compte pas mon temps ni mon énergie. Mais c’est peut-être beaucoup demander à d’autres personnes, sans rien savoir d’éventuelles retombées financières. Mais j’ai bon espoir.
Vous serez aux prochaines Utopiales de Nantes ?
En principe, oui. Je viens voir les copains et essayer de faire un peu de promo pour les premiers livres audio publiés.
Merci d’avoir répondu à mes questions.
Merci à vous.