Entretien avec Roland C. Wagner

Rencontres |


itw-rcw-une.jpgRoland C. Wagner nous a quittés ce dimanche 5 août. C’est peu dire qu’avec lui, la SF perd l’une de ses voix majeures. En 1994, Philippe Boulier et Michel Tondellier l’avaient interviewé dans les pages du mythique fanzine La Geste. Roland C. Wagner y évoquait rock, science-fiction et création littéraire, ses romans et ses projets d'alors…

Roland C. Wagner
Roland C. Wagner aux Utopiales 2007
CC BY-NC-SA 2.0 Gonzo Bonzo

Roland Charles Wagner, pourquoi ?

C’est une très intéressante question ! Parce qu’un jour mon papa et ma maman ont décidé de se marier et que mon papa a mis une petite graine dans le ventre de ma maman et que, neuf mois plus tard, je suis né au milieu des bombes.

Des bombes ?

Oui, des bombes. Alger, 1960. Il y avait trois-quatre attentats par jour, ça tirait dans tous les coins, les Français tiraient sur les Français et tout ça… Un bon départ dans la vie…

Roland C. Wagner, pourquoi la SF ?

A partir du moment où j’ai été capable de comprendre les mots écrits sur les journaux, mais aussi ce que j’entendais à la radio et à la télé, j’ai automatiquement, comme tous les gamins, voulu devenir astronaute. A cette époque, la SF était complètement liée dans mon esprit – et je pense dans celui de pas mal de gens de ma génération – à la conquête spatiale. On va sur la Lune, on ira sur Mars avant l’an 2000, c’était quand même les Trente Glorieuses et tout ce que ça implique. Beaucoup de textes de SF étaient encore une glorification de la conquête spatiale, pas forcément la conquête militaire, mais du voyage spatial, de l’expansion humaine dans la galaxie… J’ai toujours considéré cela comme une certitude.

Il y a une anecdote que je raconte tous le temps. J’avais six ans quand j’ai lu le deuxième épisode de Guy l’Eclair paru dans Mickey, un épisode qui commençait comme ça : un homme est allongé au bord d’une autoroute en métal, un autre est penché sur lui et un troisième lui demande : « Est-ce qu’il est mort ? » Celui qui est penché lui répond : « L’un de ses cœurs est arrêté, mais les deux autres battent toujours ». Là, tu as vraiment l’impression que tu entres dans quelque chose où tu peux tout te permettre. Déjà tout gamin tu lis dans la SF des choses qu’il n’y a pas dans la vie. Je pense que l’enthousiasme lié à la conquête spatiale venait d’une certaine manière se greffer sur la SF. Au début des années soixante-dix, quand j’ai découvert le Fleuve Noir, j’ai eu la chance de tomber sur de bons livres, écrits par des auteurs qui n’étaient pas, comme certains, très à droite… Je ne les citerai pas. Peter Randa par exemple…

Donc dès le départ, j’ai eu l’impression que la SF était un genre progressiste sur le plan idéologique. Ce n’est pas toujours vrai, mais quand tu lisais des bouquins d’Alphonse Brutsche (alias Jean-Pierre Andrevon) ou de Louis Thirion, il n’y a pas de problèmes, c’était des auteurs progressistes. Thirion, bien avant Jeury, avait fait dans Sterga la Noire une charge contre les multinationales, les multiplanétaires dans ce cas précis. Pour l’époque, c’était quelque chose de très très saignant. Une excellente dénonciation du capitalisme et de l’exploitation abusive des planètes. La société MacDewitt est installée sur Sterga, qu’elle éventre pour lui arracher ses richesses…

On était au début des années 70, le moment où la SF était en pleine montée, tout le monde y a cru et même ne serait-ce qu’en lisant de la SF, tu avais l’impression de participer à quelque chose d’important qui était en train de se produire.

Tu as commencé à quel âge ?

En sachant que c’était de la SF, à dix ans, avec La Guerre des Gruulls d’Alphonse Brutsche. J’ai lu plein de Fleuve Noir pendant environ deux ans avant de découvrir Galaxie et Fiction

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Et tu as commencé à écrire rapidement ?

Tout de suite ! Il y a eu le Brutsche, le Thirion, il y a eu un Perry Rhodan, mais déjà après le Thirion je savais ce que je voulais faire. A partir du moment où je m’étais vraiment éclaté en lisant ces livres, je savais que mon but était d’écrire des bouquins pour que les gens puissent s’éclater en les lisant. Et puis écrire me paraissait un métier sympa, tu sais, la légende de l’écrivain qui pense des grandes choses… La réalité économique est légèrement différente…

Mouais…

Mouais.

Depuis combien de temps écris-tu du Guieu ?

Le changement de direction au Fleuve Noir remonte à deux ans. A l’époque, Raymond Audemard cherchait des… des…

« Collaborateurs » ?

Oui, c’est ça, des collaborateurs. Il m’a proposé de faire ça. Au départ, nous étions trois auteurs. Il y avait Philippe Randa, Laurent Genefort et moi. Finalement, au bout de deux ans, Genefort n’en a fait qu’un – apparemment ça ne lui a pas plu, il n’a pas envie d’en faire d’autres. Philippe Randa en a écrit trois, mais il a apparemment choisi – si j’ai bien compris – d’aller diriger son espèce de Canard Enchaîné d’extrême-droite plutôt que de continuer à faire de la littérature populaire. Je me retrouve donc tout seul à écrire des Blade & Baker, j’en écris un tous les deux mois, ça me plait. Eventuellement, il est possible que d’autres en fassent si l’occasion se présente.

Hier tu nous as parlé de projets de romans.

Heu… à moi ?

Oui, oui ! C’est à Roland Wagner que nous parlons, plus à Richard Wolfram…

Actuellement, j’ai quatre ou cinq bouquins en cours sur lesquels je travaille très peu parce que j’écris d’abord du Guieu pour gagner des sous, payer le loyer, l’électricité… Un Mac fonctionne difficilement sans électricité… En restant à la machine à écrire, j’aurais pu travailler à la bougie. Louis Thirion, pendant cinq ou six ans, n’avait pas l’électricité, il s’éclairait à la lampe à pétrole. On peut, mais avec l’informatique, ça n’est plus possible.

Bon, comme roman, il y a Archétypes incarnés qui a commencé à paraitre chez Francis Saint-Martin.

Quelqu'un hurle mon nomDes renards sous l'évier

Chez un petit éditeur ?

J’ai choisi de faire paraitre Archétypes à un tirage ridiculement faible chez un micro-éditeur de province qui publie en photocopie et qui, dans le meilleur des cas, va en vendre 80 exemplaires, parce que finalement ce qui est publié actuellement est une espèce de premier jet, la version définitive sera certainement très différente de celui-ci, mais j’ai besoin de mettre le truc à plat. C’est une histoire qui est très compliquée puisque c’est la suite des Derniers Jours de Mai, du Serpent d’Angoisse et du Paysage déchiré. Vu ce que j’ai posé dans les romans précédents et ce que je n’ai pas pu m’empêcher de rajouter dans les trois premiers volumes – le premier est paru, les deux autres vont suivre – cela va donner quelque chose d’une complexité assez délirante. J’ai donc besoin de pas mal de temps pour le faire. Travailler sur un bouquin d’un million cinq cent mille signes a un côté déprimant parce que tu n’en vois pas le bout. En le publiant par petits fascicules – genre novellas de deux cent mille signes – ça me permettra d’avoir du feedback de la part des lecteurs, de voir ce qui leur plait, ce qui ne leur plait pas, et de repérer aussi les éventuelles erreurs…

Donc, côté projets il y a Archétypes, j’appelle ça Le Gros Projet, Le Grand Œuvre – c’est pour déconner, Dominique Martel appelle bien sa base de données : le Graal. Il y a aussi un truc dont le titre provisoire est : T.I.M.E., c’est-à-dire Trust In Man Everywhere, une sorte de roman d’aventures, un space-op’ pas classique mais d’aventures qui devait paraitre en feuilleton dans Maelström. Maelström ayant cessé de paraitre, je ne sais pas si je vais pouvoir le continuer tout de suite. T.I.M.E. devrait être un peu dans l’ambiance Galaxy années 50, pas forcément parodique mais un peu dans l’esprit des Psychopompes de Klash. D’ailleurs, théoriquement, il sera co-signé Roland C. Wagner et Red Deff. Red Deff y sera quand même pour beaucoup… T.I.M.E. a pour but principal que le lecteur s’amuse – l’auteur aussi, accessoirement.

Autrement, il y a quelque chose d’un peu plus ambitieux qui se passe dans un très lointain avenir, dans lequel l’Homme a occupé plus d’un millier de planètes, où l’on va plus vite que la lumière. En fait, cet univers recoupe celui de Cette Crédille qui nous ronge, c’est le même. Enfin juste quatre ou cinq mille ans après la Crédille, et l’on retrouvera évidemment la planète Océan, où les gens sont végétariens depuis quatre ou cinq mille ans, vivent en harmonie avec la nature et les gentilles petites bébêtes pelucheuses aux grands yeux humides. C’est une utopie mais ça n’est pas le seul thème, il est beaucoup plus compliqué que cela.

itw-rcw-credille2.jpgDans la Crédille, il y a des pistes ; je me suis contenté d’en prolonger un certain nombre et aussi d’en créer d’autres, ça me donne un univers qui fonctionne d’une manière totalement autonome, très cohérente, dont le postulat de départ est : et si l’homme cessait d’être violent ? Si l’homme devenait pacifique, non-violent, si le nombre des crimes devenait pratiquement égal à zéro sur toute la planète, ceci en partie grâce à l’éducation, grâce à une évolution de l’humanité elle-même ? Bien sûr, il reste toujours quelques poches de résistance… La planète Eden, par exemple, qui est un des endroits sur lequel L’Onduleur d’Espace se déroule. La planète Eden, c’est le Monde des Fous, on appelle vraiment ça le Monde des Fous parce qu’ils sont vraiment cinglés, ils passent leur temps à s’entretuer… Et comme ils s’entretuent vraiment beaucoup, tout le monde a plein de clones, il n’y a que les clones qui se font buter. Comme ils sont bien frappés, ils veulent conquérir l’univers, l’univers colonisé par la Terre.

Globalement le bouquin se déroule sur une période de cinquante ans, découpée en un certain nombre de parties qui sont séparées chacune par cinq ou dix ans. Ces épisodes se passent sur une planète différente mais avec toujours les mêmes personnages qui reviennent. On ne les retrouvera pas forcément tous sur une ou deux séquences, mais il y en a qui reviennent et qui, évidemment, évoluent. C’est un travail au niveau temporel assez ample, et évidemment les cinglés d’Eden vont essayer de foutre la merde, quelqu’un va les en empêcher… Comment ? Là est toute la question.

Bon, là tu en parles, mais où en es-tu dans la rédaction ?

J’ai une centaine de pages rédigées sur ce qui devrait faire trois cent cinquante pages en tout.

Tu as posé tout à plat avant d’écrire ton roman, tu sais exactement où tu vas ?

Non, non, non, sinon ça ne serait pas drôle. Le plus amusant, c’est d’inventer au fur et à mesure. Simplement, j’ai réfléchi deux ans à ce bouquin, j’en ai quand même fait un gros bout. C’est surtout l’univers qui, lui, est posé à plat. J’ai tout un dossier avec des cartes, des chiffres, des stats, des chronologies, des données sur les planètes… Il y a des trucs que j’invente au fur et à mesure, mais le noyau de vieilles planètes qui ont été colonisées très tôt à une vitesse inférieure à celle de la lumière est déterminé. J’ai aussi un plan de vol de tous les vaisseaux pour une période de mille deux cents ans. Ce qui est facile à faire en partant du principe que la Terre est pauvre, mais comme il faut qu’elle se débarrasse de sa population, elle a construit des espèces de grands vaisseaux qui vont rester en service pendant très longtemps. Mais elle en a construit très peu ; il y en a en tout moins d’une quarantaine.

C’était facile de faire un plan de vol de tous ces vaisseaux sur une période inférieure à mille deux cents ans. Il y a des planètes qui restent isolées pendant un siècle, deux siècles… D’ailleurs sur Eden ils sont restés isolés pendant très longtemps, et c’est pour ça qu’ils se mettent à déjanter. Heureusement, il y a les envoyés de la Terre, qui veillent au grain, volant de monde en monde. Bien sûr, personne de normal ne peut faire un boulot comme ça. Il faut partir à l’aventure, découvrir de nouveaux horizons… Moi je ne voyage jamais, mais mes personnages, eux, beaucoup.

J’ai besoin de précision. Si mon personnage est sur une planète en l’an 810 de l’ère spatiale, il faut que je sache quel vaisseau il emprunte pour que ce soit cohérent. A partir d’une certaine époque, j’ai contourné la difficulté en décidant qu’il y aurait aussi plein de petits vaisseaux. C’est plus marrant. La manière dont ça se passe débouche sur des paradoxes assez intéressants. Il y a des planètes qui sont colonisées depuis cinq siècles, trois millions de colons ont été déposés, la population a grimpé jusqu’à vingt millions de personnes, et à ce moment là, un vaisseau de la classe Galaxie arrive avec cinquante millions de pèlerins… « Coucou, c’est nous ! On arrive avec cinquante millions d’hibernés, ils sont trois fois plus nombreux que vous, on ne veut rien savoir, la Terre a dit ! » La Terre étant totalement incapable de gouverner, tout ce qu’elle peut faire, c’est envoyer ses spermatozoïdes dans la galaxie…

Belle image…

Elle n’est pas de moi.

itw-rcw-derniersjours1.jpgitw-rcw-derniersjours2.jpg

Et en ce qui concerne tous les romans de L’Histoire du Futur Proche, avais-tu une idée globale de la chose dès le départ ?

J’ai écrit Les Derniers Jours de mai en 79 dans une période de méga-dépression, j’ai fait ça en deux mois à une vitesse totalement hallucinante. Après, je me suis vu refuser le manuscrit par un nombre d’éditeurs tout aussi hallucinant. Je l’ai réécrit sept ou huit fois. Ecrit en 79, il est paru en 89…

Donc c’est le premier que tu as écrit ?

Le premier par ordre chronologique, c’est d’ailleurs ce qu’on découvre dans Quelqu’un hurle mon nom. Mais bon, on ne peut pas s’en rendre compte.

Si, il y a deux-trois indices. Dans Le Serpent d’Angoisse, Nadia…

Oui, quand il la recrée. C’est le seul indice.

itw-rcw-serpent2.jpgLe Serpent d’Angoisse a pas mal évolué depuis la première version. A la base il y avait un copain scénariste de BD, Laurent Rullier. Il avait fait un scénario qu’il voulait soumettre à Métal Hurlant, un scénario inachevé qui racontait les effets d’une drogue permettant d’accéder à un univers télépathique. Donc l’idée de base est de lui. Le début était pratiquement identique, l’introduction était la même, ensuite tu avais cet attentat et ce type qui en était victime se réveillait à l’hôpital où on voulait l’envoyer dans les rêves se battre contre le mystérieux Chevalier Noir, etc. Le scénario de Laurent était plutôt un synopsis, qui d’ailleurs n’était pas terminé. Comme il n’a pas réussi à le caser, il m’a dit qu’on pourrait peut-être en tirer un livre. J’étais d’accord pour essayer, j’en ai écrit quatre-vingt pages et après cela ne sortait plus. On a laissé tomber et il m’a dit que si un jour je le reprenais, il était à moi, je pouvais en faire ce que je voulais. Mon idée était de remplacer son personnage de jeune cadre dynamique, qui s’appelait Antoine Dumas, par Killer après son retour en arrière dans le temps. Et là c’est parti tout seul. C’était tout simple, ça sortait tout seul. C’est devenu tout naturellement le deuxième roman de la série.

itw-rcw-paysage.jpgPour le troisième, j’ai utilisé un bouquin non terminé qui s’appelait déjà Le Paysage déchiré et qui fonctionnait dans une ancienne version de L’Histoire du Futur Proche (une version qui a disparu, mais dont il reste deux ou trois traces sous forme de nouvelles, comme Pour qui hurlent les Sirènes dans Garichankar). Ce bouquin, à l’époque écrit à la première personne, était la suite directe du Serpent d’Angoisse, avec le télépathe-créateur et tout ça. Quand j’ai tout retapé pour le Fleuve – après une version intermédiaire sur les conseils de Dunyach – j’ai retapé Le Paysage déchiré à la troisième personne, ça me paraissait mieux au niveau stylistique et pour l’histoire. A chaque fois, j’introduisais des éléments, et ça accentuait les liens qu’il pouvait y avoir entre les bouquins. Le gros boulot a été la réécriture des Derniers Jours de Mai où il y avait plein d’aphorismes et des choses dans le genre. C’est dans la dernière version, uniquement, qu’apparait Hiéronimus Bolgenstein à la fin. Tu as trois pages avec lui. J’avais fait le pari avec Nicole Hibert, alors directrice de la collection Anticipation, qu’on pouvait très bien écrire un bouquin de SF cohérent et le finir par « ce n’était qu’un rêve », sans que ça fasse bateau.

Je l’avais rajouté pour ça, en sachant que Hiéronimus Bolgenstein, qui était celui qui a découvert la couche de Bolgenstein, pouvait me servir par la suite.

Et puis, après, j’ai attaqué Archétypes Incarnés. Ça fait six ans que je suis dessus et j’ai à peine fait quatre cent mille signes. J’y travaille quand j’ai le temps, regarde ça [Il exhibe les feuillets qui composent le second volume], ça fait six mois que c’est tiré et ça attend toujours d’être corrigé…

Bon, si tu veux, le projet global est assez important, il m’a fallu dix ans pour mettre ça sur pied. Au départ, Archétypes Incarnés devait être un volume simple pour le Fleuve. Je voulais boucler cette histoire avec un volume simple. J’ai pas pu.

Finalement, dans Archétypes, il y a trois grandes questions qui se posent. L’identité de Dragon Rouge ? Le deuxième point : qui est le personnage principal qu’on appelle au départ Killer mais qui perd très vite son nom ? La troisième question qui est quand même la plus brûlante : Où est l’Orque ? Parce que théoriquement, dans Les Derniers Jours de Mai, l’humanité a été créée et détruite par une créature stellaire qui désire simplement faire le plein de praesidium – dont elle a besoin pour se nourrir. Comme Les Derniers Jours de Mai se sont déroulés dans la Psychosphère et non dans le futur comme on peut le croire en lisant le livre seul, comme il s’agit d’un rêve qu’a apparemment fait Hiéronimus Bolgenstein, à priori il n’existe pas d’Orque. Et s’il n’existe pas d’Orque, d’où sort cette image ? Parce que, si Bolgenstein se penche sur le rêve et commence à l’étudier en utilisant les techniques à la Jung avec l’inconscient collectif, les archétypes et tout ça, on se demande ce que l’Orque vient foutre là-dedans. Elle n’a rien à y faire, elle est complètement en-dehors du truc.

La réponse dans le septième ou huitième volume d’Archétypes Incarnés aux éditions de l’Hydre !

Autre truc que je n’ai pas encore dévoilé et que donc personne ne sait encore, nous avons un passage où l’on découvre comme personnage un certain Richard Montaigu. Ça ne vous dit rien ?

Un Ange s’est pendu ?

Oui, ce sont les gens du Faisceau Chromatique. Ils ont donc un rapport avec L’Histoire du Futur Proche aussi…

Mon Dieu… Tu es en train de relier les deux cycles ?

Oui.

C’était prévu ?

C’était prévu.

itw-rcw-angependu.jpgÉtant donné que les deux séries fonctionnent sur le même principe de fond, cette espèce de traitement psychédélique, il était logique qu’elles se rejoignent. Quand j’ai écrit Un Ange s’est pendu, en voyant comment les choses tournaient, en voyant l’époque à laquelle est sensé se passer Un Ange s’est pendu, celle où Hiéronimus Bolgenstein est sensé avoir rêvé Les Derniers Jours de Mai, plus un certain nombre de choses, c’est tout à fait logique que tout ça se recoupe, formant un total.

La totale.

Alors maintenant je sais où je vais, il m’a fallu du temps, mais maintenant je sais.

Toujours sans déflorer le sujet, on peut en dire encore un peu…

J’utilise l’idée que l’inconscient collectif de Jung existe. Je tiens à préciser que je fais ça sur le plan SF, ce qui ne veut pas dire que je crois aux théories que j’utilise. Je m’en sers parce que c’est très marrant d’écrire de la SF en partant de cette hypothèse. L’inconscient collectif, c’est un peu la Psychosphère. J’utilise les théories jungiennes sur l’inconscient collectif en les amplifiant grâce à la Psychosphère.

D’autre part, j’ai utilisé pour la clé du truc la linguistique comparée. Certains chercheurs recréent l’indo-européen primitif. Ils finissent par se demander s’ils ne peuvent pas remonter à la langue mère. Il y a une chose qui ne me parait pas certaine mais très possible, c’est qu’à un moment l’homme, quand il s’est transformé en homo-sapiens, constituait une toute petite population, on ne peut pas chiffrer, peut-être entre mille et cinq mille individus regroupés dans un espace restreint. Peut-être plus… Comme ils étaient plus intelligents, plus aptes à survivre, au bout d’un moment ils ont été très nombreux, donc certains sont partis et ainsi de suite. C’est très contesté, il y a beaucoup de gens qui travaillent là-dessus en essayant de prouver que l’histoire de la tour de Babel est vraie ou ceci ou cela, enfin tout ce côté mythique, biblique, qui ressort certains aspects de la science. D’un autre côté, quand on travaille sur la SF, on travaille sur des mythes, je pense qu’on a donc tout à fait le droit – comme le fait Jimmy Guieu, d’ailleurs – de dire que Sodome et Gomorrhe ont été détruites par des bombes nucléaires, et que les Elohims étaient des extraterrestres avec une auréole, des grandes capes et tout ça. C’est de la SF, on a le droit de s’en servir, mais on n’est pas forcé d’y croire.

En mettant en parallèle les découvertes sur les mitochondries (une espèce de bactérie qu’on trouve dans le système digestif, que la mère transmet toujours, en partant du principe qu’il y a tant de mutations, parce que ça mute très vite, les scientifiques sont arrivés à dire que la séparation de l’humanité daterait de deux cent mille ans) et certains résultats de linguistique comparée, tu aboutis à un schéma de l’évolution de l’humanité qui est peut-être faux, mais pour le moment, on ne peut pas démontrer le contraire. On n’est pas loin de la science barjo par moments, mais l’hypothèse est qu’il y a deux ou trois cent mille ans, tu avais un groupe humain primitif qui a éclaté partout, provoquant la naissance des langues, des divergences physiques…

Tout en faisant un bouquin dans un univers très glauque, avec toujours ce côté psychédélique, ça me permet de me pencher sur les origines de l’humanité. On va découvrir que le danger, ou bien la manière de vaincre ce danger, vient du fin fond de l’histoire humaine, de l’apparition du sapiens-sapiens, d’être identiques à nous il y a deux cent mille ans. En gros, voilà le but. C’est peut-être un peu ambitieux, c’est peut-être pour ça que ça me prend du temps aussi.

D’habitude, les auteurs finissent leur carrière par ce genre de révélation…

Non, j’ai commencé par ça. J’ai juste eu une démarche différente. J’avais une base sur laquelle sont venus se greffer plein de trucs au fil du temps. C’est pour ça que c’est un peu compliqué, et c’est aussi pour ça qu’il y aura un nombre certain de modifications dans l’édition définitive.

On en vient à la documentation.

itw-rcw-guieu2.jpgOui, quand je lis des bouquins ou des articles sur la science, ou même des machins sur les soucoupes volantes, il me vient des idées. Il y en a que je vais utiliser pour les Guieu par exemple, comme dans Echec au Destin, l’idée que le Déluge c’est la fin de la glaciation, ça ne me parait pas une idée stupide, surtout quand tu sais que les Dravidiens ont une légende selon laquelle ils viennent d’un continent englouti au sud de l’Inde. Pour des gens qui se déplacent à pied, une bande de terre de cent kilomètres de large peut devenir un continent. Mais là, j’ai exploité cette idée dans un esprit Guieu. Quand je vais travailler sur un de mes bouquins, je n’utiliserai pas la même technique. Je vais prendre une théorie, quelle qu’elle soit, que j’aurai inventée ou que quelqu’un aura inventée, je vais essayer d’enrichir la chose et ça, ça prend vraiment du temps. Sans compter les recherches stylistiques…

On a vu ce qui touche à ta production chez Jimmy, on a aperçu ce qui nous attend avec Archétypes, mais étrangement, tu ne sembles pas avoir de projets pour le Fleuve Noir, du moins à court terme…

En Anticipation ?

Oui.

Si tu veux, Guieu me rapport vingt mille francs, je ne sais pas autour de combien tournent les tarifs du Fleuve ces derniers temps, j’ai entendu dire qu’ils avaient baissé, mais à l’époque c’était quinze mille francs, donc si maintenant on m’en offre douze mille, c’est pas la peine, je préfère le donner à Francis Saint-Martin ou à William Waechter (fanéditeur de la revue Planète à Vendre). Par exemple, publier chez l’Atalante, qui fait des avances de huit mille francs, je serais tout à fait d’accord, parce que ce sont de vrais éditeurs : si le bouquin se vend, ils vont le réimprimer, ils font du suivi, les livres sont beaux, c’est un petit éditeur qui n’a pas beaucoup de sous, c’est normal. Mais toucher une misère pour être publié au Fleuve, alors que le Fleuve fait quand même parti du groupe des Presses de la Cité, ce n’est pas intéressant. En plus, je ne sais pas si Philippe Hupp serait intéressé que je lui refile un bouquin.

Travailler avec Nicole Hibert, c’était vraiment très bien pour les auteurs parce qu’elle les écoutait, elle prenait le temps de les écouter. Tu venais dans son bureau, tu disais « j’ai ça, ça et ça », elle écoutait le truc et disais « Coco c’est bien mais est-ce que tu as pensé à ça ? » « Non, je n’y avais pas pensé, bon ceci dit on peut faire… »

Tu repartais de son bureau avec ton idée qui était légèrement enrichie.

Oui, c’est autre chose que soumettre un livre terminé et attendre l’hypothétique réponse…

Voilà. Avec les Guieu j’ai un contrat avant rédaction. C’est quand même une sécurité. En tant qu’écrivain professionnel, je ne peux pas me permettre d’écrire un Fleuve qui, s’il est pris, me sera mal payé et qui ne sera peut-être pas pris. En plus, vu l’évolution de la collection…

Anticipation étant ce qu’elle est aujourd’hui, elle ne peut plus permettre à un auteur de vivre ; un écrivain professionnel doit faire attention à ce genre de choses.

itw-rcw-guieu1.jpgitw-rcw-guieu3.jpgitw-rcw-guieu4.jpg

En ce qui concerne les Guieu, tu as carte blanche ? Tu peux faire ce que tu veux ?

Oui. Sauf que… je suis tout de même tenu de rendre un produit qui ait la patine d’un Guieu, stylistiquement et au niveau de l’histoire. Le produit est défini, c’est pratique, c’est un respect vis-à-vis du lecteur. Celui de Guieu attend un certain nombre de choses. Eh bien, il faut lui fournir. Maintenant, je suis tout à fait libre de faire des trucs destroy. Dans Captifs de la Main Rouge, il y a quand même un certain nombre de passages… notamment un que j’adore, celui qui se passe dans l’espèce de bistrot avec le Gnekshare en train de se boire un truc dans un seau avec une paille comme ça [il écarte démonstrativement les bras]. Guieu, c’est bien parce que c’est du space-op’. D’entrée, tu es libre. Tu crées les bestioles que tu veux. J’ai été obligé de discuter beaucoup avec Raymond Audemard, qui supervise les productions pour la collection, parce qu’il ne voulait pas trop d’extraterrestres non-humains, en disant que chez Guieu il n’y en a pas beaucoup. J’ai relu les Blade & Baker, et finalement, si, il y en a pas mal, mais ils sont seulement évoqués, ils ne sont jamais mis en lumière. Guieu ne s’attaque pas à la psychologie des extraterrestres non-humains, moi si. Je pense que de ce point de vue là, ça crée un plus pour les lecteurs.

Sinon, j’ai aussi rajouté des personnages. Normalement, il y a peu de personnages qui reviennent d’un livre à l’autre chez Guieu, à part l’équipage du Maraudeur. Là, j’en ai rajouté. J’ai introduit Zlanilla, la petite copine attitrée de Blade, parce que finalement, pour moi, c’était plus simple qu’il ait une petite copine attitrée plutôt qu’il en change à chaque fois. Ça me gênait un peu qu’il faille à chaque fois changer, Blade & Baker arrivent sur une planète et ils se tapent chacun une super-nana… Je l’ai fait dans les deux premiers, pour le troisième je me suis dit : bon, très bien, il va falloir recommencer. Alors j’ai mis plus l’accent sur Blade, un personnage qui m’est plus facile à manipuler, je ne sais pas pourquoi, il m’est plus sympathique. Donc, je lui ai collé cette petite copine, Zlanilla. Et une fois que tu as créé un personnage comme Zlanilla, tu le réutilises… C’est bon ça, parce que ça te fait toujours une page de description, dans chaque volume, où le lecteur tire la langue. Ça marche à tous les coups. Mais il y a d’autres nouveaux, il y a les Gnekshares, ne vous inquiétez pas, on va revoir des Gnekshares…

Maintenant que tu es seul à assumer les Guieu, ça te permet de donner une continuité.

Chaque volume est totalement indépendant, mais ça se suit. D’ailleurs, tu as bien vu, là on retrouve le Dragon Rouge comme méchant récurrent, mais quand le Dragon Rouge sera évacué, évidemment, le méchant récurrent deviendra la Main Rouge, et il va falloir lui régler son compte. Alors là, je vous donne rendez-vous au centième titre de la série, qui sera un volume plus gros avec, normalement, une préface de Guieu : « Comment j’ai créé Blade et Baker ». Ça va être super-intéressant !

Il va être obligé de lire le bouquin.

Mais il les lit ! Après parution. Le premier, il l’a lu avant, il était très content, il m’a téléphoné pour le féliciter. « Allo, Roland Wagner ? Ici Jimmy Guieu ». J’ai cru que c’était une blague. Il était très content. D’ailleurs, c’est lui qui m’a fait remarquer, quand je lui ai dit que je n’arrivais pas à différencier Blade et Baker : « Ah, vous savez, Baker est un peu plus Cassandre tout de même… » Et effectivement, en relisant, je m’en suis rendu compte, mais c’est pas évident…

Il y aura aussi dans le centième un dictionnaire des personnages de la série, et ce sera la conclusion d’un nouveau cycle qui commence avec Les Albinos de Sulifüss, et celui-là, ça va être le délire.

C’est pour bientôt si tu as déjà écrit les numéros 95 et 97.

Les Magiciens des Mondes Oubliés devrait paraitre bientôt, et je suis en train de finir L’Ombre du Dragon Rouge, à paraitre si tout va bien en octobre 94. Le numéro 100 c’est pour janvier de l’année prochaine. En ce moment, il y a des rééditions qui viennent s’intercaler. Elles sont totalement réécrites. Il y a un certain nombre de choses qui ont disparu par rapport aux premiers volumes.

Ah ?

Oui, je pense que vous voyez quoi.

Pourtant ces choses supprimées sont à nouveau – et démocratiquement – au goût du jour.

Oui mais bon…

Mais pour écrire ces livres, tu dois avoir une très bonne connaissance de l’univers de Guieu.

Pour faire ça je les ai tous relus.

Aïe ! Tous ?

Je me suis même procuré ceux que je n’avais pas. J’ai découvert des choses très intéressantes. Par exemple, dès le premier Blade & Baker, Guieu avait inventé le concept des Maîtres de la Galaxie. C’est une espèce de super-confédération qui essaie de gérer la galaxie en descendant sur les planètes et en se faisant passer pour des dieux auprès des populations primitives pour les faire évoluer. Dès le début, il y avait les Rigelliens, des espèces de flics galactiques. Mais comme l’univers de Guieu n’est pas toujours très cohérent, il peut y avoir d’un bouquin sur l’autre des petites incohérences… Il n’en a jamais reparlé. Alors là, je pense que je vais faire une mini-série, où il y aura les Rigelliens et les Maîtres de la Galaxie qui entrent en conflit, par exemple… Il y a bien de quoi en faire huit volumes… Surtout que les Maîtres de la Galaxie sont sensés regroupés des milliers de race. Je ne te raconte pas la visite à la planète-capitale. Les Captifs de la Main Rouge ou même Les Psychopompes de Klash, ça va être de la gnognotte. Il va y en avoir partout. Les mecs vont entrer dans une pièce, il y aura deux extraterrestres debout au milieu, un accroché au plafond, un qui essaie de rentrer par la fenêtre, et un qui est en train de suinter sous l’autre porte… Sans compter celui qu’ils n’avaient pas vu parce qu’il était fait d’énergie pure et qui plane au-dessus du socle tridi parce qu’il aime bien se nourrir de ses émanations…

Tu as déjà des idées pour tes bouquins tellement à l’avance ?

itw-rcw-psychopompes1.jpgNon, même pas, mais si tu veux, créer des extraterrestres barjos, c’est tellement facile. C’est quand j’ai fait Les Psychopompes que je m’en suis rendu compte. L’un des plus grands plaisirs qu’un auteur de SF peut avoir, c’est de créer des extraterrestres. Plus ils sont improbables, mieux c’est. Improbables mais cohérents. Tu ne peux pas espérer entrer dans une psychologie étrangère, créer une psychologie étrangère. La manière dont est constitué l’esprit humain te permettra peut-être de pénétrer la mentalité japonaise, chinoise, on peut y arriver. Gérard Klein faisait une remarque très juste : toutes les langues de la Terre sont traductibles les unes dans les autres. Même si les langues sont différentes, on tombe toujours sur les mêmes concepts. L’Homme, c’est l’Homme, mais dès qu’on attaque les extraterrestres, on peut tomber sur des trucs complètement déjantés, style ce qu’il y a dans les Red Deff.

Achille Talon ?

Ça, c’est une idée de Jean-Marc Ligny. « Monsieur Viper, lâchez mon sexe mâle gauche… ». Le coup du Poisson d’Avril était de lui aussi. C’est toujours sympa les extraterrestres…

Ça mange pas de pain.

Ça je ne sais pas, mais regarde, il y a plein de bouquins de SF qui sont passés dans les classiques et qui contiennent des extraterrestres délirants. Il y a quand même une période dans Galaxy, entre les années cinquante et soixante, où tu as des extraterrestres plus déjantés les uns que les autres. Le texte est sérieux, la guerre menace, mais les extraterrestres qui vont se faire la guerre sont tellement barjos qu’au bout de dix minutes tu es mort de rire, l’étrangeté et la différence à ce point-là, soit ça crée le malaise, soit ça te fait rire. Il n’y a pas d’autre solution. Tu ne peux pas créer un extraterrestre crédible, totalement différent, qui ne génèrera pas un de ces deux sentiments. Moi, je préfère faire rire que créer le malaise. J’aime que les lecteurs sortent intacts de mes livres, à la différence de certains…

On entre dans l’autre théorie wagnérienne sur l’écriture brussolienne.

Là, je ne m’étendrai pas.

Pourquoi ?

Parce que j’ai déjà tout dit. Depuis longtemps.

Roland, depuis l’interview de Claude Ecken (in La Geste chapitre cinquième), tu es réputé pour ne pas savoir d’où te viennent les idées.

Non ! Ce n’est pas ce que j’avais dit ! Je ne suis pas capable de dire pourquoi j’écris un livre, te donner la raison profonde qui me pousse à écrire un livre. J’ai simplement envie de l’écrire, voilà.

itw-rcw-2024.jpgPour les idées, c’est faux, je sais très bien d’où elles viennent, je pioche partout tout le temps. J’ai écrit Les Derniers Jours de Mai pendant une période de dépression, son écriture a été entièrement basée sur des morceaux de musique. Le titre vient de Then came the last days of may du Blue Öyster Cult, les citations qu’il y a au début ne sont pas là pour faire joli ou pour faire érudit polyglotte, comme dirait Pierre Stolze, elles sont là parce que ce sont les morceaux de musique qui m’ont plus ou moins inspirés. Killer vient de la musique d’Alice Cooper, « I’m a killer and I’m a clown ». Killer, dans Les Derniers Jours de Mai, est à la fois un tueur et un clown. Pour ce roman, en particulier, et un peu pour Le Serpent d’Angoisse, la création est partie d’influences musicales, ou de la musique que j’écoutais à ce moment-là. Mais je ne suis pas tout seul, Jean-Marc Ligny ou même Michel Pagel parlent de l’importance de la musique par rapport à ce qu’ils écrivent. En fait, les idées pour la SF, tu les trouves où ? Tu les trouves dans la doc scientifique, dans l’actualité aussi, dans les autres bouquins de SF, évidemment, vu qu’on travaille dans un monde référentiel, et la SF est quand même caractérisée par sa thématique : à partir du moment où tu abordes un thème, d’autres gens ont de toute façon déjà traité ce thème. Donc, quand tu écris de la SF, il faut savoir un peu ce qui a été fait sur le sujet. Sinon, tu fais comme les auteurs de littérature générale qui se disent : « La SF, c’est de la sous-littérature, c’est facile, je vais en faire ». Le résultat, c’est 2024 de Jean Dutourd. Ces auteurs enfilent comme des perles les clichés les plus éculés parce qu’ils ne savent pas que ce sont des clichés, ils croient que ce sont des idées très originales parce qu’ils ne les ont jamais vues en littérature générale.

Donc, si tu veux, les sources d’inspiration, les sources d’idées sont multiples. C’est tout ce que tu peux avoir autour de toi. De toute façon, tous les écrivains fonctionnent pareil. Tu as des trucs qui te sautent aux yeux, et puis tu as la musique après. Et la musique, pour moi, c’est très très important.

Tout à l’heure, au resto, on parlait de Gilles Dumay et de Marc Lemosquet, qui sont des écrivains rock. Il y a une douzaine d’années, je terminais une interview par : « J’écris du rock ‘n’ roll ». Je ne sais pas si je pourrais dire ça aujourd’hui parce que, tu vois, avec le temps, on n’a plus la même vision des choses, et puis la musique qu’on écoute n’est plus la même. Ça ne veut pas dire que je fais des infidélités au rock, le rock c’est la musique de ma génération, mais on n’a plus les mêmes feelings par rapport aux mêmes groupes. Sans compter qu’il y a tout un background culturel. Je sais, ça peut n’avoir l’air de rien, mais même les groupes les plus primitifs reposent sur un ensemble de codes.

J’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui n’a pas suivi en France, c’est la liaison entre rock et SF qu’il y a eu à une certaine époque, qui continue à exister aux Etats-Unis – par exemple Buddy is alive and well on Ganymede, un bouquin de Bradley Denton paru il y a deux ou trois ans, ou alors A Dead Singer de Michael Moorcock, où l’on voit Hendrix qui revient, ou encore Rock Machine de Spinrad…

itw-rcw-buddy.jpgitw-wagner-rockaltitude.jpgitw-rcw-rockmachine2.jpg

Hendrix, tu l’as fait revenir aussi.

Je l’ai fait revenir ?

Dans Le Paysage déchiré, pendant le banquet…

Exact ! Chez la Dame Blanche ! Il y a aussi Iggy Pop dans Le Serpent d’Angoisse.

Dans Archétypes Incarnés – tu vas le voir dans le troisième volume – il y a l’histoire de la Ville Libre de New York, qui est une ville uniquement peuplée de rockers, et dont le maire est Iggy. Aux élections, il y a les Gloires du Rock, qui sont formées de heavy-metalleux, et en face tu as les Garagistes, qui sont formés de fans de rock garage et de keupons qui s’affrontent aux élections.

En fait, toute la série du Futur Proche est très influencée par le rock, parce que c’est quand même quelque chose qui a été conçu essentiellement au cours des années 70 et 80, donc à une époque où le rock était encore quelque chose de prépondérant, tout en restant malgré tout une culture marginale. Une culture marginale dominante. Aujourd’hui, musicalement, je pense que la place du rock est prise par deux courants, le rap et la techno.

Le rap pour le côté militant, révolutionnaire et idéologique, enfin si on peut trouver une idéologie dans le rap. Par contre, le côté délire, grandes cérémonies et tout ça, c’est plutôt la techno avec les raves. Maintenant, on peut se poser des questions sur l’authenticité de ces mouvements. Il n’y a que l’histoire et le temps qui pourront nous en dire plus.

Pour en revenir à la techno, il y a quand même quelque chose qui est très intéressant pour un auteur de SF, c’est que depuis qu’on a inventé le sampler, l’échantillonneur et tout ça, il existe deux manières de faire de la musique. Dans un cas tu la joues, dans l’autre tu échantillonnes, tu la rentres dans la machine, tu n’as pas besoin de savoir jouer, tu peux très bien te servir du curseur pour déplacer les notes. Tu obtiens une musique qui est faite de manière entièrement automatique. Pour l’interprétation, en tous cas, car il y a toujours quelqu’un qui crée au départ. Quelqu’un qui fait avec des sons repompés ou créés – il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup de créations de sons en techno. Ce sont deux approches totalement différentes. C’est pour ça que, d’habitude, les musiciens n’aiment pas la techno. Les gens qui jouent de la musique n’aiment pas la techno parce que c’est une musique qui n’est pas interprétée. Là, je pense que c’est quelque chose qui, historiquement, est primordial. Avant, il n’existait qu’une seule manière de faire de la musique, en la jouant. Aujourd’hui, il y en a deux. Et je pense que les deux sont aussi valables l’une que l’autre. Après tout, les musiciens classiques écrivaient leur musique et ensuite les orchestres les interprétaient. Beethoven, aujourd’hui, écrirait sa musique et la ferait jouer par une série de samplers et de synthétiseurs. Peut-être. Va savoir…

C’est là qu’on rentre totalement dans la SF, parce que je ne me rappelle pas que quelqu’un ait eu l’idée qu’on puisse faire de la musique de cette manière-là. Tout comme l’ordinateur n’a jamais été pensé par les auteurs de SF, la musique techno n’a pas été inventée non plus parce qu’on n’a pas pensé aux synthétiseurs.

Tout ça pour dire que le rock a maintenant un côté un peu démodé, old-fashioned, la musique de papa. Les gens de quinze ans maintenant, c’est ce que leurs parents écoutent.

Ceux de vingt et un ans aussi…

Tu vois, toi, tes parents écoutaient du rock, moi mes parents écoutaient des marches militaires et de la musique classique.

La question au départ était de savoir où je trouve mes idées. Je les trouve pour beaucoup dans la musique. On peut définir plusieurs catégories. Tu as l’idée de SF bateau : voyage dans le temps, etc. Après tu as la doc scientifique, tu as des idées qui te viennent de tout et n’importe quoi, ça peut te venir de la littérature générale, d’une BD, tu trouves un personnage. Pour moi, pas dans les Guieu évidemment, mais dans L’Histoire du Futur Proche, la musique est très importante, je n’en écoute pas tout le temps, mais quand j’écris j’aime bien avoir ma petite cassette de punk sixties ou un groupe de psyché qui passe, ça me met dans l’ambiance. La musique, c’est une ambiance, c’est quelque chose qui est plus émotionnel que cérébral, et donc je pense que la couleur donnée au livre chez moi et chez Ligny dépend très certainement et pour beaucoup de ce qu’on écoute. D’où l’importance du rock par rapport à ce que je fais, par rapport à ce que fait Jean-Marc. Par contre, un exemple curieux, c’est que Spinrad n’écoute pas beaucoup de musique, et surtout pas en travaillant. C’est étonnant de la part de l’auteur de SF le plus rock ‘n’ roll qui soit publié en France.

Il y a beaucoup de groupes de rock qui ont fait de la SF dans les années 70 : Deep Purple, Led Zeppelin, Genesis… Il y a eu une espèce de concomitance qui ne s’est plus faite après. Quoique maintenant en techno tu as énormément de titres qui font penser à de la SF.

À la fin des années 70, on avait besoin de trucs qui avaient la pêche, on avait besoin de violence, c’était quand même la fin du règne de la droite, à l’époque. Pour les gens de ma génération, c’est vrai que le punk est apparu comme une libération, parce qu’on ne se reconnaissait plus dans la musique qui se faisait alors. Les groupes qui avaient bonne réputation, qui étaient apparus à la fin des années 60, début 70, les trucs genre Quicksilver Messenger Service, Jefferson Airplane, tous les grands trucs comme ça, ça avait dégénéré. L’évolution musicale à l’’intérieur des groupes a fait que le public qui est arrivé légèrement après la mêlée s’est retrouvé avec quelque chose de plus fade, quelque chose qui avait tourné vers le commercial. Il y a eu un rejet de cette musique-là. C’est vrai que les punks ont complètement rejeté l’époque baba, l’époque psychédélique et planante d’après, parce que c’était une musique dans laquelle on ne pouvait pas se reconnaitre, parce qu’elle avait perdu la folie et l’énergie des débuts qu’on retrouve dans le punk. Regarde l’exemple d’Amon Düül, les premiers albums sont complètement déjantés, les derniers plus sages. C’est peut-être parce que, quand quelqu’un a du succès, et je pense qu’on peut faire un parallèle avec les auteurs, l’éditeur ou la maison de disques va essayer de rééditer ce succès. Quand quelqu’un a bien marché ou bien vendu, on essaie de faire qu’il marche encore plus, qu’il vende encore plus. Mais pour vendre plus, on le pousse à s’affadir et à se répéter, parce que ça a marché sur une tranche du public mais ça ne marche évidemment pas sur les autres tranches du public. On veut élargir le public, mais en élargissant le public, on perd les fans de base. Je pense que ça c’est passé en SF en France pour un certain nombre de gens. Sauf qu’il n’y avait pas de la part des éditeurs des consignes aussi strictes qu’il pouvait y avoir de la part des maisons de disques dans les années 70.

Oui, mais ce mouvement peut venir de la part des auteurs eux-mêmes qui s’assagissent pour continuer à être édités.

Oui, mais tu peux avoir plusieurs cas. Je ne pense pas que faire du Guieu soit un affadissement. Je signe d’un pseudonyme, non pas pour me cacher honteusement – de toute façon c’est de notoriété publique – mais parce que je n’ai pas envie que quelqu’un qui a aimé Les Derniers Jours de Mai achète un Guieu sur mon nom. Ça n’a rien à voir, c’est de la SF tout à fait classique. Ça me gênerait parce que ce n’est pas le même public, ce n’est pas fait pour ça. Tu vois, j’utilise mes pseudonymes un peu comme un label. Si tu achètes un Wagner tu as tel type de truc, si tu achètes un Deff tu as tel autre type de truc, et si tu achètes du Wolfram tu as… du Jimmy Guieu. Voilà.

Je pense que, pour la SF, nous sommes dans une période qui est équivalente aux années 70-74, ce qui nous manque c’est l’arrivée du punk. Quelque chose qui va tout bouleverser, qui va mettre un bordel phénoménal, qui va un peu changer tout ça. Parce que même si la SF classique c’est bien, je trouve qu’actuellement nous sommes un peu submergés par les auteurs néo-classiques. Je pense que quelqu’un comme Ayerdhal est un auteur néo-classique à fond, je pense que Le Bussy est un auteur néo-classique, et même si ce sont des auteurs bons et intéressants, ils ne font pas avancer le schmilblick.

itw-rcw-lageste06.jpgEntretien paru originellement dans le fanzine La Geste, chapitre 6, juin 1994.

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