Journée étrange passée à travailler sur un essai – une histoire des pulps – pour le prochain catalogue de la Maison d’Ailleurs, tout en écoutant en boucle le concert de Michel Berger au Zénith, en 1986. Ce qui reste le plus surprenant dans cette musique, un quart de siècle plus tard, est le jeu de Jannick Top, à la basse électrique : en perpétuel décalage esthétique mais aussi, souvent, harmonique…
Journal d'un homme des bois, 21 juin 2012
Journée étrange passée à travailler sur un essai – une histoire des pulps – pour le prochain catalogue de la Maison d’Ailleurs, tout en écoutant en boucle le concert de Michel Berger au Zénith, en 1986. Ce qui reste le plus surprenant dans cette musique, un quart de siècle plus tard, est le jeu de Jannick Top, à la basse électrique : en perpétuel décalage esthétique mais aussi, souvent, harmonique – là où le kéké de base aurait appuyé sur une fondamentale, Top brode autour d’une quarte, d’une neuvième... J’ai rencontré Jannick Top et pu échanger quelques mots avec lui, à plusieurs reprises, dans les années septante, à l’occasion de passages de Magma à Bordeaux ou dans sa banlieue. C’était déjà un musicien hors-pair et un compositeur talentueux – Magma continua d’ailleurs de jouer son De Futura, après son remplacement dans le groupe par Bernard Paganotti. Autant que je me souvienne, Jannick Top est né dans l’immédiat après-guerre à Marseille mais c’est au Conservatoire de Nice (à vérifier !) qu’il fit des études musicales, sanctionnées par un prix en violoncelle. C’est très certainement sa pratique de cet instrument qui le conduisit à accorder sa basse en quinte ascendante – plutôt qu’à la quarte. Et, par voie de conséquence, à développer un jeu très dynamique avec l’obligation de galoper sur le manche, puisqu’il est obligatoire d’utiliser les sept premières cases (au lieu de cinq) pour passer, en terme de fréquence, d’une corde à la suivante. Autre conséquence : la possibilité d’esquisser d’un doigt de la main droite un accord (fondamentale/dominante) non défini d’un point de vue modal, mais fort efficace en terme de construction des fondations d’un mur harmonique. Mais j’en vois qui ont décroché… reprenons : une guitare basse normale (à 4 cordes) est accordée, du grave vers l’aigu, en : Mi, La, Ré, Sol. La note que produit une corde est la quarte de la note produite par la corde précédente. Exemple : La est la quarte de Mi. Un violoncelle (également 4 cordes) est accordé à la quinte ascendante : Do, Sol, Ré, La. Exemple : Sol est la quinte de Do. En fait, tous les instruments de la famille des violons sont accordés à la quinte : une octave au-dessus du violoncelle on trouve l’alto, et une quinte au-dessus de l’alto on trouve le violon. Alors que la contrebasse – ancêtre de la guitare basse – est accordée à la quarte ; j’entends la contrebasse normale à 4 cordes. Car il existe des contrebasses à cinq cordes : en musique classique, on ajoute parfois une corde plus grave, en général un Do dont la fréquence est donc celle de l’octave inférieure de la plus grosse corde du violoncelle. On notera que ce Do est une tierce en-dessous de la grosse corde habituelle de la contrebasse (un Mi), ce qui ne respecte pas le principe d’accord à la quarte. Mais les musiciens classiques – qui ne sont pas des gens comme les autres – aiment bien ce qui commence au Do, quitte à imposer à la contrebasse à cinq cordes un doigté tout pourri. Les musiciens de rock, qui eux par contre sont un peu des fainéants, accordent cette corde additionnelle grave en Si, respectant le principe de l’accord en quarte ascendante et autorisant un doigté plus immédiat. Bon. Certaines contrebasses à cinq cordes bénéficient de l’ajout non d’une corde grave mais d’une corde aigüe : un Do (une telle contrebasse n’est donc pas tout à fait le démarque, à l’octave en-dessous, d’une guitare dont on aurait cassé la petite corde). Les basses électriques à cinq cordes sont en général de la catégorie « ajout d’une corde grave » ; il existe des basses électriques à six cordes qui bénéficient des deux ajouts, un Si grave et un Do aigu, toujours pour des histoires de simplification du doigté. Vous suivez ? Et Jannick Top, dans tout ça ? Eh bien je dirais que pour cet enregistrement avec Michel Berger, il me semble – si j’en crois mon oreille et la visualisation de son doigté – qu’il utilise ici une basse à quatre cordes, accordée à la quinte, en Do, Sol, Ré, La. Seule la corde de Ré est donc accordée normalement ; la corde aigüe de Sol est montée d’un ton jusqu’au La ; les deux cordes graves sont baissées, l’une d’un ton (La vers Sol), l’autre de deux tons (Mi vers Do). Et je dirais, toujours à l’oreille, que ces deux cordes n’ont pas grand-chose de spécial, qu’elles sont simplement détendues – sans doute s’agit-il toutefois, à l’origine, de filets ronds à fort tirant ; ce qui expliquerait les effets obtenus sur ces cordes et qui rappellent fortement ceux obtenus sur une guitare barytone (accordée à la quinte en-dessous d’une guitare normale, avec un manche plus long – la guitare barytone est à la guitare normale, parfois appelée E guitar, ce que l’alto est au violon, OK ?). Tout cela restant à vérifier. Quoi qu’il en soit, un Mi grave normal de guitare basse a une fréquence de 41 Hz (pour comparaison le violoncelle descend à 65 Hz) ce qui est déjà coton à reproduire correctement et avec précision à forte puissance – sans plusieurs hauts-parleurs de 15 pouces / 38 cm de diamètre, pas de réel salut… même s’il fut un temps où des marques pourtant célébrées comme Ampeg utilisaient des hauts-parleurs de chochotte ! Mais un Si grave de basse à cinq cordes – ou dans le cas présent d’une basse accordée en quinte – vibre à environ 31 Hz., une fréquence qui « s’entend » davantage avec les tripes qu’avec les oreilles. Décidemment, il est des ingénieurs du son qui ont bien du mérite ! Cela étant et pour tout dire, musicalement parlant, ce concert de Michel Berger n’est pas génial et on lui préfèrera, dans le même genre, le double CD de France Gall qui pioche dans une série de concerts à Bercy, en septembre 1993. On retrouve parmi les musiciens Jannick Top et son compère claviériste Serge Perathoner, mais la guitare et la batterie sont cette fois tenues par Denys Lable et Claude Salmieri – du très lourd qui a assuré les beaux jours de certaines tournées de Francis Cabrel. Bref, tout ça pour dire que sur scène, les vraies stars, ce sont bien souvent les musiciens de studio (peu nombreux, toujours les mêmes !)… et pas forcément le chanteur pour lequel vous êtes supposé avoir payé un billet au prix fort. Mais vous le saviez, non ?