Razzies 2005

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Patiemment, mois après mois, le blog Bifrost fait son oeuvre en tirant de l'oubli les meilleurs articles du fonds de la revue Bifrost, et si l'on en croit les statistiques de consultation du site (lesquelles ne se trompent jamais), la rubrique Razzies est votre préférée. A l'approche de l'annonce des Razzies 2010 qui comme chaque année seront révélés dans le numéro de janvier de Bifrost, redécouvrez ceux qui avaient en leur temps marqué l'année 2004 par leur médiocrité, leur hypocrisie, leur manque de goût ou de discernement. Et n'oubliez pas que vous pouvez, jusqu'au 14 décembre, voter à votre tour pour l'éditeur, l'auteur, la couverture, le livre ou la pratique qui vous semblera mériter le Prix Razzies 2010 des lecteurs !

(parution initiale in Bifrost n°37 - janvier 2005)

Le poids des bons mots, le choc des ratages…

Nos lecteurs fidèles le savent, chaque numéro de début d’année de Bifrost est l’occasion d’une cérémonie païenne sentant bon le darwinisme éditorial : les Razzies, le prix du pire, une activité salutaire, voire jouissive — cette année, les délibérations regroupèrent Org, Vicious et Pat au restaurant Kashmir de la rue Grégoire de Tours, à Paris, ce qui donna lieu à une orgie modérée de curry, cheese nan, Sancerre Rouge, whisky (pas pour Pat, qui ne tient pas l’alcool) et cigarettes (pas pour Vicious, qui préfère la pipe — quant à Org, il a touché à tout et plus qu’à son tour, comme d’habitude).

Petit rappel, à toutes fins utiles : Les Razzies se veulent subjectifs, bêtes, d’une mauvaise foi plus qu’occasionnelle et volontiers méchants. Faire sourire est leur seule ambition (avouée, en tout cas). Quant à nos choix, ils prennent généralement en compte l’aspect événementiel qui entoure le lauréat : les Razzies ne sont pas seulement motivés par la qualité intrinsèque des textes et œuvres en compétition, mais aussi par le contexte de leur publication.

• Pour ce qui est de la plus mauvaise nouvelle francophone de l’année, même en étant d’une mauvaise foi absolue, le Vicious n’a pas réussi à trouver un candidat valable dans les pages de Bifrost. Par contre, la lecture du numéro 34 de Galaxies a récompensé ses vœux les plus chers, avec « Tuning Jack » de Lionel Davoust, premier texte de l’auteur accepté après une longue série de refus. Hé, les gagalaxiens !, vous auriez pu aussi refuser celui-là, personne ne s’en serait plaint, même pas Lionel Davoust qui se retrouve maintenant avec une nomination aux Razzies plantée dans la partie la plus étroite de son anatomie. Ceci dit, en cherchant bien, on pouvait trouver pire, comme la nouvelle de Daniel Walther, « Le Roman de la rose des temps », publiée dans la médiocre anthologie Icares 2004 (Mnémos). Reste que le grand vainqueur de l’année est Fabrice Anfosso pour « Le Sommeil des héros » dans le numéro 15 de la revue Faëries, récit théâtralisé aux dialogues grotesques et d’une nullité abyssale. Bravo.

• Afin de trouver notre candidat annuel pour la pire nouvelle étrangère, nous aurions pu faire preuve de facilité en allant pêcher dans le vivier à étrons qu’est la revue Faëries (avec, pour mémoire, dans le seizième opus, un texte de Louise Cooper dénué du moindre intérêt traduit au fusil de chasse par Michaël Hatik). Nous aurions pu, mais : 1/ nous détestons nous salir et, par voie de conséquence, nous laver ; 2/ nous détestons la facilité. Résultat, notre intérêt s’est porté sur le recueil Douce Apocalypse de James Flint au Diable Vauvert, ouvrage vain qui ne parvient qu’à une chose : donner envie de relire le formidable Habitus prétendument écrit par le même auteur. Une telle déception méritait un Razzy ; le voilà attribué à l’ensemble du recueil, et haut la main.

• Vous avez des amis dépressifs, au bord du suicide, des potes qui ont mal calculé leurs impôts ou ont été virés par leur lofteuse, leur Marjolaine en puissance ou autre pétasse du même tonneau, une copine qui pleurniche devant le Bachelor de M6 ? Bifrost pense à vous et a une solution radicale et bon marché pour régler les angoisses passagères. Investissez quelques euros dans Etat de guerre (Pocket) du tâcheron Alexis Aubenque et faites une lecture à voix haute de n’importe quel passage de ce livre (?) en imitant la voix de Dark Vador. Succès assuré ! Votre ami(e) retrouvera le sourire, à en péter, ou mettra fin à ses jours d’une façon propre et définitive. Pour une fois, le Razzy du pire roman francophone n’aura posé guère de problème. Ce n’est pas tous les ans que l’on a un client d’un tel gabarit (d’autant qu’il nous avait déjà régalés, on s’en souvient, avec le premier opus de sa série !). Pour l’anecdote, étaient aussi nominés : Le Bord du monde de Fabrice Anfosso (Nestiveqnen), Les Légions dangereuses de Fabien Clavel (Mnémos), La Chair et l’acier d’Audrey Françaix (Octobre) et, candidat le plus musclé face à Etat de guerre, Casiora II de Julienne Ninet (Florent Massot Présente ; une daube incroyable dont le premier opus avait obtenu le Razzy du pire roman français en 2004 — quel talent !). Que du solide, quoi…

• Etaient nominés pour le pire roman étranger : Les 9 princes du chaos de John Gregory Betancourt (l’homme qui devrait faire revenir Roger Zelazny d’entre les morts, pour peu que celui-ci soit un tantinet rancunier) chez Folio « SF » (candidat que nous gardons sous le coude car, d’après nos informations, la suite est pire !) et le roman Tomb Raider de Mike Resnick (Fleuve Noir). Mais c’était sans compter sur l’Atalante, qui nous rappelle avec Le Projet Mars d’ Andreas Eschbach que celui-ci n’a toujours pas le talent que certains critiques mal inspirés lui trouvent. Andreas Eschabch c’est le Bernard Werber allemand, fin comme une choucroute de cantine scolaire.

• Comme chaque année, les traductions médiocres étaient légion, notamment chez Fleuve Noir (la collection « Thriller fantastique » faisant très fort et de façon régulière : Nécroscope, Ring ; Edith Ochs anéantissant ou presque Les Lanciers de Peshawar, qui n’en méritait pas tant en « Rendez-vous ailleurs »), l’Oxymore, Bragelonne, Flammarion (Bernadette Emmerich a encore frappé ! ce coup-ci, Walter Jon Williams est la victime), l’Atalante (est-ce que quelqu’un va finir par se rendre compte que Frank Reichert ne comprend pas très bien l’américain et maîtrise encore moins le français ?), Gallimard (Palahniuk de nouveau massacré par Freddy Michalski dans Berceuse). Une année riche en effrois, donc. Toutefois, force est de constater que le pompon est décroché haut la main par Nicolas Cluzeau dans Faëries n°15 qui, en massacrant « The Bones Carver’s tale » de Jeff Vandermeer, réussit à transformer un chef-d’œuvre poignant en bouse consternante. Un tour de force, un acte de terrorisme littéraire qui nous a rappelé les traductions des livres de Storm Constantine chez l’Oxymore. Ah, nostalgie, quand tu nous tiens.

• Comme toujours, nous sommes bien obligés de faire un choix drastique dans la présélection de couvertures hideuses concourant pour le titre suprême. 2004 fut un grand crû, que dis-je, un cap, une péninsule, une tour de Babel allant jusqu’à gratouiller le fondement du Très-Haut. Etaient en compétition : Jackie Paternoster pour son travail présent, passé et à venir au Livre de Poche et chez « Ailleurs & demain » : une belle régularité dans le vilain et l’inapproprié. Didier Graffet pour sa couverture d’Arlis des forains de Mélanie Fazi chez Bragelonne (éditeur dont quasiment toutes les couvertures pourraient être nominées) ; les éditions du Rocher pour l’ensemble d’une production remarquable de laideur mais dont Le Voyage d’Hawkwood de Paul Kearney est en soit un véritable petit musée des horreurs, Manchu pour son massacre de L’Archipel du rêve de Christopher Priest (Denoël) et de La Vénus anatomique de Xavier Mauméjean (Mnémos). Sans oublier Chabeuh pour sa couverture du Bifrost n°36 — malheureusement, Org étant le modèle qui a patiemment posé pour ladite couverture (rassurez-vous, il est quand même plus beau en vrai), le vote du Vicious a été contré par un veto aussi ferme que définitif accompagné de menaces de mort du style « va mourir, charogne de ta race ». Restait donc notre concurrent le plus sérieux, un colosse du pinceau, un titan de l’aérographe : Gilles Francescano, qui gagne haut la main cette année pour son coloriage baveux de la couverture du roman de John C. Wright : Le Phénix exultant chez l’Atalante (c’est pour l’heure en deux tomes — impossible de savoir lequel est le plus vomitif des deux —, mais lorsqu’on sait que nous sommes ici en présence d’une trilogie, on se dit que notre ami Francescano a toutes les chances de se retrouver dans nos colonnes dans un an pile-poil).

• Petite devinette… A quel moment du repas de délibérations les trois jurés ont fourbi une liste longue comme le bras avant de proposer, en postillonnant du riz basmati, à peu près tout et n’importe quoi ? Pour la sélection du Prix Putassier, le préféré des éditeurs, bien entendu ! Mais commençons par un premier coup de gueule. En effet, il ne serait sans doute pas inutile de décerner une mention spéciale putassière à la nouvelle mode éditoriale qui propose désormais des ouvrages sous des couvertures et des quatrièmes trop souvent sans rapport avec le contenu du livre. Un regard approfondi confirme ce que l’on craignait : il ne s’agit pas ici d’erreur malencontreuse commise par des directeurs/trices de collections fatigué(e)s, mais bien de politique délibérée qui vise à attirer les foules en vendant de la tripaille sous l’emballage filet premier choix (ou inversement). Ainsi, la couverture des Extrêmes (Folio « SF »), de Priest (dû au sublime coup de pinceau numérique de Benjamin Carré — que son nom soit loué jusqu’à la treizième génération !), qui vend du Matrix là où le texte propose une réflexion approfondie sur le deuil. Les amateurs de la pauvre trilogie des frères Machin ne s’y retrouveront évidemment pas. Quant aux amateurs de littérature exigeante et intelligente, ils n’ouvriront même pas le livre, persuadés d’avoir affaire à une mauvaise resucée de réalité virtuelle acéphale. Qui gagne au final ? Personne. Bref… Signalons que le même éditeur (Gallimard) était nominé pour sa publication de Les 9 prince du chaos de John Gregory Betancourt, mauvais livre publié pour de mauvaises raisons. Reste que nous avons été chercher, pour le Prix Putassier 2005, auprès d’un autre procédé éditorial aussi peu ragoûtant que celui évoqué plus haut : le ratissage croisé de fonds de tiroir. Ainsi donc, cette année, notre prix est décerné aux trois éditeurs (Le Pré aux clercs, Télémaque et Mnémos), qui, en raclant ceux de « Megan Lindholm alias Robin Hobb » (on dirait le nom et surnom d’un serial killer), non seulement se foutent de la gueule du public et encombrent les rayonnages des libraires, mais en plus ont été sanctionnés par des ventes décevantes. Bien fait. Rappel des trois titres à éviter : Le Peuple des Rennes (Le Pré aux clercs), Les Venchanteurs (une fantasy sur les pétomanes ? - Mnémos) et Le Dieu dans l’ombre (Télémaque), le tout publié le même mois ! La grande classe…

• Pour le prix de la non-fiction, le débat fut très disputé, sans doute le plus chicané de ces Razzies 2005. Etaient nominés Jean-Claude Dunyach pour sa critique du Livre de Cendres de Mary Gentle dans L’Express lors de laquelle il a fait preuve d’une sincérité douteuse en reproduisant in extenso des passages entiers du prière d’insérer des éditions Denoël ; Gérard Klein pour son interview donnée au Cafardcosmique (www. cafardcosmique.com) à l’occasion de la sortie du Bureau des atrocités de Charles Stross et au cours de laquelle notre vieux maître se montre encore plus mal embouché qu’à son habitude (un conseil, si vous le croisez : ne lui parlez pas de Greg Egan !) ; Ayerdhal pour son incompréhensible discours à la remise du Grand Prix de l’Imaginaire aux Utopiales de Nantes. Reste que le grand vainqueur est une demoiselle (au demeurant fort sympathique) : Frédérique Roussel pour son article « Fantasy héroïque » parue dans le Libération du 7 octobre, un article prétendument de fonds mais parcellaire et qui, de plus, se trompe de débat en opposant science-fiction et fantasy. Si on peut se féliciter, grâce au travail de Frédérique, de bénéficier d’une exposition régulière dans un support presse national et quotidien pour nos genres d’élection, encore faut il éviter de mêler tout et n’importe quoi de façon lapidaire.

• Cette année, à la demande insistante (et c’est peu de le dire) du Vicious (il est tout de même très chiant, ce Vicious !), a été créée une nouvelle catégorie : le Prix de l’incompétence éditoriale, remporté haut la main par les éditions Flammarion qui publient l’anthologie d’Al Sarrantonio Tracés du vertige en oubliant de faire figurer le nom des auteurs des nouvelles dans le sommaire (sans parler des coquilles qui émaillent le pavé…). On en rit encore.

• Le Grand Master Award a failli être remporté de main de maître par Stéphane Nicot pour la fin d’ISF et le décès collatéral d’Asphodale (ceci dit, on parle de plus en plus d’une résurrection pour ce dernier titre). Etait aussi en lice le groupe Flammarion pour sa belle politique éditoriale concernant l’imaginaire (fin de la collection « Millénaires » et bientôt fin d’ « Imagine » : jolie doublé — Jacques, arrête de rire de là où tu es, on t’entend d’ici…). Mais c’était sans compter sur les déclarations d’ Alain Névant dans Libération, qui nous annonce qu’après la génération Star Wars … il y a maintenant une génération Bragelonne ! Pitié les gars, foutez des capotes dans vos Gemmell, Goodkind, Feist et autres, histoire que ces crétins incultes ne se reproduisent pas… Notons qu’à défaut d’une hypothétique génération Bragelonne, il y a plus sûrement une « secte Bragelonne », avec son gourou (Alain Névant), son trésorier (Stéphane Marsan) et son service d’ordre (Henri Loevenbruck) toujours prompt à remettre dans le droit chemin les journalistes qui parlent mal de Bragelonne ou oublient d’en parler… Ambiance.

C’est tout pour cette fois.

A l’an prochain, et en route pour la joie !

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