Repères dans l'infini, entretien avec Jean-Pierre Andrevon (4/3)

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itw-andrevon-une4.jpgSuite et fin de l’interview de Jean-Pierre Andrevon. Après l’entretien-carrière mené par Richard Comballot dans le Bifrost n° 29 en 2003, voici, quelque dix ans plus tard, comme un addendum, où notre auteur revient sur ses publications de la dernière décennie, la conception de Demain le monde et ses projets futurs… car l’heure de la retraite n’est pas près de sonner.

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itw-andrevon-bif29.jpgDans votre interview-carrière de 2003, Richard Comballot vous demandait ce que vous reteniez de trente ans d’écriture. « Une alternance de réussites et d’échecs, de possibilités et d’impossibilités. » Dix ans plus tard, avez-vous quelque chose à rajouter ?

C’est en tout cas une bonne définition du « métier » (je tiens aux guillemets) d’écrivain. Qui demanderait bien entendu à être affinée. Doit-on préférer un bon bouquin qui ne se vend pas à un livre moins réussi qui s’enlève comme une baguette de quatre cents grammes ? Ce n’est qu’un exemple. Pour ma part, mon grand regret est le ciné, à savoir que, depuis Gandahar, aucune proposition suivie d’effet ne s’est manifestée, à part quelques approches sans suite. Je me dis pourtant que des bouquins comme La maison qui glissait ou Zombies, un horizon de cendre pourraient faire de sacrés bons films. Allô, y a-t-il un producteur dans la salle ?

itw-andrevon-zombies.jpgÀ ce propos justement, ce dernier titre a été publié au Bélial’ en 2004, bien avant la déferlante actuelle de morts-vivants. Vous avez eu le nez creux, non ?

Le plus étonnant est que le thème du zombie ne me passionne pas spécialement, ni en littérature ni au cinéma. Ou alors, quand je l’aborde, c’est plutôt sous l’angle du mort qui revient, pas spécialement assoiffé de sang mais simplement encombrant : comme dans mon roman Le reflux de la nuit, ou les nouvelles « Une mort bien ordinaire » et « Le jour des morts ». Un horizon de cendre devait d’ailleurs au départ être une nouvelle, écrite à la demande de Daniel Conrad pour un numéro spécial de la revue Ténèbres qui ne s’est jamais concrétisé. Mais comme j’avais commencé, j’ai poursuivi et, un peu à mon insu, car c’est le texte qui commande son auteur, pas l’inverse, c’est devenu un roman. Où j’ai joué tout naturellement le jeu, inspiré naturellement par les grands films du genre, La Nuit des morts-vivants au premier titre, bien entendu. Mais jamais au grand jamais je n’ai pensé suivre une mode, ou la précéder. J’ai suivi le fil que déroulait devant moi cette histoire, en la nourrissant de mes trucs et tics habituels, la différence, le racisme, etc.

itw-andrevon-gandahar6.jpgVous évoquiez Gandahar avec Richard Comballot en 2003. Depuis, vous avez publié un nouvel opus dans cet univers : L’Exilé de Gandahar. Envisagez-vous de revenir à cet univers ?

Avec mon éditeur préféré Le Bélial’, nous avons le projet de ressortir, sous forme de deux gros volumes, « l’intégrale Gandahar », soit pour l’instant 6 romans et 5 nouvelles. Mais pour cette occasion, j’ai le projet d’écrire un septième volume, qui ne serait pas une aventure de plus vécue par Sylvain Lanvère, mais une préquelle racontant l’édification du Royaume et la prise de pouvoir de la Reine Ambisextra, à l’origine une petite voleuse et une prostituée. Titre : « La Reine de Gandahar », qui bouclerait définitivement le cycle. Enfin, en principe.

En parlant de préquelle : avez-vous toujours le projet d’écrire une suite au Travail du Furet ?

J’ignore s’il me faut parler à ce sujet de possibilité ou d’impossibilité, de regrets ou d’espoir. Le synopsis en est écrit, en tout cas. Et j’ai bien attendu plus de vingt ans entre le premier et le second Gandahar ! Mais, honnêtement, et le temps se rétrécissant, il y a plusieurs autres romans virtuels qui passeraient avant, par exemple Le chant des baleines, veine écolo, dont on trouve une trace très complète dans mon recueil des 66 synopsis.

En 2005 et 2007, vous avez publié chez Rivière blanche Le Météore de Sibérie et L’Affaire du calamar dans le grenier. Des romans récréatifs entre des projets de plus grande envergure comme Le Monde enfin ou La Maison qui glissait ?

Il ne s’agissait pas d’inédits, mais de manuscrits écrits à l’origine pour le Fleuve Noir, le premier pour la collection « Aventures et mystères », le second pour « Gore ». Seules la décapilotade de cette honorable maison et l’arrêt successif des collections ont fait que ces récits étaient restés dans mes tiroirs (sans être pour autant des fonds de tiroirs). J’ai donc été heureux de les en ressortir pour Rivière Blanche.

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D’autres romans inédits dorment-ils encore dans vos tiroirs ?

Un et demi. Le un, relativement récent, est titré Pleure Ô cher pays, sorte de variante à partir de Gueule de rat, une histoire parallèle nettement plus orientée politique-fiction, avec la France devenue République Islamiste et blocus par les forces navales des Etats-Unis qui préparent un nouveau 6 juin. Le demi, nettement plus ancien, est une histoire du même genre, avec à nouveau le Front Français et un clone de Le Pen en vedette, une prise de pouvoir par l’armée, l’enlèvement de la femme du président de la République (une sacrée chaudasse) par les révolutionnaires, tout se terminant par un déluge atomique sur le plateau d’Albion, ce texte ayant été écrit à l’époque où le site était encore opérationnel. Je n’ai jamais achevé ce qui aurait dû être un gros roman, par crainte avérée de ne jamais pouvoir le publier, l’exemple a fortiori de Pleure Ô cher pays, présenté et refusé ici ou là, m’ayant donné raison. Mais quelles raisons ? Politiques ?

En 2007 également est sorti le troisième et dernier tome des Chroniques de Centrum, la bande dessinée d’Alif Khaled adaptée du Travail du Furet. Est-ce qu’une nouvelle adaptation de vos romans en BD est prévue ?

Nous avons commencé à travailler avec Afif sur l’adaptation d’Hydra (les deux volumes tels qu’ils ont été réédités chez Eons), qui pourrait constituer un nouveau cycle de trois ou quatre albums. Mais quand cela aboutira-t-il ? Mystère (et aventures).

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Votre (monumentale) encyclopédie intitulée Cent ans et plus de cinéma fantastique et de science-fiction est sortie tout récemment. Combien de temps sa conception vous a-t-elle pris ?

Difficile à dire, puisque c’est un travail démarré à petits pas, entre les mailles d’ouvrages plus resserrés dans le temps. J’y pensais depuis longtemps, en tout cas, mais disons que j’ai dû commencer à réunir et mettre de côté, puis en dossiers, les divers éléments il y a une douzaine d’années. Il faut préciser que j’ai toujours fait de la critique de cinéma, au départ dans des journaux étudiants quand j’avais une vingtaine d’années, avant de passer pigiste au Progrès, puis d’intégrer L’Écran Fantastique naissant en 1969, et Fiction l’année suivante. Ayant toujours pris bien soin de garder mes articles, j’avais donc sous la main une masse grossissante de matériel. Le volume a donc suivi son petit bonhomme de chemin. Quand j’ai compris que j’avais abordé mon rythme de croisière et que je n’y arriverais pas tout seul, j’ai demandé à Pierre Gires, historien du cinéma fantastique et rédacteur en chef de Fantastyka (mais hélas disparu en 2012) de me seconder. Deux ou trois autres collaborateurs ont suivi, dont Jean-Pierre Fontana, avec qui je partage bien d’autres activités. Mais on peut dire que, à la louche, j’ai dû rédiger quatre-vingt pour cent du texte total. Ce n’est qu’avec l’arrivée de Guy Astic, immédiatement séduit par le projet pour ses éditions Rouge Profond, que j’ai mis les bouchées doubles. C’était en mars ou avril 2012, nous avons donc bouclé en un an et demi environ…

Côté cinéma, quel est votre dernier coup de cœur ? Et votre film favori, toute époque et tout genre confondus ?

Je répondrai que ce que 99% des fantasticocinéphiles répondraient d’une même voix : Gravity pour la première question (j’ai quand même un gros faible pour Upside Down, enfin un scénario original !) ; King Kong (le seul, le vrai) et 2001 pour la seconde.

itw-andrevon-invasions.jpgGuerre des mondes !, paru en 2009 aux Moutons électriques, est-il issu d’une semblable accumulation de matériel ?

Pis encore, je me suis servi de la documentation accumulée pour le dico, en épaississant la sauce, bien entendu.

Où trouvez-vous le temps de mener vos nombreux projets : romans, l’encyclopédie ciné, les dossiers et critiques pour L’Écran fantastique, la peinture, etc. ? Dissimulez-vous dans votre garage une machine temporelle ?

C’est une question qu’on me pose souvent, et à laquelle je suis bien incapable de répondre. J’entendais il y a quelques temps Stephen King dire qu’il travaillait trois cent soixante quatre jours par ans, sauf celui de Noël. C’est peu ou prou mon cas, n’étant ni un grand voyageur ni un fanatique des week-ends de ski. Mais d’un autre côté, je n’ai pas l’impression de « travailler », puisque tout ce que je fais, tout ce que je crée, c’est du plaisir, pas du travail. Disons que je suis mon rythme, sans aucunement me forcer, sans jamais ressentir l’impression d’être un galérien. D’autre part, n’oublions pas que j’ai publié mon premier roman (Gandahar) en 1969, ce qui me fait quarante-quatre ans de Karrière dans les bottes. Ça fait du temps pour aligner les productions, parmi lesquelles, d’ailleurs, vous avez oublié la chanson, qui me tient particulièrement à cœur.

itw-andrevon-cds.jpgJustement… Parlez-nous de votre carrière musicale.

D’accord, à condition qu’on gomme le terme « carrière ». Mais il se trouve que la chanson, comme le dessin et l’écriture, a fait partie, dès mon adolescence, de mes amours créateurs. J’ai acheté ma première guitare aux environs de mes quinze ans, pour commencer à chanter les chansons de tous les « chanteurs à la guitare » qui proliféraient à l’époque, Brassens en premier lieu, mais aussi Brel, Félix Leclerc, et encore des gens moins connus ou oubliés comme Jean-Claude Darnal ou Stéphane Golmann – ce dernier étant devenu sur le tard un ami cher. Et, vite, j’ai écrit mes propres chansons. Pendant des années, j’ai véritablement oscillé entre ces trois tentations convergentes : deviendrai-je écrivain professionnel, peintre professionnel, auteur-compositeur interprète professionnel ? Mais, à parti de la fin des années 60, l’écriture a pris le dessus. Ce qui ne m’a pas empêché de continuer dans la chanson. Je suis par exemple arrivé en finale de l’émission La fine de fleur de la chanson en… 68 (encore), créée par Luc Bérimont et destinée à découvrir de nouveaux talents. J’ai pas mal écumé les cabarets et les fêtes écolo dans les années 70. Et puis ça s’est tassé, sans que pour autant je cesse d’écrire des chansons. Et puis, en 2006 je crois bien, un jeune musicien m’a contacté, qui avait lu un petit recueil de mes textes chantés. Les moyens d’enregistrement s’étant considérablement allégés, Bruno Pochesci, puisque c’est son nom, m’a proposé de produire un premier CD, pour le label qu’il venait de créer. Et l’aventure est repartie grâce à lui, trois regroupant 45 chansons, le quatrième, La fille de l’été, étant en cours de fabrication et où, cette fois, je chante en duo avec une fille pleine de talent, Florie.

itw-andrevon-66synopsis.jpgEn mai 2013, vous avez publié Soixante-six synopsis… et autant d’histoires à écrire, une version augmentée de Trente-trois synopsis. Avez-vous comme projet de toutes les rédiger ? Ou d’en rajouter trente-trois de plus ?

À l’inverse, j’ai choisi pour cette exhumation des sujets que, raisonnablement, je n’aurai pas le temps ou l’envie pressante de traiter. Pour mémoire, donc. Ceci dit, comme je n’en suis pas à une contradiction près, l’un au moins a depuis été écrit, la nouvelle « Poussière », qui a obtenu le Prix Napoli Raconta 2013 crée par l’Institut français de Naples, et a depuis été publié dans Lunatique.

Demain le monde regroupe vingt-deux de vos meilleurs textes de science-fiction. Dans cette sélection, lequel vous est le plus cher ?

Si j’étais vraiment prétentieux, je dirais tous, car il s’agit précisément d’un choix portant sur quarante ans d’écriture (dont ma toute première nouvelle publiée dans Fiction, numéro de mai 68, « La Réserve  »). Ce choix, effectué avec Richard Comballot, directeur du volume, devrait en principe regrouper la crème de mon gâteau. Mais c’est vrai que j’ai une tendresse particulière pour « Un petit saut dans le passé » et, bien évidemment, pour Le Monde enfin.

Un texte que vous auriez aimé voir présent au sommaire ?

J’ai peu de remords, puisque ce sommaire a été composé avec non seulement mon accord mais des directives précises. Néanmoins, si j’ai un regret, il concerne le texte « Nacht und Nebel », où je réédite une sorte de « Journal d’Anne Frank » projeté au temps présent, et où j’exploite le thème qui me hante depuis toujours, le nazisme, l’antisémitisme, l’holocauste. Mais mon coauteur sur le volume le trouvait si répulsif que, pour ce seul et unique cas, j’ai cédé…

Dans Demain le monde, plusieurs nouvelles traitent du voyage dans le temps. Pourquoi cette thématique vous tient-elle particulièrement à cœur ?

Très certainement pour la possibilité mise en jeu de voir ce qu’on n’aurait jamais pu voir autrement, de l’explosion du Big Bang à Leonardo peignant la Joconde. Les combats de gladiateurs aussi, j’aimerais bien. Mais aussi et surtout la possibilité de tout recommence en effectuant… un petit saut dans le passé, que ce soit à titre personnel pour ne pas louper la fille qu’on a ratée (j’éprouve une vénération totale pour le film Un jour sans fin), ou la tentation de changer l’histoire (étouffer Hitler dans son berceau).

L’agence Transtemps intervient dans « La porte au fond du jardin » et « La Pucelle enfumée ». Retrouve-t-on cette agence dans d’autres de vos nouvelles ? Et est-ce un clin d’œil à la Patrouille du Temps de Poul Anderson ?

C’est juste un terme qui a dû glisser à mon insu de ma plume, rien d’autre.

La dévolution à l’œuvre dans « Régression » rappelle La Maison qui glissait. La nouvelle a-t-elle servi de base au roman ?

Je ne vois pas vraiment de rapport. « Régression  » est une glissade dans le temps, La maison qui glissait glisse aussi… mais dans un espace fantasmagorique. Mais la translation, qu’elle soit spatiale ou temporelle, est un sujet qui effectivement me titille : on peut aussi citer « Le passager de la maison du temps », qui possède quelques accointances avec « La porte au fond du parc entre le cèdre et les chênes ».

La novella « Le Monde enfin », depuis sa prime parution en 1975, a été republiée et remaniée à de nombreuses reprises. Peut-on considérer la version de Demain le monde comme la définitive ?

On peut, mais les remaniements ont été à vrai dire très minimes, et en deux occasions seulement. Pour Le monde enfin version volume, j’ai rajouté des incidentes concernant la personnalité de mon cavalier solitaire, puisque j’ai choisi de le faire apparaître jeune dans d’autres segments du récit. J’ai à nouveau enlevé ce périphérique dans la version de Demain le monde, puisque la nouvelle y est à nouveau autonome. Le reste ne concerne que des broutilles de style et, parfois, d’actualisation. Je fais toujours ça, de toute façon, pour toute réédition successive et confondue.

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La fin du monde est un thème très présent dans les textes composant Demain le monde. Comment voyez-vous le monde dans cent ans ?

Le monde ne court-il pas vers sa fin ? Comme nous tous. Que cette fin se situe dans six milliards d’années quand le soleil deviendra une géante rouge ou dans cent ans quand notre pauvre planète étouffera sous les déchets et la surpopulation qui les induit, quelle autre différence que thématique ? Ça fait plus peur, évidemment, quand on écrit qu’on crèvera demain. Mais n’est-ce pas ce qui nous attend si on ne change rien à notre mode de vie, donc de civilisation ? Regarder vers le futur, ce qui est après tout le propre de la SF, c’est regarder l’horizon de notre fin. C’est le thème ultime, qui a pu prendre dans les années 50/70 celui de la guerre nucléaire totale, mais qui aujourd’hui se fonde sur la dégradation de l’environnement et les désordres climatiques. Comment y échapper ? En n’écrivant pas de SF. Mais quand on en écrit, si on est honnête (et lucide), pas moyen de passer outre.

Enfin, quels sont vos futurs projets, littéraires ou autres ?

J’ai cité la somme Gandahar et mon quatrième disque, j’ajoute un thriller, 9 morts par quelques nuits d’hiver, achevé il y a quelques mois et encore en lecture (j’avais très envie de revenir au genre, abandonné depuis une dizaine d’années), un space et time opera que j’ai commencé il n’y a pas longtemps d’après un ancien synopsis (qui n’est pas dans les 66) et aussi, en projet plus lointain, un autre florilège de nouvelles parallèle à celui de Demain le monde, mais concernant cette fois mes textes fantastiques. Pour ce qui est du cinéma, nous préparons, pour 2015, une somme sur Tarzan avec Rouge Profond.

En 2003, vous confiiez à Richard Comballot que « J’ai même le projet d’écrire un recueil composé de la retranscription brute de décoffrage de certains de mes rêves. » Avez-vous concrétisé ce projet ?

La matière est là, qu’il me suffirait de mettre en forme. Encore un projet parmi tant d’autres projets ! Celui-ci a néanmoins de sérieuses chances de voir le jour, sous la forme d’un de ces délicieux petits recueils que je donne à La Clef d’Argent. Le titre est déjà là : D’une nuit sur l’autre.

Vous ne manquez de projets ! Que vous évoque le mot « retraite » ?

Un rire sonore (ou un fin sourire, c’est selon).

Interviewé par votre cheréditeur dans le Bifrost n°6, vous vous définissiez ainsi : « Un brouillon cyclothymique et dispersé. » Toujours d’accord ?

Encore une formule lapidaire qui demanderait à être affinée. Pour l’apparence, et vue de l’extérieur, c’est probable. En réalité, je suis tout le contraire d’un créateur impulsif. Tous mes récits sont élaborés à partir d’idées, puis de synopsis, parfois de scénarios très élaborés conçus souvent des années avant que je ne passe à l’acte. Pareil pour mes toiles, précédées de nombreux croquis (seule la chanson est sans doute d’une expectoration plus immédiate). En fait, je sais toujours où je vais, seul le « comment j’y vais » étant important. Ou, pour reprendre de manière totalement immodeste une formule de Picasso, « je ne cherche pas, je trouve » (ou on me trouve, plutôt). Quant à la dispersion, encore une fois, je me laisse totalement guider par mes envies. Non pas seulement des envies du mois, de la semaine, du jour, mais souvent des envies de l’heure, de la minute. Il m’arrive par exemple fréquemment d’interrompre l’écriture d’un roman au milieu d’une phrase pour sauter sur ma guitare, plaquer quelques accords, modifier quelques vers ou quelques notes d’une chanson en cours. Sans que cela ne perturbe aucunement ma créativité, ou sa logique au long cours. Tout est dans ma tête, rangé en de multiples cases qu’il me suffit d’ouvrir et de refermer à ma guise. C’est bizarre mais, à relire ce que je viens d’écrire, je trouve en fin de compte que la formule d’il y a dix ans ne me correspond en aucune façon !

Près de trente ans après avoir écrit ces mots dans votre texte autobiographique « L’Autre côté », vous considérez-vous toujours comme un « homme nez aux étoiles, pieds sur terre et qui attend la guerre » ?

Pieds sur terre certainement car je suis un Terrien sans frontière et n’ai pas d’autre monde à ma disposition ; nez aux étoiles toujours car, sans rêves, que serions-nous, où irions-nous ? Ce que j’attends ? La guerre étant passé de mode (provisoirement ?) comme solution globale et rapide à tous nos maux, j’attends ce qui peut et va passer, en observateur le plus souvent accablé et impuissant. Tout en faisant miens, encore et toujours, ces mots de Scott Fitzgerald : « On devrait comprendre que les choses sont sans espoir et être cependant décidé à les changer. »

 

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