H comme Hormona

L'Abécédaire |

Où l'on s'intéresse à Hormona, moyen-métrage de Bertrand Mandico réunissant trois de ses courts les plus récents qui dessinent les contours d'un univers loufoque (et c'est peu dire), entre douce horreur et absurde.

Hormona (Y a-t-il une vierge encore vivante ?, Notre-Dame des hormones, Prehistoric Cabaret), Bertrand Mandico, 2015 (2015, 2015, 2014). 49 min. Couleurs.

Sous-titré « trois films charnels », Hormona propose une compilation de trois courts-métrages de Bertrand Mandico, réalisateur français dont j’ignorais tout jusqu’à l’existence avant la sortie de ce florilège sur les écrans. Une bonne chose de réparée, tant les trois courts forment une remarquable porte d’entrée à l’univers du cinéaste. Celui-ci a œuvré, jusqu’à présent, uniquement dans le court : ses films portent des noms aussi intriguants que « Souvenirs d’un montreur de seins », « La Résurrection des natures mortes », « Vie et mort d’Henry Darger »…

Voyons de plus près ce qu’il en est…

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Y a-t-il une vierge encore vivante  : Ce que les Français racontent sur Jeanne d’Arc est faux, la Pucelle d’Orléans a juste été énuclée. Depuis, elle erre à travers la forêt, un masque sur les yeux, jusqu’au moment où elle trouve une vierge attachée à un arbre, non loin d’un corps mutilé. Bon, « vierge », c’est vite dit : la jeune femme n’est plus qu’une « demi-vierge », ayant été dépucelée par l’arbre, fort lubrique. Un court… court, cruel et drôle. L’ambiance forestière qui baigne l’histoire est aussi chatoyante que glauque. Mais ça n’est rien en comparaison du court-métrage suivant, Notre-Dame des Hormones.

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Notre-Dame des Hormones : On y suit deux actrices, Lune et Lautre, se promenant en forêt tout en lisant à voix haute, jusqu’au moment où Lautre découvre un… truc, à moitié enfoui dans l’humus. Le truc est indubitablement organique, façon gros bloc de chair poilu, doté d’un appendice érectile — plus exactement en (semi-)érection constante — et qui communique par des couinements/gémissements. Lautre s’empare de la créature, ce qui n’est pas sans susciter la jalousie de Lune. Lautre hésite à la lécher (la créature, pas Lune), et rapporte finalement la chose dans leur pavillon, perdu au milieu des bois. Un étrange et délétère ménage à trois se met en place.

Cette Notre-Dame des Hormones est clairement le plus ambitieux des trois, tant par sa longueur (31 minutes) que par son ambition. L’histoire se décompose en une série de vignettes comment autant de courts chapitres, séparés par des placards façon film muet, dont les titres sont énoncés par la voix amusée de Michel Piccoli. L’ambiance est hors de ce monde, autour de ce pavillon logé au cœur d’une forêt luxuriante ; la végétation prolifère jusque dans la maison, s’approprie les corps – celui de la créature, tout comme les statues vivantes qui peuplent les lieux. L’imagerie grecque semble pervertie : des acteurs en chair et en os interprètent les statues d’éphèbes et de nymphes, tandis que la figure du satyre est réduite à une chair informe pourvue d’une bite. Et ça s’entretue joyeusement : le sang vermillon ne dépare pas au sein de la palette très colorée de ce court. Ah, et on y croise aussi, brièvement, un réalisateur androgyne (on dirait Bowie, période "Heroes"), ainsi qu’une biche avec des seins (c’est beau, oui).

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Prehistoric Cabaret conclut cet ensemble. Dans un… cabaret (ben oui), une femme (la Terre, selon le générique) propose aux quelques spectateurs (une femme, et quatre hommes aux costumes suspectement tachés de blanc) d’assister à une représentation d’un genre particulier. Cela, à l’aide d’une caméra, conçue pour appréhender les différentes strates temporelles. Bon, la caméra ressemble fort à un œuf de verre planté sur une tige très organique, et la maîtresse de cérémonie de se l’enfoncer dans les fesses pour un voyage aussi visuel que sensoriel…

« Did you like it? Say it, say it if you liked it. »

Pas moins dérangeant que les deux précédents courts-métrages, Prehistoric Cabaret souffre de sa dernière position au sein d’Hormona. Une position qui, thématiquement, s’avère logique, mais qui affadit le film après le grand délire de Notre-Dame des Hormones.

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Ces trois courts-métrages ont en commun la présence de l’actrice roumaine Elina Löwensohn, à la diction si particulière et qui figure dans tous les courts-métrages de Bertrand Mandico depuis 2011 (ce qui fait un peu plus d’une demi-douzaine), et un même goût pour une esthétique que l’on pourrait qualifier de bricolo-érotico-macabro-néo-giallo (ou tout simplement, en adjectivisant le nom du réalisateur, de mandico, c’est plus court). Sans oublier un humour omniprésent : les trois courts-métrages ont beau être dérangeants et/ou sanguinolents par moment, jamais ils ne cherchent à dégoûter le spectateur ; l’humour se situe dans les dialogues ou les situations délicieusement absurdes, ou tout simplement dans le fait de laisser certains trucages apparents. Une ambiance « fait-main », pas éloignée des œuvres de Jan Švankmajer et qui n’est pas pour déplaire.

vol2-h-etrange_couleur.jpg L’affiche, très Art nouveau, m’a irrésistiblement fait penser à celle d’un autre film, lui aussi d’inspiration néo-giallo : L’Étrange couleur des larmes de ton corps. Mais là où L’Étrange couleur… donnait l’impression de vouloir agresser constamment le spectateur — en lui enfonçant une perceuse dans les oreilles et des aiguilles chauffées à blanc dans les yeux —, Hormona s’avère une douce invitation à découvrir l’univers érotique et macabre de Bertrand Mandico. De fait, le seul défaut de ce recueil de courts est sa brièveté : on en redemande.

Introuvable : oui
Irregardable : pas tout à fait
Inoubliable : forcément

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