Ne brûlez pas les ailes des fées, rencontre avec Loïc Le Borgne

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Doc MeP couve HysteresisÀ l’occasion de la sortie toute récente d’Hystérésis, son nouveau roman et premier à destination d’un public adulte, Loïc Le Borgne a accepté de répondre à nos questions. Et notre auteur de s’exprimer sur ses influences, la musique et les conditions bien particulières dans lesquelles il s’est mises pour écrire Hystérésis

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Loïc, tu t’es d’abord fait connaître par tes romans jeunesse. Pourquoi avoir décidé d’écrire un roman adulte ?

En réalité, mes débuts en jeunesse ont été un hasard : je ne ciblais pas l’âge de mes lecteurs en écrivant mes premières histoires, je les écrivais pour le loisir après mon travail (j’étais journaliste). Le premier éditeur m’ayant contacté, Mango, m’a demandé d’adapter mon premier pavé (Les Enfants d’Eden) en une trilogie pour adolescents. Plus tard, j’ai écrit pour les 10-12 ans, à la demande de mes filles, alors trop jeunes pour mes autres livres.

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itw-llb-jesuistanuit.jpgEn fait, je ne distingue pas vraiment les romans jeunesse des romans pour adultes. La frontière principale se situe à mon sens entre les récits pour enfants et ceux destinés aux plus âgés. Dès lors qu’on écrit pour les adolescents ou les adultes, on peut aller plus loin dans le non-dit, l’ambiguïté, alors que les enfants détestent l’incertitude. Avec Hystérésis, je pouvais explorer des zones d’ombre, aborder des thèmes plus ambigus. Je l’avais d’ailleurs déjà fait pour Je suis ta nuit, pensé à l’origine pour des adultes, adapté ensuite pour des young adults chez Intervista, puis publié en adultes par le Livre de poche… preuve que la frontière est floue, pour ne pas dire artificielle. Dans un roman pour adultes, je pensais aussi pouvoir aborder des formes d’écriture plus originales, comme la poésie, la chanson, justement basés sur l’ambiguïté du sens, et surtout fusionner la prose et les vers.

Quels sont les auteurs (de SF ou non) qui t’ont influencé ? Dans Je suis ta nuit, on perçoit Stephen King.

Bien vu, j’ai lu tous les romans de Stephen King, même dans ses moments creux, je le suis depuis mes 14 ans. Je suis fasciné par d’autres auteurs plus classiques : Hemingway, Steinbeck, Stevenson. Dans le domaine de la SF ou du fantastique, Dan Simmons, Pierre Bordage (j’ai aimé récemment Le Feu de Dieu, L’Ange de l’abîme), Robert McCammon (Le Mystère du lac a des points communs avec Je suis ta nuit), Mike Resnick, Greg Bear.

Dans quelles conditions as-tu écrit Hystérésis ?

J’ai d’abord écrit des nouvelles post-apocalyptiques, qui se déroulent pendant la Panique. Je les ai écrites l’été, sur un bloc papier, ça me défoule et ça change de l’ordinateur. Il y a cinq ans, j’ai décidé de reprendre certains de ces thèmes et je me suis lancé dans Hystérésis. C’est vrai, je voulais m’imprégner du sujet, de l’atmosphère. J’ai suivi des visites sur le terrain avec des bénévoles d’une association de protection de l’environnement, sur le thème des arbres notamment. Ils m’ont fourni de nombreux documents.

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J’ai écrit les premières pages du roman au crayon, sur papier, dans ma cave, en plein hiver, éclairé par une bougie. Je trouvais important de me mettre en condition, d’être sincère en tentant de me projeter dans le crâne de ce gamin isolé écrivant à ses ancêtres… à nous. J’ai écrit le reste du récit de la fin de l’hiver au début de l’été. Je vivais donc avec les mêmes sensations que les personnages, j’allais régulièrement prendre des photos des plantes dans un parc, le parc d’Hystérésis… qui existe vraiment dans un village proche de chez moi. J’ai mis cinq ans à boucler la version actuelle car j’avais d’autres projets d’écriture en parallèle. La première version d’Hystérésis étant beaucoup trop longue, j’ai passé beaucoup de temps à élaguer, et encore plus à écrire et intégrer les passages en vers.

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Justement, quel est ton processus d’écriture ? T’es-tu mis dans des conditions semblables pour tes précédents romans ?

C’est très variable. Je n’ai jamais passé autant de temps sur un roman que pour Hystérésis. Mais d’une manière générale, l’histoire tourne longtemps dans ma tête avant que je ne commence à l’écrire. J’imagine des scènes, je griffonne, j’accumule de la doc. Mon but est de me créer un terreau sur lequel peuvent mieux pousser mes idées, quand il faut réellement se lancer. C’est comme un puzzle mental et j’attends que toutes les pièces soient en place pour me lancer, sauf celles qui concernant la fin. J’aime être surpris par les derniers chapitres. En écrivant Hystérésis, je ne savais pas ce qui allait passer par la tête des jumelles au cœur de la forêt de la Suie.

Doc MeP couve HysteresisHystérésis est porté par une langue imprégnée de références musicales. Es-tu musicien, ou parolier à tout le moins ? Et quels sont tes goûts en matière de musique ?

Je suis fasciné par les musiciens parce que je ne pratique pas ! Mais j’ai toujours écrit des poésies ou des paroles de chansons. Lorsque j’étais étudiant à Rennes, j’écrivais des titres pour un chanteur breton, et il les mettait en musique. J’avais 19 ans, c’était magique de se retrouver en studio. Je m’amuse de temps en temps à en écrire de nouvelles, pour le plaisir. Quand j’ai pensé à Jason comme personnage principal, je me suis dit que j’allais lui fournir quelques textes…

À défaut d’en jouer, j’écoute beaucoup de musique, y compris en écrivant. Elle m’isole du reste du monde. Le rythme est important, la musique que je choisis dépend donc souvent de l’histoire que j’écris. Pour Hystérésis, beaucoup de Dylan, tu t’en doutes. Mais aussi les Rolling Stones, Neil Young, les Doors. Et Brel, je ne sais pas trop pourquoi, il y a quelque chose chez lui qui me fait vibrer … J’aime son départ inexpliqué, comme Rimbaud, à l’autre bout du monde.

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Pour écrire Hystérésis, les Beatles, Pink Floyd ou Bowie, ça n’allait pas : trop sophistiqué. Des groupes plus récents comme les Arctic Monkeys, Muse, Arcade Fire non plus, pourtant j’apprécie. J’aime le rock et le blues plutôt classiques : Buddy Guy, BB King, Eric Bibb, Johnny Cash, Hendrix, Led Zep, Jack White, Dylan, Springsteen. Les deux derniers sont mes préférés. En général j’essaie d’être assez ouvert, et même de tendre l’oreille pour savoir qu’écoutent mes filles. Tu veux que je te dise ce que je pense des One Direction ?

Oui, on est curieux !

À leur âge, elles pourraient avoir choisi pire, genre soupe lourdingue qu’on entend sur pas mal de radios. Bon, je vais leur faire écouter Jake Bugg, il est moins vieux. Ou Mia Wallas, un jeune groupe de ma région.

Le nom de Jason Marieke, a-t-il une signification ? On pense tout à la fois à la mythologie grecque et Jacques Brel…

Oui, il y a un peu des deux. Jason pour l’aventure, et Marieke rappelle effectivement une chanson, ce sont peut-être ses racines. Je voulais que l’ensemble lui corresponde, que ça sonne à son image…

Sur ton blog se trouvent des nouvelles inédites, regroupées sous le titre « Chroniques du K.O. ». Ont-elles un rapport avec les carnets de Jason Marieke ?

Il s’agit des nouvelles dont j’ai parlé, celles que j’écrivais avant Hystérésis. Il y en a d’autres, non corrigées, dans mes tiroirs. J’en ai retiré certaines du blog afin de les améliorer, il en reste peu. Mes nouvelles, c’est un peu des laboratoires. « Sur le flanc de la froide colline », que l'on pourra lire sur le blog du Bélial', est dans cette veine.

Te bases-tu sur tes nouvelles pour écrire tes romans ? De manière générale, en écris-tu volontiers ?

Seulement pendant les vacances, je me sens plus à l’aise dans le roman. Pour écrire mes romans, je me base plutôt sur des atmosphères, des sensations, parfois un rêve qui conduit à une scène, puis à une histoire complète. C’est le cas d’Hystérésis. Lors d’un voyage aux États-Unis, alors que ma fille aînée avait deux ans et qu’elle était restée en France, j’ai rêvé que je restais coincé là-bas et que je ne la revoyais que des années plus tard. C’était terrifiant.

itw-llb-sangdeslions.jpgHystérésis, tout comme Le Sang des lions, dépeint un Occident en pleine déchéance. Selon toi, n’y a-t-il d’autres avenirs que le chaos ?

Je crois que l’auteur de science-fiction n’est pas un devin. Je n’ai pas de boule de cristal, je me projette dans le futur pour parler du présent. Comme ma femme, professeur d’histoire, étudie le passé pour mieux comprendre notre époque. Si un récit de SF est sombre, c’est que l’auteur ne regarde pas son époque, du moins sa propre société (il en existe d’autres dans le monde) d’un œil très indulgent. Force est de constater que nous savons beaucoup de choses (nous n’avons jamais autant su), que de nombreux signaux sont allumés, et que nous ne faisons pas grand-chose. Il est extrêmement difficile, dirait-on, de changer une civilisation...

C’est peut-être humain. Nous avons l’impression que les choses sont stables, qu’elles ne peuvent pas basculer de manière radicale. Pourtant, dans l’histoire, il y a souvent eu des mouvements de ce genre. Nous sommes dans une période de déni. Plus question pour beaucoup d’entendre parler de réchauffement climatique ! C’est un réflexe dû à la peur mais ça va changer. Une banquise ne fond pas sans lourdes conséquences. Chacun, au fond de soi, s’en doute. Après, on peut opter pour une évolution progressive ou subir un changement brutal. Les systèmes sont comme les individus : plus ils sont rigides, plus vite ils s’effondrent en cas de changement rapide. Dans Hystérésis, on comprend que ceux qui prônaient la stabilité ont provisoirement gagné… avant d’être lynchés. Les peuples effrayés cherchent toujours des coupables. Il est dans l’intérêt de tous d’anticiper les changements plutôt que de les subir.

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Sous le pseudonyme de Loïc Léo, tu as également écrit une série jeunesse, « Le Club des Chevaux magiques ». Tu peux nous en dire plus ?

itw-llb-dauphins.jpgJ’ai commencé cette série, désormais terminée, il y a cinq ans, à la demande de mes filles. Je n’avais jamais écrit pour les enfants et je leur avais demandé ce qu’elles souhaitaient. C’est une série imprégnée d’écologie. Des cavalières volantes sauvent des animaux menacés. Avec les enfants, il faut de la légèreté pour aborder des choses graves. À la fin de la série, les héroïnes appellent les lecteurs à changer le monde (mine de rien, il y a des points communs avec Hystérésis). En 2013, j’ai aussi écrit un récit de SF pour les 10-12 ans chez un petit éditeur, La Cité des dauphins (Imaginemos), inspiré par L’Ile mystérieuse de Jules Verne. J’ai aimé écrire cette petite histoire, j’ai retrouvé mes sensations de gamin, quand je rêvais d’aventure en observant des îles, en Bretagne.

Enfin, quels sont tes prochains projets ?

Je termine un roman de science-fiction pour adolescents, qui devrait voir le jour en 2015. Dans la foulée, je continue par un nouveau roman d’anticipation pour enfants. Je réfléchis en parallèle à un futur roman pour adultes, mais il me faut du temps pour ça. Je n’aime pas écrire une histoire si j’ai l’impression de l’avoir déjà lue dix fois ! De temps en temps, j’écris une chanson. Si tu connais un groupe ou un chanteur… Entendre les chansons d’ Hystérésis en concert, le rêve !

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