Journal d'un homme des bois, 15 janvier 2013

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Initialement, je devais partir de Saint-Etienne à 8h30 pour arriver à Lyon à 9h06 ; là, j’aurais disposé de dix minutes pour prendre le train à destination de Dijon (départ à 9h16), le but étant d’être à Belleville-sur-Saône à 9h47 où l’on devait me cueillir pour me transporter jusqu’à un collège perdu je ne sais où. Et tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles

Initialement, je devais partir de Saint-Etienne à 8h30 pour arriver à Lyon à 9h06 ; là, j’aurais disposé de dix minutes pour prendre le train à destination de Dijon (départ à 9h16), le but étant d’être à Belleville-sur-Saône à 9h47 où l’on devait me cueillir pour me transporter jusqu’à un collège perdu je ne sais où. Et tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Cela étant, ma longue (trop longue…) expérience des TER – Trains Express Régionaux n’ayant d’Express que l’initiale centrale – m’incita à quitter Saint-Etienne deux trains plus tôt. Soit à 7h50. Les habitués de la ligne Châteaucreux-PartDieu savent que les trains du matin sont toujours en retard. De fait, en dépit de mes deux trains d’avance (théorique), j’arrivai à Lyon quelques minutes après 9h. Me sentant ce matin, par chance, dynamique du jarret, je me dirigeai en petite foulée vers le quai C d’où allait tout bientôt s’élancer le célèbre Dijon-Express-de-la-Mort-Ferroviaire… lorsque la dame des annonces se mit à claironner, devinez quoi, que le train pour Dijon allait partir ! Comment ça ? L’horloge du quai indiquait 9h12 et ce foutre-train n’aurait dû partir qu’à 9h16. De qui se moquait-on ? J’embrayai la surmultipliée, déboulai sur le quai, croisai le regard d’un employé casquetté, entendit vaguement un « dépêchez-vous, monsieur, le train va partir ! », escaladai le marchepied et laissai tomber mon honorable séant sur la première banquette disponible, soufflant comme un vieux lion de mer tout en pestant intérieurement contre la SNCF.

A 9h14, le train pour Dijon de 9h16 s’ébranla gentiment… Trente secondes plus tard, une annonce interne me fit comprendre que si j’étais bien dans le train à destination de Dijon, il ne s’agissait pas vraiment de celui de 9h16 mais bien plutôt de celui « initialement prévu à 8h16 »… et venant de démarrer avec rien moins que 58 minutes de retard. Cela étant, en dépit des apparences et tout bien considéré, je conservais tout de même deux minutes d’avance. Rassurez-vous, cela ne dura pas. Un « dysfonctionnement à un aiguillage » nous força à un arrêt imprévu en bordure de la banquise, sous l’œil goguenard de l’un des derniers ours polaires de la région rhodanienne. En définitive, j’arrivai à Belleville-sur-Saône avec seulement dix minutes de retard sur l’heure initialement dite – certes, dans un train qui, lui, avait 1h10 de retard… mais pour tout dire, ce n’était pas vraiment mon problème.

Celui-ci résidait plutôt dans le constat que personne ne m’attendait, qu’il n’y avait en vue aucun arrêt de bus urbain (qualificatif, j’en conviens, relativement déplacé, vu le trou-du-cul-du-mondisme des lieux), et qu’aucun taxi n’occupait le parking afférent. Sans parler des vingt centimètres de neige devant la gare. Après un quart d’heure d’attente, la situation s’améliora tout soudain : ma chauffeuse tictoqua à la vitre de la salle d’attente. Chic planète ! Nous nous bisâmes puis elle m’informa que venant de téléphoner à l’établissement où nous devions nous rendre, elle venait d’apprendre que… seuls deux élèves seraient présents – les autres n’ayant pu se rendre à l’école faute de bus de ramassage scolaire. Mais que les deux en question (des gamins du village, donc peu concernés par le manque de transport en commun) seraient sûrement contents de me rencontrer. Tu parles ! En arrivant au collège nous constatâmes que les deux mammifères étaient finalement rentrés chez eux…

Bloqué en altitude, environné de neige en train de tourner en glace, la virilité réduite par le froid à une paire de raisins secs et à un vermicelle de contrebande, le cul tout ridé, les lobes des oreilles douloureux et les orteils en train de noircir, j’eus alors une pensée pour Paul-Emile Victor… avant de me promettre, si j’en ressortais vivant, de cesser définitivement de m’embarquer dans de telles galères. En clair, à cet instant précis, je pris la décision de ne plus jamais faire d’atelier d’écriture !

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