La bombe Harry Potter et ses dégâts collatéraux

Doc Stolze |

A la chandelle de Maître Doc Stolze étant une des plus anciennes rubriques de Bifrost, il était tout naturel qu'on la retrouve elle aussi sur le blog Bifrost. L'idée de départ était de faire un joli doublé avec la nouvelle de Catherine Dufour (que vous pouvez encore lire gratuitement jusqu'à mardi) en publiant la "Chandelle" consacré à son cycle Quand les dieux buvaient, mais Olivier ayant égaré le CD du Bifrost n°26 (super pro, Olivier !), il faudra se contenter de cette critique d'Artemis Fowl. Une critique pas si anodine que ça puisque Pierre Stolze s'y livre à un décorticage en règle du genre et nous livre la recette idéale du roman jeunesse des années 2000. Réjouissant...

Cela fait maintenant un bon moment que les aficionados attendent la sortie d'Harry Potter tome 5. Mais voilà, J.K. Rowling semble prendre son temps : rien en 2001, rien en 2002. Alors, en 2003 peut-être ? L'absence d'Harry Potter laisse le champ libre à ses clones. Qui se sont multipliés ces derniers temps comme champignons en sous-bois. Avec, parmi les plus célèbres, Artemis Fowl, Peggy Sue ou Guillemot de Troïl. Tous ces héros, on l'aura deviné, vivent au milieu d'une foule considérable de sorciers, fées, dragons, lutins, elfes, trolls,  korrigans, centaures, dryades, kobolds, gobelins ou nains pas forcément de jardin. On peut considérer tous ces clones comme des dégâts collatéraux de la bombe Potter (1).

Un état des lieux s'impose. Mais avant de commencer par Artemis Fowl tome 2, qui vient de sortir, ce rappel concernant la littérature jeunesse. D'après les derniers chiffres en ma possession, en l'année 2 000 ont été vendus 61 239 000 exemplaires de livres pour la jeunesse, ce qui représente 17,3% du marché total de l'édition, en 8 350 titres (dont 3 400 nouveautés), soit 15% des titres produits tous secteurs confondus. Il s'agit là donc d'un fabuleux fromage attirant de plus en plus de convoitises, et quand une recette marche, on va la reproduire ad nauseam. Oui, il est des filons qu'il faut exploiter jusqu'à la dernière pépite.

Artemis Fowl se veut un double maléfique d'Harry Potter. Son nom est déjà tout un programme : Artemis, nom grec de la Diane chasseresse, et Fowl, qui ressemble tellement à « foul », l'infect, l'infâme. Car Artemis est un drôle de garnement, une véritable peste (2).

C'est un jeune irlandais de 12 ans dont le père a disparu et dont la mère est folle (si cette dernière guérit à la fin du premier épisode, elle reste totalement absente du second). Artemis est immensément riche (grâce aux malversations de son père puis aux siennes propres). Il est constamment protégé par un garde du corps eurasien, un colosse expert dans tous les arts martiaux et calibres imaginables, et possède le « QI le plus élevé jamais répertorié en Europe » (T. II, p. 302). Il sait tout sur tout, sciences dures, psychologie, antiquités. Ce puits de science, ce Pic de la Mirandole en culottes courtes, parle quantité de langues couramment. Surtout, c'est un génie du mal. Enfin, ainsi l'auteur Eoin (prononcez : Owen) Colfer nous l'a présenté de prime abord avant de mettre de l'eau dans son vin.

Dans le tome 1 de ses aventures, Artemis s'empare du Livre Secret des fées et parvient à arracher à icelles une forte rançon. Car, tout près du centre de la terre, et cela fort peu de gens le savent, vit le Peuple avec une majuscule, c'est-à-dire des lutins, fées, elfes trolls, centaures, etc. (voire la liste non exhaustive ci-dessus). Le Peuple a fui la surface, l'abandonnant aux Etres de Boue, c'est-à-dire nous, les humains, pollueurs impénitents. Les nains-gnomes-gobelins-etc, peuvent toujours, si le besoin s'en fait sentir, rejoindre la surface en utilisant des puits de volcan et en profitant de remontées de magma.

Dans Mission Polaire, Artemis retrouve la trace de son père disparu (on ne fera qu'entrevoir le personnage en tout début et toute fin de volume) : c'est la Maffyia (sic) russe qui l'a enlevé, et le retient prisonnier près du cercle polaire, là-bas, au bord d'une mer où achèvent de pourrir des centaines de sous-marins atomiques abandonnés. Pour récupérer son « daddy », Artemis devra d'abord aider le Peuple à déjouer un complot aussi interne que souterrain avant d'obtenir une aide efficace.

La galerie des personnages de Mission Polaire est haute en couleurs : Briar Cudjeon, culotte de peau qui a été rétrogradée  pour  incompétence au  sein  des FARfadets (Forces Armées de Régulation — Fées Aériennes de Détection, organisme chargé, on s'en sera douté, de la protection du Peuple) et qui va s'acoquiner avec la redoutable Opale Koboï pour un complot de grande envergure ; Mulche Diggums, nain kleptomane et pétomane, qui sera certainement un des protagonistes principaux du troisième et dernier tome des aventures d'Artemis Fowl ; Foaly (dont le patronyme ressemble à celui du héros), un centaure, génie de la technologie et jaloux des succès emportés par Opale, sa rivale en fournitures officielles auprès du Peuple.

Ce que j'ai trouvé de plus réjouissant dans les aventures d'Artemis, c'est ce mélange de fantasy et de hard science, de technologies sophistiquées et de poudre de perlimpinpin. Ce que j'ai trouvé de plus pénible, c'est une accumulation infernale de péripéties et d'obstacles, la volonté d'en rajouter sans cesse, d'étourdir le lecteur, de l'empêcher de respirer, de l'assommer littéralement. Ce qui, finalement et paradoxalement, m'a fait bâiller d'ennui. Et puis, Eoin Colfer ne peut tenir la gageure d'un héros toujours négatif et cynique. Il l'édulcore considérablement. Artemis fait preuve de sentiments désormais, s'interroge sur sa propre méchanceté, il devient humain, et presque amoureux (de la jolie fée Holly, même si cette dernière est âgée de plus de 80 ans). Amoureux, oui, mais transi, ne poussons pas les choses trop loin, car Artemis n'est pas encore pubère et certains émois physiques lui sont encore inconnus.

Si l'on compare les aventures d'Artemis Fowl et d'Harry Potter, on constate des ressemblances troublantes qui se retrouveront par ailleurs, ainsi dans la série Peggy Sue de Serge Brussolo, dans la trilogie de Philip Pullman A la Croisée des Mondes, dans ce qui va devenir également une trilogie, Le Livre des Etoiles d'Erik L'Homme, ou même dans des œuvres « isolées », et je retiendrai pour ma démonstration Les Enfants de la Lune de Fabrice Colin.

Un best-seller pour la jeunesse doit désormais être gros, très gros. Nous pourrions appeler cela le syndrome Harry Potter (comme en S-F a sévi et sévit toujours le syndrome Dune). Si l'on veut faire épais, il faut écrire au passé et à la troisième personne du singulier, surtout pas au présent et à la première personne. La troisième personne permet de multiplier les points de vue et les personnages, de croiser et recroiser les fils multiples d'une intrigue complexe, quitte à faire dans les excroissances superfétatoires, dans des chapitres que l'on pourrait purement et simplement couper sans nuire aucunement à l'ensemble (dans A la Croisée des Mondes T. 3, tout le chapitre concernant la vodka et le pope Semyon Borisovtch). Ne pas hésiter, donc, à faire dans l'interminable série, ou au moins dans la trilogie, comme :

  • A la Croisée des Mondes (et Philip Pullman envisage de poursuivre la série, non plus avec ses deux jeunes héros Lyra et Will, mais en mettant désormais en avant l'ours en armure Iorek Byrnison et la sorcière Serafina Pekkala, une jolie centenaire qui a connu beaucoup d'amants).
  • Peggy Sue, trois tomes d'écrits et les « Invisibles », les implacables et stupides ennemis de l'héroïne, étant éliminés, on se demande bien pourquoi Brussolo a cru bon de rajouter la mention « à suivre » à la fin de son dernier volume…
  • Le Livre des Etoiles, trilogie en cours (le tome 2 venant de sortir).
  • Artemis Fowl : trilogie en cours (Coin Colfer souhaiterait-il pousser plus loin, comme Philip Pullman ?).
  • Harry Potter : sept tomes de prévu (J.K. Rowling tiendra-t-elle le coup ? les lecteurs ayant lu le tome 1 en classe de sixième liront-ils le tome 7 en terminale ?).

Le héros d'un best-seller doit être orphelin ou presque. Pas de parents, pas de fratrie qui l'encombrerait et l'empêcherait de vivre de folles aventures. Age idéal : 12 ans. Harry Potter, 11 ans au départ, est un orphelin, sans frère et sœur, recueillie par la famille de sa tante. Lyra, 12 ans, l'héroïne de Pullman, est une orpheline fille unique, ses parents, le comte et la comtesse Belacqua, s'étant tués dans un accident aéronautique (même si plus tard l'on apprendra qu'il ne s'agit pas de ses vrais parents…) ; Will, 12 ans, l'autre héros de Pullman, fils unique vivant avec une mère folle, part à la recherche de son père disparu. Tiens, Artemis Fowl lui aussi, 12 ans fils unique d'une mère folle, ne souhaite rien tant que de retrouver son père disparu. Dans Les Enfants de la Lune de Fabrice Colin, Adrien Berthelot, 12 ans et fils unique, n'a pas connu ses parents morts de la grippe espagnole ; il vit avec une grand-mère impotente qui ne se déplace qu'en fauteuil roulant ; son grand-père est mort dans un accident de voiture. Guillemot, du Livres des Etoiles, a 12 ans, ni frère ni sœur, son père a disparu (parions que dans un épisode futur il partira à sa recherche) ; s'il vit d'abord avec sa mère Alicia, il sera bien vite quasiment adopté par le sorcier Qadehar ; d'ailleurs tous les compagnons de Guillemot ont 12 ans (et le lecteur a du mal à y croire, considérant la cascade d'aventures plus dangereuses les unes que les autres qu'ils vivent et la façon dont ils réagissent).

Reste une exception, mais apparente : Peggy Sue (14 ans !). Elle a des parents et une sœur faire-valoir/repoussoir. Cependant, son père est absent de tout le premier épisode, et c'est toute la famille qui sera absente du troisième, sinon une grand-mère soudainement apparue pour jouer les utilités en début de roman avant que de disparaître corps et biens.

Le héros doit être en outre « surdéterminé ». Tout doit le désigner comme tel : super-pouvoirs, prophéties, goût inné et irrépressible de l'aventure… Artemis Fowl, nous l'avons vu, est immensément riche et doté d'un QI exceptionnel, à faire pâlir d'envie  un Einstein ressuscité. Lyra sait d'instinct déchiffrer les arcanes d'un objet mystérieux, l' « aléthiomètre », et elle est le sujet principal d'une prophétie mettant en jeu le destin même de l'univers. Peggy Sue qui, seule, peut voir les Invisibles, est protégée par un charme forcément magique donné par la fée extraterrestre Azéna.

Harry Potter est un cas extrême : immensément riche lui aussi et bouffi, bourré jusqu'aux lunettes de super-pouvoirs. Avant même que d'entrer à l'école des sorciers, il savait s'envoler sur les toits des maisons, parler à un boa et faire disparaître la vitre de son vivarium. Attaqué tout bébé par Voldemort, le Mal Absolu, il s'en est tiré avec une simple cicatrice au front. Car nul ne peut vraiment lui nuire. Il sait tout, d'emblée, sans avoir jamais rien appris : le vol avec un balai, par exemple, ou le fait de résister aux pires sortilèges, comme celui de l'imperium. On se demande bien pourquoi il perd son temps dans un collège : il n'a rien à y apprendre.

Dieu merci, si Harry Potter est saturé de superpouvoirs, il est aussi un peu con. C'est d'ailleurs cette imbécillité fondamentale qui est le moteur de la série. Sans elle, il n'y aurait même pas d'histoire. Bondir sur les toits des maisons ou voir ses cheveux repousser instantanément à peine coupés : voilà qui n'étonne en rien le jeune Potter (imaginez la réaction de n'importe quel gamin de 10 ans à qui cela arriverait !). La magie peut être utile pour corriger des tares physiques : ainsi Hermione se raccourcit ses dents de lapin pour se rendre plus séduisante (T. 4, p. 363). Potter n'imagine même pas qu'il pourrait guérir définitivement sa myopie afin de ne plus porter de grosses lunettes disgracieuses…

En face du héros, les méchants seront totalement méchants. Pas de demi-mesure : tout est noir ou blanc. Voldemort, l'incarnation même du Mal Absolu, trouve son pendant dans le Fantôme du Livre des Etoiles. Les méchants, ou les crétins, le seront de père en fils : les famille Dursley ou Malefoy dans Harry Potter. Pour Rowling, bêtise  crasse  et  criminalité compulsive relèvent de l'atavisme, de la pure génétique. Et c'est, entre autres détails navrants, ce qui m'a personnelle-ment le plus gêné dans sa série.

Autre caractéristique intangible du héros : il doit défendre des valeurs incontestables, comme  le courage, l'honnêteté, l'amitié, la piété filiale (ah ! tous ses héros en quête de parents disparus ! sans se douter que le simple fait de les retrouver risque de les condamner à ne plus vivre d'aventures du tout !). C'est cette nécessaire défense des valeurs qui a posé problème à Eoin Colfer. Il a été obligé de « positiver » son héros. Car il n'y a que dans la littérature pour adultes qu'un héros peut être franchement négatif, du type Fantômas.

Dernière obligation pour fabriquer un best-seller jeunesse : éviter le sexe et les sujets qui fâchent. Faire toujours dans le politiquement correct.

Les héros seront pour la plupart pré-pubères, d'où cette prolifération de gamins et de gamines de 12 ans ! Dans le tome 4 des aventures d'Harry Potter, La Coupe de Feu, notre apprenti sorcier, à 15 ans, n'en est toujours qu'au stade du chaste baiser. Toute allusion à quelque émoi physique bien naturel à cet âge est passé sous silence. A croire que Harry est né castré. Il y a bien des baisers sur la bouche dans Peggy Sue, mais tellement rapides et furtifs ! Car l'héroïne a bien d'autres choses à faire qu'à penser à la gaudriole.

Une exception, cependant, et de taille : A la Croisée des Mondes de Pullman. Sexe, religion ou mort, l'auteur ne fait vraiment pas dans la dentelle. Précisons déjà que les aventures de Lyra ont commencé presque en même temps que celles d'Harry et qu'hélas, les secondes ont quelque peu éclipsé les premières, pourtant bien meilleures (3).

On ne meurt jamais vraiment dans Harry Potter. Le héros peut s'entretenir avec les fantômes de ses parents (ah ! que c'est consolant !) ou circonvenir le spectre de Mimi Geignarde qui hante les toilettes des filles du 2ème étage du collège. Rien de tel chez Pullman : si les défunts passent par l'état de spectre, celui-là n'est que temporaire. D'ailleurs, un des rôles majeurs de Lyra et de Will sera de rendre la mort définitive. On torture également beaucoup, chez Pullman, et l'on périt souvent dans d'atroces souffrances.

Pullman tire en outre à boulets rouges contre les religions, quelles qu'elles soient, sources de pratiquement tous les malheurs de l'humanité.

Mieux encore (pire, vont penser certains) : alors que Lyra et Will n'ont que 12 ans, ils feront finalement l'amour dans un endroit paradisiaque, nouvelle Eve et nouvel Adam. Des gamins de 12 ans qui couchent ensemble ? Même moi, je n'aurais pas osé !

Comme quoi, l'on peut faire du best-seller tout en franchissant certaines lignes jaunes !

Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire sur ces différents ouvrages. Je me contenterai de quelques réflexions sur Harry Potter et sur Peggy Sue.

A propos d'Harry Potter, je me suis toujours demandé quelle pouvait bien être l'utilité de changer une théière en tortue, des lapins en pantoufles, des hérissons en pelotes d'épingles ou des gallinacés en cochons d'inde ? Question qui se redouble en : quelle est l'utilité même de la société parallèle des sorciers ? Car, au fond, ceux-ci ne servent strictement à rien ! Surtout pas à éviter que l'humanité ne commette de gigantesques conneries, comme des guerres ou des génocides. Voire l'explosion de la planète tout entière, ce qui nuirait aux sorciers eux-mêmes. Il est facile de dater l'époque où se déroulent les aventures d'Harry. Dans le tome 2, le fantôme Nick Quasi-sans-tête invite le trio Harry-Hermione-Ron au 500e anniversaire de sa mort qui a eu lieu le 31 octobre 1492. Nous sommes donc en 1992. Et que faisaient les sorciers 50 ans plutôt, en 1942 ? Pendant que l'Angleterre était écrasée sous les bombes (détail que l'auteure se garde bien d'évoquer, les jeunes lecteurs pouvant se poser de gênantes questions), nos porteurs de chapeaux pointus couraient après un serpent géant, le Basilic, qu'ils avaient laissé malencontreusement s'échapper !

Mais se poser la question de l'utilité de la société de sorciers, c'est risquer aussi de se poser la question de l'utilité de l'existence de l'humanité elle-même. Ce qui nous entraînerait trop loin. Rompons donc là et passons à Serge Brussolo.

Que Brussolo écrive de la S-F, du fantastique, du polar, du roman historique ou pour la jeunesse, ce sont toujours et encore les mêmes et sempiternels fantasmes qu'il nous ressert. Jusqu'à la nausée. Fantasmes portant principalement sur le corps, corps torturé, disloqué ou mutant. Fantasmes annexes : ceux de la dévoration, du cannibalisme et même et in fine, de l'auto-dévoration. Dans le tome 3 des aventures de Peggy Sue, Le Papillon des abîmes, concernant la dévoration, voici un manteau mangeur de fatigue, des arbres mangeurs de foudre, ou des chats mangeurs de mauvaise humeur. Car tout et n'importe quoi se boulotte, chez Brussolo, surtout l'improbable. Cannibalisme et auto-dévoration sont omniprésents dans les deux premiers tomes : des parents passant à la broche leurs propres enfants, un cerveau cherchant à s'auto-dévorer, un garçon transformé en nougat commençant à se manger lui-même.

Le corps, pour Brussolo, est un fardeau inutile dont il conviendrait de se débarrasser au plus vite et par n'importe quel moyen. Car il peut se minéraliser sans crier gare, devenant la plus épouvantable des prisons, ou se transformer en puzzle prompt à se disperser au moindre vent. Ah ! si les corps pouvaient devenir transparents et disparaître totalement. Comme l'avoue un des personnages du Papillon des abîmes : « Quel embarras que la viande ! C'est comme un manteau trop lourd qui vous étoufferait » (p. 205). Réflexion qui fait écho à d'autres répliques brussoliennes : « les béats, les stylistes, doivent se débarrasser de leur enveloppe charnelle pour atteindre aux mystères […] Le corps est un boulet » (3, Place de Byzance) ; « Quand l'enveloppe explosera, nos esprits seront vaporisés dans l'éther, comme du pollen. Ce sera un éparpillement magnifique » (Capitaine Suicide).

Serge Brussolo écrit-il vraiment pour la jeunesse ? Outre que ses thèmes et idées fixes ne varient pas d'un iota par rapport à sa production pour adultes, l'écriture reste strictement la même, avec comparaisons en rafales, enfilées comme des perles, avec abus des tournures comparatives, « on dirait », « on aurait dit », « on eût dit ». Pour mémoire, ces quelques chiffres : l'on trouve dans Le Papillon des abîmes une fois « on aurait dit », quatre fois « on eût dit » (quand même méchamment plus littéraire !) et trente-six fois « on dirait ».

Bref…

Vous l’aurez compris, chers lecteurs, si vous voulez pondre un best-seller pour la jeunesse, passez sous ces fourches caudines :

  • Faites gros, très gros, ou en de nombreux épisodes.
  • Rédigez au passé et à la troisième personne du singulier.
  • Choisissez de préférence un héros (une héroïne) de 12 ans, orphelin(e) et bourré(e) de super-pouvoirs (faut que le lecteur, après s'être identifié, puisse fantasmer à fond, que diantre !).
  • Soyez toujours positifs, glorifiez les valeurs consensuelles.
  • Multipliez fées, elfes, trolls, mondes parallèles et formules magiques (paraît que les gamins aiment ça — au moment où les sciences et les technologies connaissent des progrès foudroyants, la fantasy est un moyen merveilleux, forcément, pour s'évader, pour ne pas voir la réalité des choses).

L’autre solution serait d’essayez exactement l'inverse, suivre la recette diamétralement opposée. Cela pourrait marcher. Car quoi, comme le répétait un de mes profs de philo, tout ce qui est possible peut arriver…

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