« Ce matin, en me réveillant, je me suis demandé : "Au fait, Francis, tu vas l’appeler comment, ta collection de livres audio ?". Ah ! Nommer les projets, les dire… c’est leur donner un début d’existence. En principe, je ne suis pas trop manche pour trouver les titres de mes nouvelles ou de mes romans, des noms aux revues et aux collections que j’ai créées au fil des bientôt quarante dernières années. Je crois qu’une de mes réussites — si je me réfère aux commentaires que je vois à l’occasion sur internet – est la revue CyberDreams. » L'occasion de revenir sur la création et l'historique de cette revue parue entre 1994 et 1998.
Journal d'un homme des bois, 5 juin 2014
Ce matin, en me réveillant, je me suis demandé : « Au fait, Francis, tu vas l’appeler comment, ta collection de livres audio ? ». Ah ! Nommer les projets, les dire… c’est leur donner un début d’existence. En principe, je ne suis pas trop manche pour trouver les titres de mes nouvelles ou de mes romans, des noms aux revues et aux collections que j’ai créées au fil des bientôt quarante dernières années. Je crois qu’une de mes réussites – si je me réfère aux commentaires que je vois à l’occasion sur internet – est la revue CyberDreams. Ou les nouvelles technologies (d’il y a vingt ans !) confrontées à la force de nos désirs, de nos attentes, de nos rêves les plus fous. Pour moi le mot « CyberDreams » était de même nature que l’expression « Grandiose Avenir » que l’on utilisait dans les années cinquante. Et l’une de ses formes résidait également dans sa graphie, avec ce D majuscule au milieu du mot, compromis visuel entre Cyber Dreams et Cyberdreams.
CyberDreams … à propos de laquelle je lis, souvent, des commentaires, présentés comme factuels et historiques, qui ne correspondent pourtant pas aux souvenirs que j’ai de cette aventure éditoriale et humaine. Ma foi, une pensée en entrainant une autre, une envie finit par émerger : et si je donnais « ma » version de la chose ? Ce serait une manière de contribution à la petite histoire de la Science-Fiction en francophonie – et si je parle de francophonie plutôt que de France, c’est que tout commence un jour de l’été 1990, à Liège, en Belgique.
Nous sommes au domicile de notre regretté camarade Serge Delsemme, en compagnie de charmants individus – je me souviens nettement de la présence de Dominique Warfa, Raymond Milési, Bernard Dardinier, Pierre Stolze, Sylvie Denis, Anne Smulders… Officiellement, Serge est l’organisateur de la rencontre annuelle du groupe Remparts. Dans la pratique, nous sommes vautrés dans les fauteuils déglingués de sa salle de séjour, à lire des bédés de chez Dupuis-Lombard à l’état d’épaves (on est en Belgique !) et à boire de la Jupiler (sauf moi, qui carburait à l’époque au whisky, la bière m’apparaissant comme trop « peuple »). Sur un coin de chaise, l’air un peu coincé mais tout à fait sympathique, se trouve un jeune homme nouveau dans l’aventure – un certain Henri Dhellemmes, venu du sud de la France, en tant que jeune éditeur davantage qu’auteur. Sa maison d’édition s’appelle …Car rien n’a d’importance. Quelques mois plus tôt, Henri avait édité un recueil de nouvelles de notre vieux collègue en végétarisme et science-fiction, Jean-Pierre Andrevon, dans une collection de petits livres au format très agréable, joliment titrée « Le Pont aux Anes ». C’est du beau travail. Le courant semble bien passer entre nous. Quelques semaines plus tard, je propose donc à Henri un recueil de trois nouvelles pour cette collection : deux ont été publiées dans Fiction en 1989, sous le pseudonyme de Kevin H. Ramsey. A l’époque, j’étais interdit de séjour dans les pages de la revue (où j’avais à peu près tout fait pendant quelques années, des éditoriaux au courrier des lecteurs, pas forcément sous mon nom ni même crédité – il faudra qu’une autre fois je vous raconte mes aventures dans Fiction !) ; ces nouvelles, de même qu’un essai signé Eric J. Blum sur Eric Frank Russell, avaient donc été transmises à la rédaction par Pascal Thomas, soi-disant qu’elles étaient l’œuvre de son cousin. Tout cela avait été publié et payé sans problème – sans que personne ne soupçonne que Ramsey et Blum étaient des avatars de l’infâme Valéry. Mort de rire. Une troisième nouvelle, inédite, complète le manuscrit qui est accepté et paraît sans tarder, en mai 1991, sous la signature Kevin H. Ramsey et sous le titre La nuit, tous les martiens sont verts. Petite parenthèse : les éditeurs de SF ont, en général, une trop haute opinion d’eux-mêmes et de la SF pour se permettre d’en rire. L’envoi d’un manuscrit de SF marrante, par un auteur indigène, est donc systématiquement perçu comme un foutage de gueule à leur encontre. En matière d’humour, ils ne publient que des traductions de textes ayant fait leurs preuves dans leur langue d’origine (Brown, Sheckley, Adams, Lem…). Il faut savoir qu’à cette époque, les éditeurs de SF parisiens vivaient avec en permanence un balai dans le cul. Maintenant qu’ils sont tous morts, on peut bien le dire. (Ah, on me signale que Gérard Klein n’est pas mort, désolé, je l’ignorais). Bref, les textes que j’ai écrits sous le pseudonyme de Kevin H. Ramsey ont toujours été refusés par les éditeurs « sérieux » à qui je les proposais. Dans sa grande clairvoyance, Henri Dhellemmes édite donc le premier recueil de Ramsey. Bonne idée, car si les éditeurs n’aiment pas la SF qui fait rire, les lecteurs adorent. Mon petit livre a une bonne presse et un excellent accueil en librairie (bon, le tirage n’est pas non plus extravagant), du coup il est réédité un an plus tard, en juillet 1992.
Entretemps, j’ai écrit un petit machin sur la série TV Les Envahisseurs. Curieusement, alors qu’il existe pas mal d’ouvrages étasuniens sur les séries télé les plus improbables, il n’en existe pas sur Les Envahisseurs. Je démarche vaguement plusieurs éditeurs qui, avec un bel ensemble, m’envoient sur les roses avec pour seul motif que les séries télé ne sont pas un sujet digne d’étude, et que, de toutes façons, ça n’intéressera jamais personne puisque les gens qui sont fans de séries télé sont, à l’évidence, des illettrés. En plus du balai dans le cul, on peut ajouter la totale atrophie de la glande à percevoir l’air du temps. Pas manchot, j’édite moi-même un opuscule simplement titré Les Envahisseurs, j’en fabrique cent exemplaires dont un que j’envoie à Jacques Baudou, une des rares personnes, à l’époque, à s’intéresser au sujet. Jacques signale la sortie de mon petit machin dans les pages littéraires du quotidien Le Monde, et donne mon adresse. Dans la semaine qui suit, tout le tirage est vendu par correspondance, pour l’essentiel à des gens qui ont lu l’articulet dans Le Monde. J’en parle à Henri qui accepte aussitôt mon idée de créer une collection placée sous ma direction : Le Guide du Téléfan. En septembre 1992 paraît le premier ouvrage, une version considérablement augmentée et enrichie d’une iconographie, de mon livret sur Les Envahisseurs. Les mille exemplaires du premier tirage se vendent en librairie en quelques semaines.
Dans la foulée, j’écris et publie un livre sur les Thunderbirds qui paraît en février 1993 – et qui a moins de succès, car la maison de production nous a interdit d’utiliser du visuel. Le livre est donc un peu triste, peut-être trop gros (j’ai fait des résumés trop détaillés des épisodes, un peu pénibles à lire) et le sujet est sans doute moins porteur. Le mois suivant, Henri décide de réimprimer Les Envahisseurs – la mise en place en librairie écoule d’emblée une bonne partie du tirage de cette seconde édition, que l’on distingue de la première par la suppression des rabats de couverture, trop coûteux à réaliser, et compense le semi-échec du deuxième livre. Nous sortons ensuite un essai sur Twin Peaks qui fait un malheur – avec trois réimpressions. En octobre 1993, je publie mon essai sur la série V, en décembre celui sur Le Prisonnier : nouveau très gros carton en librairie. La collection Le Guide du Téléfan s’avère être un beau succès et démontre qu’une minuscule maison d’éditions établie à la campagne peut se faire une place en librairie. Et incidemment que les éditeurs parisiens ont la vue aussi courte que le balai enfoncé profond. Il faut aussi préciser que le format des ouvrages est original, agréable, élégant. Et que les couvertures ainsi que les maquettes, réalisées par Henri, sont simplement parfaites sur le plan esthétique. Nos livres sont beaux.
De son côté, Henri a lancé quelques mois plus tôt une nouveau collection : Fantom, dans laquelle il souhaite publier du fantastique et de la SF. Il a commencé par un recueil des textes de jeunesse de Serge Brussolo titré Chants opératoires. Je lui propose, comme second volume, la traduction d’une nouvelle de Greg Egan, « Appropriate Love », que Sylvie Denis a repérée dans un numéro d’Interzone. Sylvie et moi traduisons le texte, je décide, pour la publication en volume, de l’appeler Baby Brain – cela peut sembler curieux de traduire un titre en anglais par un autre titre… en anglais ! Mais je trouve que ça sonne bien, que ça a un parfum un peu mystérieux, et Henri joue le jeu avec une couverture représentant une statuette rituelle africaine percée de clous, avec un trou à la place du ventre. Le livre paraît en avril 1994. Il est magnifique et ne se vend pas trop mal. Il marque l’entrée de la maison d’éditions, qui s’appelle toujours …Car rien n’a d’importance, dans la SF contemporaine de langue anglaise, alors en plein renouvellement – si ce n’est que personne ne le sait encore, en France, à part sans doute Sylvie Denis et le regretté Pierre K. Rey. Nous y reviendrons.
En début d’année, Henri a engagé un tout jeune attaché de presse, à peine sorti d’une école spécialisée : Pierre Fageolle, connu aujourd’hui comme auteur-compositeur sous le nom de Pierre Faa et leader du groupe Peppermoon qui cartonne régulièrement en Asie. Pierre est le meilleur attaché de presse que j’ai jamais connu – il me fait d’ailleurs passer une année un peu infernale en m’obtenant des interviews dans un nombre incroyable de supports de presse écrite et des participation à des émissions de radio. Ca devient l’usine ! Le Guide du Téléfan bien établi – reste encore à venir les très gros succès de mes trois livres sur X-Files – et le virus SF entré dans la place via le Baby Brain de Greg Egan, je propose une nouvelle collection à Henri qui l’accepte : Héros. Il s’agit de consacrer un essai à un personnage majeur de la littérature, populaire ou non, en le considérant comme une personne réelle, l’auteur de ses aventures étant donc présenté comme le biographe du héros.
En septembre 1994, je fais paraître le premier titre que j’ai écrit dans le courant de l’été : Bob Morane. Grosse presse, bonnes ventes. Je sens qu’Henri me fait désormais confiance. Je lui présente donc, en douceur, un projet relatif à la Science-Fiction : une revue au format livre qui serait donc distribuée uniquement en librairie. Cela fait un moment que je réfléchis à un titre. Il faut surfer sur l’air du temps et donc j’estime que la revue doit s’appeler « Cyber quelque chose », et quoi de mieux, pour le quelque chose en question, que d’être associé à l’idée de rêve, dans le sens positif du terme. La SF a trop longtemps valorisé les visions cauchemardesques. Ras le bol ! Façonnée par mes lectures adolescentes, inspirée par mon amour pour la SF étasunienne des années cinquante, ma part technophile a envie d’affirmer que le futur peut aussi être une superbe aventure. Ca ne dépend que de nous. La revue s’appellera donc CyberDreams.
En 1994, sur le plan commercial, la Science-Fiction est dans une situation désespérée. Il n’y a plus aucune revue professionnelle – Fiction s’est sabordée en 1990, après presque quarante ans de bons et loyaux services ; après un passage à un rythme annuel, Univers a également disparu en 1990. Les collections se portent mal, les ventes se sont effondrées. Les auteurs français sont quasiment réduits au silence, sauf ceux qui se réorientent vers le polar ou la littérature jeunesse. Est-ce la mort de la SF, comme on le lit parfois ça et là ? Pas sûr. Une chose est certaine, si en France on n’est plus dans le coup, en Grande Bretagne, par contre, une vraie révolution est en marche. Elle s’appelle Interzone, du nom d’une revue qui ne cesse de révéler de nouveaux talents. Nous sommes quelques-uns à le savoir, en particulier Sylvie Denis qui a vécu quelque temps en Angleterre et qui est une fidèle lectrice de la revue, en particulier Ellen Herzfeld et Dominique Martel qui suivent de très près la SF anglophone, et en ont une parfaite connaissance. Je dois bien avouer que ce trio au centre duquel j’évolue – je vais souvent à Paris pour la promotion de mes livres et voit régulièrement Dom et Ellen, et passe souvent mes week-ends avec Sylvie qui vit désormais à Cognac – en sait infiniment plus que moi sur la question, ne serait-ce que parce que le temps que je peux consacrer à la lecture est de plus en plus réduit. Mais tous, nous avons envie de faire quelque chose. Dom et Ellen usent de leur influence sur les Editions Encrage, de notre ami Alain Fuzelier, pour que soit lancée une collection de SF qui serait placée sous ma direction – je propose qu’elle soit sous la double direction de Sylvie et moi, car il est évident que son rôle sera essentiel. Je décide d’un nom de collection : Pulsar. Comme premier volume, je souhaite traduire un roman inédit en français (et qui, à ma connaissance, l’est toujours) de Theodore Sturgeon : Godbody ; ce me semble raisonnable sur le plan commercial, en cela que le coût financier de ce premier volume serait sans doute amorti assez vite. Sylvie qui n’a pas lu le livre ne s’oppose pas à ce choix, mais Dom et Ellen estiment que ce serait une erreur. Nous en discutons et tombons d’accord sur le fait d’annoncer d’emblée la couleur en publiant une anthologie de la revue Interzone. Je décide du titre et du sous-titre : Century XXI, La nouvelle fiction spéculative britannique. Je demande à Sylvie de choisir les nouvelles – et je confirme ses choix à leur lecture. Nous traduisons ensemble les textes.
Nous voilà à l’été 1994. Je reviens vers Henri avec le projet CyberDreams – sous-titré : « Les nouveaux Mondes de la Science-Fiction ». J’ai encore peaufiné ma copie, en particulier j’ai décidé que chaque numéro porterait un titre relatif à une thématique – afin d’accentuer le côté « série d’anthologies ». J’assumerai la direction générale de la revue, je chapeauterai tout le rédactionnel (chronique littéraire, reportages, entretiens, essais… dans la pratique j’écrirai moi-même quasiment tout), je sélectionnerai les nouvelles francophones (Jean-Claude Dunyach me donne un texte magnifique, « La Station de l’Agnelle »). Je fais également des propositions qui m’engagent financièrement, comme celle de payer de ma poche tous les contributeurs – en particulier les auteurs anglo-saxons et les traducteurs ; en échange je demande à Henri une centaine d’exemplaires que je m’efforcerai de vendre afin d’essayer de me rembourser ; de fait, je lance des souscriptions, commence à gérer des abonnements…
Dans le contexte, lancer une revue de SF – avec la collection associée que j’ai aussi en tête, mais ça je n’en parle pas encore à Henri – ressemble tout de même à un pur suicide. Nous en parlons entre nous, nous en parlons à notre distributeur et à notre diffuseur, ils en parlent aux libraires… et les commentaires qui nous reviennent sont assez stupéfiants. En gros, tout le monde pense qu’un livre-revue trimestriel de Science-Fiction ne peut qu’être un échec commercial… mais que si un éditeur peut réussir le tour de force de démontrer le contraire, alors ce ne peut être que cette minuscule maison de fous furieux qui a cassé la baraque avec ses livres aussi beaux qu’originaux, avec ses collections novatrices et complètement dans l’air du temps, avec son attaché de presse au look de farfadet mais aussi opiniâtre qu’un pitt-bull. Donc les commerciaux (distributeur, diffuseur) joueront le jeu et s’efforceront de promouvoir CyberDreams, et pas mal de libraires sont d’accord pour offrir à la revue une bonne exposition. Magnifique ! Qu’attendons-nous, alors ?
Eh bien… nous attendons les Éditions Encrage qui ont pris du retard dans la fabrication du livre, pour des histoires de rejet de demande de subvention. Depuis Bordeaux, ce me semble compliqué. Je n’y comprends rien. De toute façon, ce n’est pas de mon ressort. Mais ce retard ne m’arrange pas, car j’avais une stratégie en tête : sortie de Century XXI à la rentrée de septembre 1994, présentée comme l’anthologie-manifeste d’une Nouvelle Science-Fiction, puis, dans la foulée, sortie pour Noël 1994 de CyberDreams 01 : Les mondes virtuels, présentée comme la revue trimestrielle de ce nouveau mouvement littéraire. Bon, c’était un peu forcer sur les jointures ! Mais jouer la carte du « mouvement littéraire » n’aurait pu qu’être bénéfique en termes d’impact médiatique. Finalement, Century XXI sort en avril 1995, juste après CyberDreams 02 : Banlieues stellaires et peu avant CyberDreams 03 : Futurs au quotidien.
Ne pouvant tout de même pas tout faire, je propose dès le départ à Sylvie Denis de m’assister dans le choix des textes anglo-saxons. Dans la pratique, je lis assez régulièrement les revues étasuniennes que j’achète auprès de l’ami Robert Weinberg – je retiens en particulier quelques textes dans Analog et F&SF – tandis Sylvie se concentre sur les supports britanniques, en particulier Interzone. Officiellement, c’est-à-dire tel que précisé dans la revue, Henri, en tant qu’éditeur en est bien entendu le directeur de publication, tandis que j’en suis le rédacteur en chef. Et j’ai fait ajouter la mention « Direction littéraire (nouvelles anglo-saxonnes) : Sylvie Denis et Francis Valéry ». Pendant un peu plus d’un an, la répartition des tâches est celle-ci, et pas une autre. Jusqu’à ce que je doive abandonner la lecture régulière des revues étasuniennes, simplement par manque de temps, et que je propose à Sylvie de s’occuper seule du choix des nouvelles de langue anglaise. La chose est officialisée sans tarder par la mention « Directrice Littéraire : Sylvie Denis » que je fais ajouter à partir du cinquième volume. Voilà, cela s’est passé ainsi et pas autrement.
La revue a rapidement trouvé son rythme de croisière, les numéros s’épuisaient gentiment. Elle ne gagnait pas vraiment d’argent, mais elle n’en perdait pas. Et elle était une sacrée carte de visite pour la maison – rebaptisée DLM Editions en juin 1995 (encore un nom que j’ai trouvé). Et puis, après la parution du dixième volume, Henri a souhaité changer de formule : format réduit, prix plus abordable (42f au lieu de 69f), tirage beaucoup plus important. J’ai refusé. Pour moi, CyberDreams devait rester cette revue élégante, un rien aristocratique, parfois arrogante, que l’on devait désirer et mériter… Quelques mois avant la parution de CyberDreams 10 : Amours Virtuelles, deux nouvelles revues de SF avaient fait leur apparition : Bifrost, éditée par une bande de branleurs forçant la sympathie, et Galaxies, avec son look universitaire et sa propre collection de balais... Je n’ai jamais su si Henri s’était senti menacé par cette concurrence – qui n’en était vraiment pas une, autant comparer un blended avec un single malt ! N’ayant pas mon mot à dire quant à cette stratégie et n’ayant jamais été le moins du monde carriériste, je suis simplement parti sans faire d’histoires, en demandant toutefois à ce que Sylvie Denis, si elle le souhaitait, puisse me succéder. C’était à mes yeux très « romantique ». Ce qu’elle fit apparemment sans état d’âme – sans doute pensait-elle que cette revue était importante, et que puisque je faisais ma tête de lard, il fallait bien que quelqu’un reprenne la barre. Hélas, en seulement deux misérables petits numéros pas beaux, Sylvie aux manettes et Henri à la maquette, les ventes du nouveau CyberDreams se sont effondrées à quasiment rien. La nouvelle formule n’a pas intéressé ceux que l’ancienne n’intéressait pas ; et ceux que l’ancienne intéressait ne se sont pas retrouvés sur cette petite chose un peu pitoyable. A moins de penser qu’il existait peut-être un lien fusionnel, une profonde alchimie, entre la revue et son créateur… et que couper ce lien lui a été fatal. Qui sait ? De cette débâcle, je me souviens seulement du commentaire d’Olivier Girard, alors tout jeune éditeur de Bifrost : pour lui, tout cela était simplement un beau gâchis. Il avait raison.
En regard de ce qui précède, je suis donc toujours un peu étonné quand, sur Wikipédia ou ailleurs, je lis que CyberDreams aurait eu des « co-fondateurs »… ou tout autre commentaire visant à minimiser mon rôle – ou à mettre des tierces personnes à une place qui n’est pas la leur. J’ai mené seul, pendant plusieurs années, un travail de réflexion sur la nécessité de créer une nouvelle revue de Science-Fiction, en m’appuyant sur mes nombreuses expériences – dès 1980, j’ai créé et dirigé une revue de SF professionnelle, diffusée au plan national : Opzone. J’ai conceptualisé CyberDreams seul. J’ai peaufiné mon projet seul. J’ai dépensé sans compter mon temps et parfois mon argent pour que cette revue existe. Si CyberDreams a rencontré le succès, c’est bien entendu aussi grâce au talent de maquettiste d’Henri Dhellemmes et à la pertinence des choix littéraires de Sylvie Denis. Pendant toute la période où j’ai été en charge de sa direction (les dix premiers numéros) et de celle de la collection associée (dans laquelle j’ai publié Sylvie Denis, Greg Egan, Ian Banks, Eric Brown…), j’ai toujours veillé à ce que justice soit rendue aux gens qui faisaient concrètement les choses. Je ne me suis jamais rien approprié dont je n’étais, de fait, l’auteur ou le responsable. Je me sens donc d’autant plus à l’aise pour rappeler, puisqu’il semble que cela soit nécessaire, que c’est moi qui ai créé cette revue et que je l’ai créé seul.
« C’est bien beau, tout cela, mon bon Francis, mais ça ne nous dit pas comment tu vas appeler ta collection de livres-audio ? ». C’est vrai.
Et si on l’appelait… CyberDreams ?