Décembre 1959

Rétrocipation |

Période de fêtes oblige, tous nos confrères s'échinent à faire le bilan des parutions de l'année et à sélectionner pour nous ce qu'il faudra retenir de 2009. En attendant la sélection ce qu'il ne faut pas retenir de cette année avec les Razzies que vous retrouverez fin janvier dans Bifrost (et dont vous pouvez déjà découvrir les nominés), Bifrost se plie aussi à la règle et vous propose le meilleur de l'année... 1959 ! Car, fidèle au poste, de l'autre côté de la faille temporelle qui relie le blog Bifrost à la fin des années 50, notre reporter de l'impossible, Albert Ledou, en direct du passé commente pour nous les parutions de décembre 1959...

Amis lecteurs du Bulletin d’Information des Amateurs d’Anticipation et de Terreur de Conflans-la-Haute, puisque 1959 arrive à son terme, profitons de cette rubrique pour dresser un rapide bilan de l’année, en même temps que nous traiterons des dernières parutions.

Même si elle ne publie aucun nouveau titre en ce mois de décembre, commençons par évoquer rapidement le cas de la collection Présence du Futur, qui aura réalisé cette année un sans faute ou presque. Elle nous aura en particulier permis de découvrir quelques uns des jeunes auteurs de science-fiction les plus prometteurs, de John Wyndham à James Blish en passant par Brian Aldiss ou Charles Beaumont. Autant d’écrivains que l’on souhaite lire à nouveau très vite, ici ou ailleurs.

Lieutenant Kijé
La Guerre des Machines
(Le Rayon Fantastique)

En revanche, le moins que l’on puisse dire est que 1959 ne restera pas une grande année pour le Rayon Fantastique. Seulement quatre titres parus, et même si la moitié d’entre eux valent qu’on s’y intéresse (les romans de Messieurs Drode et Henneberg), cette collection pionnière nous avait habitué à mieux.

L’année se termine d’ailleurs assez mal avec ce qui semble être un premier roman, à moins que l’auteur qui se dissimule sous le pseudonyme de « Lieutenant Kijé » n’en soit pas à son premier forfait. Pourquoi ce nom, emprunté à l’écrivain russe Iouri Tynianov, dont la nouvelle fut adaptée au cinéma dans les années 30 ? Je l’ignore. Et la piètre qualité de La Guerre des Machines ne m’incite guère à creuser la question. Non que le dénommé Lieutenant Kijé écrive mal, sa plume est alerte, mais son récit est à ce point agité que l’on n’a jamais le temps de s’y attacher.

Dans un futur lointain, l’humanité vit sous terre, après avoir abandonné la surface de la planète à des machines qui ont échappé à son contrôle. Dans cette société militariste figée, gouvernée par une figure énigmatique baptisée l’Eternité, un homme va se révolter et mener la population à la liberté : le capitaine Morton.

Le propos est attrayant, il n’est malheureusement jamais développé. A longueur de pages, les protagonistes, simples silhouettes sans aucune épaisseur, courent en tous sens, se battent, tentent d’échapper à la mort qui leur est promise, dans un tourbillon incessant et un fracas de feu et d’acier permanent. Les enjeux sont très vite oubliés, il n’est question que de tuer ou d’être tué, jusqu’à épuisement total, du lecteur plus encore que des personnages. S’il était paru dans la collection Anticipation, on aurait sans doute vanté les qualités stylistiques du Lieutenant Kijé, au Rayon Fantastique, on est en droit d’attendre davantage que cette sorte de roman guerrier frénétique.

F. Richard-Bessière
On a hurlé dans le Ciel
(Anticipation n°148)

Puisque nous l’évoquions à l’instant, penchons-nous à présent sur la collection Anticipation, qui a poursuivi sur son rythme habituel, soit deux nouveaux titres par mois. Notons tout d’abord que les anglo-saxons s’y font de moins en moins présents, avec seulement trois romans parus (contre cinq l’an dernier), signés Lan Wright, Charles Chilton et Arthur C. Clarke. Côté français, la qualité est restée égale, allant du bon au médiocre. Les meilleurs romans de l’année furent signés Stefan Wul, Kurt Steiner et B.R. Bruss, les moins bons Jimmy Guieu, Max-André Rayjean et F. Richard-Bessière qui, avec cinq livres, fut de loin l’auteur le plus prolifique de l’année. La qualité ne fut hélas guère au rendez-vous, comme en témoigne encore son dernier roman, On a hurlé dans le Ciel.

Le point de départ en est pourtant prometteur. La Terre a été conquise par une race extraterrestre, les Kerlosiens. Après deux siècles d’occupation, les humains continuant à s’opposer aux envahisseurs sont rares mais d’autant plus déterminés à lutter, voire à prendre des décisions extrêmes, comme celle de détruire Mars, où se trouve la principale base kerlosienne (ainsi que de nombreux Terriens asservis). Mais à peine l’opération est-elle lancée qu’elle est compliquée par l’apparition d’une autre race, les Yartzkaniens, dont la planète vagabonde s’apprête à pénétrer dans le système solaire et menace d’entrer en collision avec Mars.

La première moitié de ce roman s’éparpille entre de trop nombreux protagonistes et souffre d’une intrigue dont la progression se fait par à-coups. La seconde est moins bonne encore : on y suit l’un des membres de la Résistance, cherchant sans grande méthode à identifier celui qui doit l’aider à détruire Mars. Par ailleurs, l’intervention des Yartzkaniens n’apporte strictement rien au récit, hormis davantage de confusion. Au bout du compte on ne sauvera de ce roman que ses dernières pages et la révélation inattendue sur laquelle il se clôt. C’est trop peu pour faire de On a hurlé dans le Ciel une lecture satisfaisante.

Maurice Limat
Le Sang du Soleil
(Anticipation n°147)

Seul nouveau venu dans la collection cette année, Maurice Limat signe un second roman un peu meilleur que le premier. Pas de quoi s’enthousiasmer outre mesure, mais on peut trouver à ce Sang du Soleil certaines qualités. On y suit les mésaventures d’un jeune homme, Alain Maresco, kidnappé par un vaisseau spatial sur Titan où son père est le commandant d’un poste avancé terrien. A bord de l’appareil, il découvre une jeune femme endormie à l’intérieur d’un sarcophage et en tombe éperdument amoureux. Mais il doit également faire face à son ravisseur, le dénommé Zaano, originaire de Mercure. Pourquoi a-t-il été enlevé et quel sort lui est-il réservé ?

Monsieur Limat aime toujours autant les tragédies sentimentales qui lui permettent de se lancer dans de grandes envolées lyriques pour décrire les émois et les tourments de ses personnages. Un style dont on peut se lasser assez rapidement, mais qui pourtant fait parfois mouche, notamment lorsqu’il s’agit de décrire les conditions de vie dantesques sur Mercure, au moment où ses protagonistes se trouvent plongés au cœur d’un décor infernal. Au final, on regrette que l’auteur se contente de jouer sur un registre strictement émotionnel, car les révélations faites au terme du récit auraient mérité un développement plus « science-fictif ».

A.E. Van Vogt
Créateur d’Univers
(Les Cahiers de la Science-Fiction n°9)

Malgré des difficultés que j’évoquais il y a quelques mois, Satellite a réussi à tenir tant bien que mal son programme de publication. Même si aucun des titres parus n’est à ranger parmi les chefs-d’œuvre du genre, la qualité fut globalement assez bonne, tournée essentiellement vers les nouveaux talents (Philip K. Dick, John Brunner, Poul Anderson) dont on suivra l’évolution avec intérêt, auxquels s’ajoutent des auteurs plus chevronnés signant des textes mineurs : L. Sprague de Camp, Raymond F. Jones ou A.E. Van Vogt. Ce dernier nous offre un nouveau roman,Créateur d’Univers, qui risque de décevoir même ses plus fervents admirateurs.

L’histoire débute comme un vulgaire fait divers : le lieutenant Morton Cargill, sous l’emprise de l’alcool, est victime d’un accident de la route. Il s’en sort indemne, mais sa passagère, rencontrée plus tôt dans la soirée, est tuée sur le coup. Quelques mois plus tard, alors qu’il croit l’affaire oubliée, une jeune femme qui affirme être celle dont il a causé la mort prend contact avec lui. Dès lors, Cargill est embarqué dans une histoire qui va le mener dans le futur et le contraindre à prendre part à une guerre dont il ignore tout.

On connait (et le plus souvent on aime) A.E. Van Vogt pour son imagination débordante et pour le tourbillon dans lequel il parvient le plus souvent à entrainer son lecteur. Pourtant, Créateur d’Univers ne parvient jamais à enthousiasmer. Tout au long du récit, à l’instar de son personnage principal, on est balloté d’une situation à l’autre, parfois d’un siècle à l’autre, sans bien comprendre ce qui se passe. Arrivé dans les derniers chapitres du roman, Morton Cargill découvre enfin quel rôle on souhaite lui faire jouer dans cette histoire. Malheureusement, pour le lecteur, rien n’est jamais clair, et l’on finit par se désintéresser tout à fait du sort de ce personnage, ou même à trouver le moindre sens au rocambolesque complot au cœur duquel il est plongé. La machine semble ici tourner à vide, et le résultat est forcément décevant.

Fiction n°73

Du côté des revues, 1959 aura été marquée par deux évènements importants : la disparition deGalaxie et la parution d’un numéro spécial de Fiction entièrement consacré aux auteurs français. Dans le premier cas, même si la revue souffrait de défauts évidents, la mort de Galaxie va laisser un vide qu’on ne peut que regretter. Dans le second, il est à souhaiter que l’expérience se renouvelle l’an prochain, et surtout que la qualité soit à nouveau au rendez-vous.

Incontestablement, Fiction reste la revue de référence de la science-fiction en France, et peut s’enorgueillir d’une sélection de nouvelles de haute tenue. Ce dont ne rend pas forcément compte le dernier numéro en date. Ce n’est pourtant pas la faute de Robert F. Young, dont la nouvelle L’Ascension de l’Arbre est l’une des meilleures qu’il m’ait été donné de lire cette année. Sur une planète lointaine, un homme est chargé d’abattre un arbre gigantesque, le dernier de ce monde, qui menace le village indigène bâti à son pied. Le bûcheron d’outre-espace ne réalisera que bien trop tard que son action aura les effets inverses de ceux souhaités. L’Ascension de l’arbre constitue une fable écologique magnifique, souvent onirique, située dans un décor exotique tout à fait fascinant. Un texte à découvrir absolument.

Malheureusement, le reste du sommaire est assez médiocre. Noël sur Cidor de Gordon R. Dickson, texte de circonstance, aurait pu être réussi, pourtant cet échange culturel entre un jeune Terrien et un extraterrestre ne parvient pas à susciter l’émotion, malgré le tragique de la situation. Le Cube de Julia Verlanger étire sur trop de pages un thème parfaitement banal. Même Michael Fesser, avec Une vraie Chatte, ne parvient pas à être aussi drôle que dans son précédent texte, Le Crack aux yeux bleus (in Fiction n°71).

Quant à la conclusion du roman de Charles Henneberg, An Premier, Ere Spatiale, elle est assez décevante. L’auteur a voulu mettre beaucoup de choses dans ce texte, sans doute trop. Roman de science-fiction, enquête policière, récit d’aventures, drame sentimental, évocation fantastique de l’Atlantide, An Premier, Ere Spatiale est tout cela à la fois. Mais ses différentes parties ne parviennent guère à s’imbriquer, et il en résulte l’impression de lire un collage maladroit de plusieurs histoires, dont aucune ne parvient à convaincre. Monsieur Henneberg a écrit de fort belles choses, on ne peut que regretter qu’il nous quitte sur un texte raté.

Satellite n°24

Désormais seule véritable concurrent de Fiction (je passe sous silence Au-Delà du Ciel, dont la piètre qualité des textes publiés ne m’a pas incité à en poursuivre la lecture), Satellite poursuit également sa route, avec plus ou moins de bonheur dans sa sélection de nouvelles. Les meilleures surprises y sont souvent le fait d’écrivains français, et parmi eux, le plus intéressant est probablement Michel Demuth. Il lui arrive de publier des textes ratés (c’était le cas le mois dernier), mais on lui doit aussi de franches réussites, dont Fonction est la dernière en date. L’auteur y décrit la vie d’une colonie terrienne sur un monde lointain, une société fermée pratiquant des rites étranges, que l’on découvre à travers les yeux d’un jeune garçon. Une rencontre fortuite va lui permettre de comprendre les raisons de ces comportements irrationnels, et lui faire découvrir l’horreur qui plane sur ce monde. Une révélation qui devrait être aussi stupéfiante pour le lecteur que pour le narrateur, Monsieur Demuth ayant imaginé une forme de vie extraterrestre tout à fait étonnante et originale. Malgré une fin un peu abrupte, Fonction est un fort bon texte.

On conseillera également Comment l’Esprit vient aux planètes d’Algis Budrys, dans lequel un robot abandonné sur une planète arriérée va permettre à la population autochtone de se développer jusqu’à devenir une menace pour la Terre. On suit avec intérêt la progression de cette société, très étonnante par certains aspects.

Sirènes , de Millard Verne Gordon, aurait pu être une réussite. Les créatures que l’auteur y met en scène présentent une variation originale sur un thème vieux comme Homère. Malheureusement, une fois la nature de ces êtres révélée, Gordon s’en désintéresse et boucle son récit de manière abrupte et peu satisfaisante.

Les autres nouvelles du mois sont très dispensables, voire parfois même déconseillées. Le Complot de Sam Sackett imagine un monde futur dirigé par un gouvernement secret, dissimulé sous une apparence de démocratie. Le propos est simpliste, la nouvelle trop longue et particulièrement bavarde. Plus long et plus vain encore, Le Pourvoyeur de Jacques Capitaine, qui fait s’enchainer plusieurs intrigues sans liens entre elle pour n’aboutir nulle part. Quant à C.M.P.1, d’un certain Walter Maneikis, s’il existait un prix de la pire nouvelle, il pourrait probablement lui être remis tant ce texte est d’une nullité abyssale.

Actuellement dans les salles…

Le film dont tout le monde parle, c’est bien sûr Le Dernier Rivage de Stanley Kramer, tiré du roman (que je n’ai pas lu) de Nevil Shute, dans lequel Gregory Peck, Ava Gardner, Fred Astaire et quelques autres (dont le très prometteur Anthony Perkins, jeune acteur dont on entendra certainement reparler) attendent la fin du monde sur une plage australienne. L’action se déroule dans un futur très proche (1964), une guerre atomique a détruit l’hémisphère nord, et les nuages radioactifs approchent lentement des côtes où se trouvent les derniers survivants de l’humanité.

Peut-on considérer Le Dernier Rivage comme un film de science-fiction ? Oui si l’on considère son sujet, sans doute pas si l’on regarde son traitement. Stanley Kramer se focalise sur un petit groupe de personnages, sur la manière dont chacun continue de vivre tout en se sachant condamné à plus ou moins court terme. Si à la place d’une guerre nucléaire ces personnages avaient été victimes d’une maladie incurable, le traitement n’aurait sans doute pas été très différent.

Là se situent les réserves que l’on peut avoir par rapport à ce film. Il ne s’intéresse que trop rarement aux effets de cette mort annoncée de la civilisation sur l’ensemble de la population. Quelques scènes y font référence, mais le plus souvent la vie semble se poursuivre comme si de rien n’était, hormis les restrictions imposées par la situation. De ce point de vue, Le Dernier Rivage ne peut laisser l’amateur de science-fiction qu’insatisfait. Il n’empêche, pour les quelques moments mémorables qu’il propose (notamment la découverte de San Francisco vidée de tous ses habitants, ou une course de voitures des plus spectaculaires) et pour son interprétation impeccable, ce film mérite d’être vu.

Dans un tout autre registre, si vous souhaitez vous faire peur, vous préfèrerez sans doute aller regarder Le Décapité vivant, histoire passablement farfelue d’un sorcier dont la tête tranchée, enfermée dans un coffre depuis quatre siècles, reprend vie lorsque des fermiers la déterrent. Le scénario ne s’embarrasse pas de vraisemblance, on s’ennuie passablement entre deux apparitions du décapité, mais les trucages sont dans l’ensemble réussis, et il plane sur certaines scènes une ambiance inquiétante qui devrait ravir les amateurs du genre.

Albert Ledou

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