Razzies 2004

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Souvenez-vous, l'année 2004 : un séisme de magnitude 9 sur l'échelle de Richter dans l'Océan indien provoquait un terrible tsunami et causait la mort de plus de 250.000 personnes en Asie. La pire catastrophe de l'année ? Pas si sûr, si l'on considère que chaque année, en France, un véritable raz-de-marée de médiocrité déferle sur les tables de nos librairies préférées, dont le nombre de volumes vendus au total dépasse probablement allègrement les 250.000. Heureusement il y a Bifrost pour vous aider à trouver les livres qui surnagent et les Razzies pour pointer ceux qu'ils vaut mieux laisser couler... Au passage, n'oubliez pas de voter pour le prix Razzies des lecteurs de cette année ! Prenez une bonne inspiration, c'est parti !

(parution initiale in Bifrost n°33 - janvier 2004)

On va encore se faire des amis !

Vous le savez depuis trois ans maintenant, chaque Bifrost de janvier est pour nous l’occasion de saluer la nouvelle année par une activité sinon salutaire, du moins jouissive : la promulgation de notre prix à nous, ou plutôt notre anti-prix, les Razzies.

Petit rappel, à toutes fins utiles : les Razzies se veulent subjectifs, bêtes, d’une mauvaise foi plus qu’occasionnelle et volontiers méchants. Faire sourire est leur seule ambition (avouée, en tout cas). Quant à nos choix, ils prennent généralement en compte l’aspect événementiel qui entoure le lauréat : les Razzies ne sont pas seulement motivés par la qualité intrinsèque des textes et œuvres en compétition, mais aussi par le contexte de leur publication.

Dernière chose : ces Razzies 2004, remis par Org et Vicious, sont dédicacés à Jacques Baudou, dont le fiel étalé dans Le Monde a permis de faire exploser le nombre d'abonnés de Bifrost (ce qui nous a particulièrement touché, au regard de la place toujours plus maigre accordée à la S-F dans ce vénérable quotidien). Continue, Jacques !

• Dans la catégorie pire nouvelle francophone, soulignons cette année encore l’effort conjoint de nos amis auteurs et éditeurs : en effet, les lauréats potentiels ne manquaient pas… Colin Marchika pour l'ensemble de son recueil chez Mnémos, Olivier Paquet pour « Us » (in Galaxies n°28), nouvelle d'une prétention rare (dégonfle, Paquet, sinon tu vas en mettre plein les murs !), Léa Silhol pour à peu près n'importe quel texte paru dans l'année (surtout un truc hypra-ampoulé aperçu dans Asphodale). Reste que Jean-Michel Calvez avec « Analogies » (in Rock Stars chez Nestiveqnen) a tapé plus fort que quiconque en mélangeant sans la moindre parcelle de talent (on jure qu'on a cherché) Pink Floyd (qui n'avait pas mérité ça) et Rencontre du troisième type. Un Razzie de la pire nouvelle francophone bien mérité !

• Pour le Razzie de la pire nouvelle étrangère, avouons qu’Org et Vicious, nos deux jurés, ont bien failli en venir aux mains dans le restaurant camerounais de Montreuil qui accueillit les délibérations, le Vicious ayant trouvé, entre autres, un lauréat très valable dans le sein même de la revue Bifrost, dirigée comme on le sait par un proche parent du Org. Après une extraordinaire beuverie au rhum-gingembre (Org), au Côtes du Rhône (Org et Vicious) et au vin de palmes (Vicious), les deux compères ont finalement décidé que « Une Histoire très britannique » de Paul J. McAuley (Galaxies n°29) ferait un lauréat parfait et politically correct de surcroît, car les deux compères aiment beaucoup Paul J. McAuley quand il écrit de bons romans (Les Conjurés de Florence) et de bonnes nouvelles (« La Tentation du Dr Stein »). A noter une mention très déshonorable pour la nouvelle de Mike Resnick dans Asphodale n°2, « L'Odyssée de Myron Blumberg, le dragon ». Quant à savoir si Org et Vicious ont la moindre idée de ce que peut être un choix politiquement correct, il est permis d'en douter…

• Pour le pire roman étranger, nous aurions simplement pu le donner au « Avant Dune » de l'année chez « Ailleurs & Demain ». Mais ce serait faire preuve de facilité, ce qui ne nous ressemble guère… Après de longues hésitations (L'Avant-poste de Mike Resnick, L'Empire du centurion de Sean McMullen), il semble tout à fait opportun de montrer du doigt le cycle militariste de David Weber, « Honor Harrington », dont le dernier opus, Mascarade Silésienne (en deux volumes chez l'Atalante) est encore plus médiocre que les précédents. Cher David Weber, ce n'est pas parce qu'on coupe les couilles d'un militaire que cela en fait une bonne femme crédible… Beurk.

• Pour changer, le choix du pire roman français n'a posé aucun problème dans la mesure où l’ensemble des jurés (bon, d'accord, nous ne sommes que deux…) a clamé d’une seule et même voix :Casiora de Juliette Ninet. A noter une mention très déshonorable pour le hautement grotesque Gengis Kahn et le loup bleu de Jeanne Faivre d'Arcier qui, dieu merci, n'a pas eu le Grand Prix de l'Imaginaire… Et puis, pour le fun, on peut prendre le risque de feuilleter le nouveau Bernard Werber : Nos amis les humains.

• Etaient en lice pour la pire traduction cette année un nombre assez impressionnant d'ouvrages : Chung Kuo (Yannick Bourg), Memoranda (Jacques Guiod), Prince de sang (Isabelle Pernot), L'Empire du centurion (Thierry Arson). Auxquels il convient d'ajouter le travail approximatif de Lionel Davoust, qui continue de concasser gaiement divers textes, en particulier « Le Masque de terminus » de Sean McMullen dans Galaxies n°29 (un pauvre Sean McMullen décidément bien mal servi par chez nous). Mais si Lionel Davoust et ses compères donnent dans le médiocre, il est à noter qu'une fois encore le scandale (il n'y a pas d'autre mot) vient des éditions J'ai Lu et de la traduction (?) de La Division Cassini par Bernadette Emerich, lauréate incontestable des Razzies 2004, catégorie pire traduction. On applaudit des deux dictionnaires (Harraps + Robert & Collins senior).

• Comme toujours, on soulignera l’extrême ampleur de la sélection pour le Razzie de la pire couverture, une liste susceptible d'occuper un Bifrost au complet. Outre les éditions Florent Massot présente et Bragelonne, qui ont régulièrement fait fort, on signalera le travail de nos amis Frazier et Jewel sur Le Paria et L'Initié, les deux premiers volets de la trilogie de Louise Cooper chez J'ai Lu (on a connu ces illustrateurs plus inspirés, notamment en couverture de Bifrost). Et puis bien sûr il y a les éditions Imaginaires Sans Frontières, un candidat toujours sérieux qu’il convient de ne pas sous-estimer, comme nous le rappellent Gilles Francescano avec la couverture du Jeu des sabliers (Jean-Claude Dunyach, qui ne méritait pas ça), et Mike pour son travail sur Meucs de Terry Bisson. Cette manière de diptyque de l’horreur a vraiment failli rafler la mise et offrir à ISF sa troisième palme consécutive. Failli seulement… En effet, les éditions Cylibris ont définitivement mis la barre trop haut cette année avec, et c’est encore un diptyque, la couverture deLes Trois du Mayne signée Boris Joly-Erard, et La Danse de Mahakala par Guillaume Riocreux. Nous touchons ici, avec ces deux couvertures, une manière de summum du laid qui confine au génie — le tout servi par une maquette en parfaite adéquation avec l’image, un régal… On en reste pantois.

• Cette année, en dépit du fait que Thomas Day se soit tenu tranquille, le Prix Putassier n'a posé aucun problème. En effet, la publication du cycle de « Shannara », l'abominable plagiat du Seigneur des anneaux commis par Terry Brooks, nous permet de décerner à Stéphane Marsan et Alain Névant (Bragelonne) un Prix Putassier 2004 bien mérité et ne souffrant d'aucune concurrence véritable — même si, par souci d’équité, on signalera la jolie tentative des éditions Mnémos avec la réédition de la novélisation du film de John Boorman, La Forêt d’émeraude, par Robert Holdstock.

• Pour le Razzie de la pire non-fiction publiée dans l'année, là encore, nous aurions pu verser dans la facilité et récompenser l’ensemble des articles publiés dans SF Mag. Nous aurions également pu gratifier les éditoriaux de la revue Asphodale signés Lionel Davoust et France-Anne Ruolz, encore plus incantatoires et risibles que les atroces romans de fantasy francophones qui pullulent chez Mnémos (un peu), Bragelonne (de moins en moins) et Nestiveqnen (surtout), voire même saluer le baratin crypto-facho-parano de Maurice G. Dantec dans l’anthologie Noirs complots… Mais c’eût été faire peu de cas de notre rayon de soleil trimestriel : le courrier des lecteurs de la revue Galaxies, un ramassis de mièvreries à faire pleurer Candy où, pour une mystérieuse raison, tous les correspondants ne peuvent s’empêcher de débuter leur lettre par « vous trouverez ci-joint mon chèque de réabonnement », formule tout de même vachement plus classe que « bonjour »… Un pur bonheur.

• Le Grand Master Award 2004, une manière de gratin du gratin, est décerné àAlain Pelosato pour ses divers messages internet essaimés à tout va, la fin de Naturellement (merci) et la survie de SF-Mag (dommage), le seul magazine en France qui ne sait même pas scanner une photo (une vraie prouesse technique). En espérant que les lecteurs qui ont du cœur se cotiseront pour lui offrir deux ouvrages fondamentaux : La PAO pour les nuls et Photoshop pour les nuls.

C'est tout pour cette fois.

A l'an prochain, et en route pour la joie !

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