Karin Lowachee, vos romans situés dans l’univers Warchild se focalisent sur des personnages jeunes : Jos, Ryan et Yuri sont tous trois des adolescents ayant eu une enfance difficile. La vôtre a-t-elle aussi chaotique ?
Non, du tout. C’est la beauté de la chose quand on écrit des fictions. J’examine différentes personnes, différentes situations, et tâche d’y trouver un écho émotionnel.
La guerre joue un grand rôle dans vos romans. Avez-vous déjà vécu quelque conflit ou est-ce un thème qui vous interpelle ?
Je n’ai jamais vécu de guerre, heureusement, si ce n’est à la télévision, comme spectatrice. C’est l’une des raisons qui m’ont mené à écrire du point de vue de Ryan dans Burndive. Je suis en effet consciente d’être privilégiée, ce qui est tout sauf une excuse pour rester ignorante des effets d’un conflit à cette échelle ou de ne pas chercher à comprendre comment cela affecte les gens — en particulier les enfants.
Qu’est-ce qui vous a mené à l’écriture ?
J’ai toujours écrit des histoires, sous une forme ou une autre, depuis toute petite. J’ai lu beaucoup aussi, bien sûr. Il m’a toujours paru naturel de vouloir raconter des histoires et de les lire. Par bonheur, je n’y ai pas renoncé en grandissant.
Quels sont les auteurs qui ont eu (ou ont toujours) de l’influence sur votre manière d’écrire ?
S.E. Hinton, C.J. Cherryh, Guy Gavriel Kay, Ernest Hemingway, William Faulkner, Jeanette Winterson, Jonathan Safran Foer… La liste grandit constamment. Les poètes aussi.
Êtes-vous une auteure professionnelle, ou bien avez-vous un autre travail à côté ?
Je travaille dans plusieurs domaines, mais je suis principalement enseignante. Néanmoins, l’écriture reste ma passion principale.
Au fait, avez-vous des enfants ? Ou bien est-ce ceux à qui vous enseignez qui ont été une source d’inspiration pour les protagonistes de Warchild et ses suites ?
Je n’ai pas d’enfants, mais, depuis mes 18 ans, j’ai travaillé avec des enfants et des adolescents de différentes capacités. Je suppose que, inconsciemment, une part de mes interactions avec eux au cours des années m’a aidé à créer mes jeunes protagonistes. Rien de cela n’était toujours voulu. Peut-être dans certaines scènes, mais pas explicitement dans les brouillons. Je me suis inspirée de ma propre enfance, de ma façon de voir le monde à ces âges-là et de ce dont j’étais consciente. Dans Warchild, j’ai tâché de rendre Jos à la fois intelligent et très puéril. Créer cet équilibre-là a représenté un effort réfléchi.
Intéressons-nous à vos livres. Comment est née l’idée de Warchild ?
J’avais déjà vaguement l’univers en tête, mais pendant longtemps, Jos n’était pas dans le cadre. Le Warboy était l’un des premiers personnages, puis est venu Erret Dorr, et mon idée de départ a radicalement changé quand je suis tombée sur le personnage de Jos et me suis rendu compte que c’était son histoire que je devais raconter. Ensuite, l’univers s’est étayé et a commencé à devenir cohérent.
Quand vous avez écrit Warchild, aviez-vous déjà l’intention de réaliser un triptyque, avec chaque volet dévolu aux différents belligérants ?
En effet. Mon projet pour cet univers, et en particulier l’arc narratif de Jos — avec le processus de paix du Macédoine comme épicentre —, s’étend sur huit romans, chacun focalisé sur un personnage et tous couvrant différents aspects de la guerre. Je ne me tiens pas fermement à ce nombre, il peut y avoir plus ou moins de livres. Dans le meilleur des mondes, je ne ferais pas courir cette histoire sur un tas de romans. J’ai de nombreuses histoires à raconter dans l’ensemble de cet univers, à différentes époques, mais l’arc narratif centré sur les personnages présentés dans les trois premiers volumes est destiné à rester limité.
À propos de Burndive : était-ce un défi que d’écrire du point de vue de Ryan, un adolescent assez antipathique ?
Pas plus que les autres personnages. Je ne suis pas sûre qu’il soit aussi déplaisant que plutôt typique sous de nombreux aspects — et atypique sous d’autres. Je sais que beaucoup de lecteurs ne l’aiment pas, mais mon intention avec Ryan était de montrer le point de vue des privilégiés — un point de vue qui, dans la plupart des cas, serait aussi celui de beaucoup de lecteurs dans une situation de guerre. Quiconque n’a jamais vécu directement une guerre a le luxe d’émettre des jugements catégoriques sur ceux qui l’endurent et qui ne réagissent pas avec noblesse. Je ne voulais pas écrire un personnage simple et noble, ou quelqu’un ayant été menacé comme Jos Musley. Le traumatisme de Ryan lui est propre, mais il ne mérite pas moins de compassion que Jos. Je serais curieuse de voir comment les gens réagiraient, ceux qui ont grandi comme Ryan — loin de tout conflit armé — quand on leur tire dessus, quand ils sont témoins de massacres, quand ils ont une relation difficile avec l’un de leur parent et une absence de relation avec l’autre. Je pense à ce que cela fait, de voir quelqu’un mourir dans ses bras et, aussitôt après, de devoir faire face aux caméras et de prononcer une déclaration. Ryan est difficile à apprécier, mais il voit et entend tant de conneries que cela lui devient intolérable et qu’il y répond de la seule manière qu’il connaisse : avec des mots. Comment chacun de nous réagirait à son âge ?
Cagebird est sûrement le roman le plus sombre des trois. Aviez-vous l’intention d’explorer plus avant la face sombre de l’univers Warchild, de montrer que les pirates n’ont vraiment rien de gentil ?
J’espère que, après Warchild, les lecteurs se seront rendu compte que les pirates ne sont pas cool du tout. Mon intention n’était pas d’atténuer ces gens — qui existent d’une manière ou d’une autre dans le monde moderne. Avec Yuri et Cagebird, je voulais montrer l’autre côté cependant. Les différentes nuances du mal, des gens définis comme mauvais. Parce que, souvent, rien n’est blanc ou noir, surtout quand des enfants sont impliqués. Yuri, comme certains enfants soldats actuels ou d’autres enfants exploités, a plongé dans le grand bain de la vie à la suite d’une illusion, au moment où il est le plus vulnérable, et ça n’est pas simple de survivre à cela. Cagebird est volontairement le roman le plus sombre des trois : les expériences de Yuri le sont aussi. Les trois romans mettent en parallèle des expériences très réelles, au sujet desquelles j’ai pu lire, avec des enfants dans des situations similaires avec des seigneurs de guerre et autres prédateurs — ce que je ne pouvais omettre. J’ai fait bien moins preuve d’imagination dans l’histoire de Yuri que dans les autres, y compris dans la façon dont il est émotionnellement attaché ou détaché. Bon nombre des événements qu’il vit, de ses réactions, ainsi que son enfance, sont directement inspirés des recherches que j’ai faites sur les enfants dans le monde réel. Cela n’est en rien cool ou gentil.
Comment vous est venue l’idée d’écrire le début de Warchild à la deuxième personne ?
C’est venu tout naturellement, sans que ce soit prévu ou réfléchi. Je me suis réveillée un matin avec en tête la première phrase de Warchild, à la 2e personne, et j’ai continué ainsi. Quand les gens racontent des traumatismes, ils parlent souvent d’eux-mêmes à la 2e personne, d’un point de vue distancié. C’était donc judicieux que Jos se présente ainsi. Néanmoins, je savais que je ne raconterais pas tout le roman ainsi. J’ai tenté d’écrire le début de Burndive à la 1re personne, du point de vue de Ryan, mais ça ne marchait pas. La voix de Ryan sonnait faux. J’ai compris que démarrer le roman ainsi était trop intime pour ce personnage, qui avait besoin d’une légère distance par rapport au lecteur, même si c’est une 3e personne qui lui est très proche. Quand Ryan est mieux dans sa peau, moins dans la contestation, ç’a été naturel de passer à la 1re personne.
Sur votre tumblr, vous avez annoncé penser écrire un quatrième roman dans l’univers Warchild. Pouvez-vous nous en dire plus ? Sur quel personnage serait centré ce roman ?
Ce roman sera à cent pour cent pour les fans/lecteurs. Je ne vais m’imposer aucune contrainte de temps pour l’écrire ou le publier. Ce n’est pas un roman qu’un éditeur me paie à écrire — tout ce que je gagnerai avec viendra uniquement des lecteurs. Il sera de nouveau du point de vue de Jos, et les enjeux vont s’intensifier. Tout ce qui a été bâti dans les trois premiers romans sera abordé.
Pourquoi avez-vous choisi d’écrire ce roman hors du processus éditorial habituel ?
Pour être franche, je n’ai pas trouvée d’éditeur américain qui soit encore intéressé par la série. J’aurais bien sûr préféré avoir cet apport éditorial ainsi qu’un éditeur pour soutenir le projet, mais même sans cela, je vais le faire, avec l’aide des fans. Des fans qui, pour l’heure, ont été d’une grande aide et très loquaces dans leur implication pour financer ce livre. Ma capacité à continuer à écrire dans l’univers Warchild doit beaucoup à leur enthousiasme continu.
Quid d’un roman entièrement consacré au point de vue des striviirc-na ?
J’avais prévu de décrire, en trois romans, le conflit sous l’angle des striviirc-na mais je n’en suis plus si sûre maintenant. On verra. Toutefois, ça ne serait pas d’un point de vue striv : ce sont des aliens et je préfère qu’ils nous restent étrangers. Si j’écrivais un tel roman de leur côté, le pourquoi et le comment de leurs actions paraîtraient insensé aux lecteurs humains. Les romans striv seraient racontés du point de vue d’un sympathisant, ce qui est déjà assez difficile. Au moins le facteur humain est-il présent.
The Gaslight Dogs, votre quatrième roman, n’est pas publié en France. Que pouvez-vous nous dire sur ce livre, annoncé comme la première partie d’un diptyque, « Middle Light ».
Je serais ravie qu’il finisse par être publié en France. En réalité, c’est le premier tome d’une trilogie avec pour cadre un monde pseudo-victorien/western fantastique et reprenant des thèmes abordés aussi dans l’univers Warchild — le colonialisme, l’autre. Ce roman alterne entre le point de vue d’un capitaine d’armée et celui d’une shaman amérindienne (elle n’est pas dénommée shaman, même si c’est essentiellement ce qu’elle est). Elle possède une « magie » que veut la culture technologiquement supérieure. J’adore ce monde, ses personnages et l’histoire j’ai donc bien l’intention de rédiger les deux tomes suivants et conclure cette trilogie.
Il y a quelques années, vous avez passé presque un an dans la baie d’Hudson (au-delà du cercle Polaire si je ne m’abuse). Cela a-t-il été une source d’inspiration pour The Gaslight Dogs ?
Je me trouvais juste en dessous du cercle Arctique, et cette expérience a été une inspiration directe pour mon roman. C’est un endroit magnifique de mon pays, où la culture et l’histoire sont uniques et plutôt exceptionnelles.
En 2012, vous avez publié dans l'anthologie Armored une nouvelle, « Nomad », que l’on pourra lire prochainement dans Bifrost. À ce jour, vous avez publié autant de nouvelles que de romans. Êtes-vous plus à l’aise sur un format long ?
Je me considère comme une auteure de roman à la base (j’ai toujours de grandes idées compliquées), mais, voulant être capable d’écrire de tout, je tâche d’écrire davantage de nouvelles. Je ne m’impose pas de limites et la forme courte me plaît beaucoup j’apprends donc et m’amuse en même temps.
Avez-vous d’autres projets de romans à l’avenir ?
Oui, mais ils sont encore bien en chantier, et je n’ai pas très envie d’en parler maintenant. Mais merci de la question.
Merci à vous aussi !
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