Journal d'un homme des bois, 4 juin 2014

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jhb-20140604-une.jpg« "Oui, Francis, il y a un temps pour tout, il ne faut pas en douter, mais justement, voici venu le temps, non pas des rires et des chants, et certainement pas sur l’île aux enfants, mais bien celui de créer une collection de livres audio, ici et maintenant." On a les références qu’on peut et j’avoue trouver Casimir plus drôle de Godzilla. » Du fond de sa cabane au fond des bois, Francis Valéry nous entretient de ses projets…

Ce matin, en me réveillant, je me suis demandé : « Francis, c’est bien beau tout ça, des livres audio, une collection pour les accueillir, un éditeur à trouver… Mais franchement, as-tu vraiment le temps pour ces nouvelles escapades créatives, certes charmantes en elles-mêmes, alors que tu es en permanence à la rame, tant pour tes petits travaux muséographiques que pour t’occuper de ton jardin ? ». J’avoue que c’est une bonne question, et je me remercie de me l’avoir posée. Comme disait Confucius : « Il y a un temps pour tout. ». Le Grand Homme faisait sans doute allusion à l’une de mes novellas parmi les plus remarquables, parue dans Moissons futures, une anthologie réunie par Daniel Conrad, et qui, justement, était titrée « Un temps pour tout ». À moins que ce ne fut le contraire. À moins également que la formule ne soit point de Confucius mais plutôt de Lao-Tseu — ou peut-être même de Pierre Desproges, ce qui, il faut le dire, ouvrirait des perspectives tout à fait intéressantes. Mais là n’est pas le sujet. « Oui, Francis, il y a un temps pour tout, il ne faut pas en douter, mais justement, voici venu le temps, non pas des rires et des chants, et certainement pas sur l’île aux enfants, mais bien celui de créer une collection de livres audio, ici et maintenant. » On a les références qu’on peut et j’avoue trouver Casimir plus drôle de Godzilla. Fin de la parenthèse.

Histoire d’arrêter de penser — et donc d’écrire — n’importe quoi, je suis allé me faire un bon café. De retour à mon bureau — en l’occurrence la vieille table de cuisine de l’une de mes grands-mères, sur laquelle j’ai posé un ordinateur surmonté d’une imprimante, et un scanner, lui-même recouvert en quasi-permanence par mon portable, avec un troisième écran et une seconde unité centrale sur une rallonge, l’ensemble envahi de pots avec des crayons et des stylos, ce qui, il faut l’avouer, ne laisse guère que la place indispensable pour poser une tasse de café... de retour à mon bureau, disais-je, l’idée jaillit, singulière, pertinente et parfaitement honorable : je vais commencer la collection par « La Dernière Chance ». Qu’est-ce ?, n’allez-vous pas manquer de me demander, petits canaillous que je vous devine. Je vais vous le dire.

Au printemps dernier (celui de 2013, donc), j’ai été approché par une personne de la programmation culturelle du Musée des Confluences, à Lyon, pour participer à une soirée sur un thème pas encore tout à fait défini mais qui serait en rapport avec l’astronomie, l’espace, les galaxies, la science-fiction et toutes ces choses. En quelques semaines, entre la construction de nouveaux bacs à plantation et l’enregistrement d’un audio-guide pour la Maison d’Ailleurs, j’ai rédigé le premier jet d’une nouvelle de SF pour tout public — j’entends par là qu’il s’agit d’un texte dont la problématique est aisément compréhensible et qui peut « parler » à tout un chacun. Les fans purs et durs trouveront sans doute ce texte neuneu et dépourvu d’originalité. Il l’est peut-être mais vous savez quoi ? C’est fait exprès ! Le principal (et récurrent) problème de la science-fiction d’expression française, est que celle-ci, pratiquement depuis son origine en tant que genre autonome et clairement identifié, soit depuis le tout début des années cinquante, se partage entre les œuvres populaires (parfois populistes) écrites au lance-pierre et les œuvres élitistes (parfois illisibles) qui s’adressent à un public des plus restreints. On dira que j’exagère. C’est vrai : j’exagère. Ou plutôt : je simplifie. Mais pas tant que cela. Dans la pratique, ce fut longtemps, d’une part la collection Anticipation du Fleuve Noir, d’autre part la revue Fiction et la collection Présence du Futur. En somme Maurice Limat contre Emmanuel Jouanne — pour citer deux auteurs que j’ai plutôt bien connus, n’ayant rien en commun, également respectables, l’un et l’autre décédés. Le grand écart. Et je vais aussi vous dire ceci : le grand écart, y’en a marre !

Le texte de « La Dernière Chance » a été accepté et on m’a donné carte blanche pour la musique. J’ai donc composé un mini-opéra en cinq mouvements, avec pour fil conducteur l’idée que l’ordre est une propriété émergente du chaos — à savoir que l’ordre finit toujours par se révéler, c’est ainsi, c’est sa nature, avec ce corollaire que l’univers est donc potentiellement parfaitement organisé (pour prendre une image parlante : on n’invente pas les mathématiques, on les découvre). De la matière émerge la vie, de la vie émerge la conscience, de la conscience émerge l’intelligence et la compréhension. Ainsi, la musique du premier mouvement est plutôt chaotique et utilise deux générateurs de sons : des bruits blancs filtrés, multipliés et mélangés, puis travaillés en jouant sur le cutoff et la résonance — pour le dire simplement. En cours de route apparaissent des harmoniques vraies (non tempérées) par le découpage d’une simple corde (produit avec une guitare classique), ce qui fait émerger la notion de mélodie. Peu à peu, j’introduis des instruments acoustiques (piano dans le deuxième mouvement, flûte de Pan dans le troisième, violoncelle dans le quatrième) accordés cette fois de manière tempérée : cela signifie que les notes de la gamme sont fixées sur une échelle où les demi-tons sont égaux, ainsi un do dièse aura la même fréquence qu’un ré bémol, ce qui est une approximation en regard des harmoniques naturelles. Dans ce système, d’usage en occident, seule la quinte (le sol, dans une gamme qui commence au do) est à peu près juste, toutes les autres notes sont plus ou moins fausses, d’un point de vue « naturel ». Dans la quatrième partie, on bascule même totalement en mode « culturel », avec une suite harmonique remarquablement évidente, niveau première année de conservatoire, survolée de mes petites mains aux doigts souples et légers, à la manière baroque (violoncelle, flûte, nappes de violons numériques…).

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On comprendra que le grand écart auquel j’ai fait allusion ci-dessus, trouve une manière de résolution en confrontant l’intellectualisme de ma musique et la simplicité de la narration. J’ai enregistré les pistes de musique en octobre, dans mon studio, et ai réalisé un premier mixage de travail, sans effets ajoutés sur les prises « sèches », mais avec quelques idées exprimées quant au panoramique. Puis je suis parti à Saint-Etienne, chez mon vieux camarade Jean-Jacques Girardot où nous avons enregistré la voix — Jiji, qui est bien plus doué que moi pour cela, a procédé au mixage final en 2.0 sous Reaper, en utilisant divers plug-in dont les très remarquables GRM Tools, et ce du 2 au 4 novembre. Nous n’avons hélas pu procéder à une mastérisation, faute de temps et, il faut bien l’avouer, faute de réelle envie de ma part. Pour tout dire, je souhaite que ma musique soit écoutée sur des chaînes disposant de grosses enceintes (avec des vrais boomers) ou, mieux, sur un équipement home-cinéma avec du gros son. La première du spectacle a eu lieu le lendemain, le 5 novembre. Ce fut du travail à flux tendu ! Il existe donc une bande son avec simplement la musique — qui est diffusée tandis que je lis le texte en direct ; et également un mixage complet avec une voix enregistrée en studio. C’est-à-dire, selon l’optique qui est désormais la mienne, un premier livre-audio (le mixe complet) accompagné de ses bonus tracks (la musique seule).

Et voilà comment on démarre une collection !

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