Rétrocipation : Janvier 1960

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Cette semaine, le blog Bifrost vous propose de découvrir un jeune auteur prometteur : Poul Anderson ! Car oui, de l'autre côté de la faille spatio-temporelle qui relie la rédaction du blog Bifrost au début des années 60, Albert Ledou nous parle d'un temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître : celui où l'auteur de La Patrouille du temps était encore un quasi-inconnu. L'occasion pour notre reporter de l'impossible, en direct du passé, de nous faire un compte-rendu des parutions de ce premier mois de 1960...

Nouvelle année, nouvelle formule

Non, amis lecteurs, les changements en question ne concernent pas le Bulletin d’Information des Amateurs d’Anticipation et de Terreur de Conflans-la-Haute, qui devrait poursuivre son petit bonhomme de chemin sur le même rythme que l’an dernier, mais plutôt notre consœur Satellite, qui fait peau neuve en ce début 1960. A partir de ce vingt-cinquième numéro, la revue se scinde en deux parties, présentées tête-bêche : Satellite d’un côté, Hypothèses de l’autre. La première ne surprendra pas les lecteurs fidèles du magazine : une collection de nouvelles suivie d’un cahier critique consacré aux nouveautés romanesques, cinématographiques ou autres. La seconde accorde davantage de place aux articles, qu’ils soient consacrés à la science-fiction en général (l’Américain Anthony Boucher défendant le rôle prophétique des écrivains de s-f) ou à des extrapolations scientifiques qui devraient intéresser les amateurs du genre («La Vie est-elle possible sur les autres planètes ? » du Russe Alexandre Kazantzev). Mais les deux-tiers de la partie Hypothèses sont réservés à la publication d’un (court) roman. Pour inaugurer cette section, l’équipe de Satellite a fait confiance à un jeune écrivain, Robert Garance, dont « Mort d’une Planète » est la première publicationNote du rédac'chef :
En fait non, puisque comme on le sait aujourd'hui, derrière ce pseudonyme se dissimulaient Gérard Klein, Richard Chomet et Patrice Rondard. Ensemble, ils avaient déjà publié plusieurs nouvelles sous le nom de Mark Starr, et en 1958 au Rayon Fantastique le roman Embûches dans l’espace, signé François Pagery.
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Hélas, cette nouvelle formule de Satellite ne règle pas sa principale faiblesse : la piètre qualité générale de ses fictions. « Mort d’une planète » est d’ailleurs tout à fait symptomatique des carences de la revue dans ce domaine. Il est certes louable de donner sa chance à un auteur débutant, mais lorsque l’œuvre en question est à ce point ratée, il est difficile pour le lecteur de s’enthousiasmer : écriture quelconque, personnages désincarnés, construction maladroite, aucun sens du rythme ou de la mise en scène, la lecture de ce roman est une véritable corvée. Dommage, car l’auteur n’est pas avare en idées et « Mort d’une planète » aurait pu faire un très bon roman d’aventures cosmiques. Il aurait fallu pour cela que Monsieur Garance revoie sa copie de fond en comble. En l’état, son récit est une purge.

Côté nouvelles, le résultat n’est guère plus brillant. Dans le meilleur des cas, les textes sélectionnés abordent un sujet intéressant, mais le résultat peine à convaincre. C’est le cas de « Mort au Départ » de Milton Lesser, mettant en scène les effets de la relativité du temps lors des voyages spatiaux interstellaires, qui malheureusement s’égare trop souvent dans des considérations sans intérêt et s’achève de manière fort peu satisfaisante. C’est le cas aussi de « Galatée », où le regretté Charles Henneberg s’inspire des lois de la robotique imaginées par Isaac Asimov. Un texte qui n’est pas dénué d’intérêt, certes, mais sans doute trop éloigné du registre habituel de l’auteur pour qu’il s’y montre pleinement à l’aise.

Parmi les nouvelles ne déméritant pas, citons enfin « Duel au trentième siècle » de Manly Wade Wellman, course-poursuite à travers le système solaire sans grande originalité mais plutôt bien troussée. Le reste du sommaire n’a pas sa place dans une revue professionnelle. Qu’ils soient signés d’auteurs respectables (Michel Deutsch, Algis Budrys) ou d’illustres inconnus (Peter Véd, Raymond Abigeo), aucun d’entre eux ne mérite que vous perdiez votre précieux temps à les lire, même dans les transports en commun.

La naissance d’un nouveau Grand de la science-fiction

Parmi les jeunes écrivains de science-fiction, Poul Anderson est de ceux qui semblent avoir le plus retenu l’attention des éditeurs français. Après la publication de nombreuses nouvelles, puis il y a quelques mois du roman La Route étoilée, c’est au tour de la collection Anticipation de l’accueillir en son sein.

La Troisième Race débute sur des sentiers battus dont elle va très vite s’éloigner. Une longue et couteuse guerre a opposé la Terre à Mars, et s’est terminée par la victoire de cette dernière. Notre monde est occupé, ses troupes démobilisées. L’auteur donne la parole à David Mark Arnfeld qui conte son pénible retour chez lui, dans une propriété où se sont installés des soldats martiens. Et c’est là que, après des débuts difficiles, les ennemis d’hier vont progressivement redécouvrir chez l’autre la part d’humanité que le conflit avait étouffé.

La Troisième Race est un roman à la fois sombre et dur dans les descriptions qu’il fait de cette Terre exsangue et meurtrie, mais dans le même temps emprunt d’une grande humanité et évitant tout manichéisme. Même lorsque Monsieur Anderson introduit cette fameuse « troisième race » qui donne son titre au livre et qui dans les coulisses a manipulé Martiens et Terriens pour les pousser à s’entretuer, il n’en fait pas d’horribles créatures extraterrestres assoiffées de sang mais simplement une espèce en voie d’extinction prête à tout pour survivre.

Ce roman n’est sans doute pas parfait, sa brièveté a empêché Monsieur Anderson de développer davantage certains points qui méritaient de l’être, mais en l’état il s’agit d’un excellent Anticipation, sans conteste l’un des meilleurs titres de la collection à ce jour.

Fiction n°74

On retrouve Poul Anderson à l’honneur dans le nouveau numéro de Fiction, qui publie un récit appartenant à son cycle de « La Patrouille du Temps ». « Le Grand Roi » est un fort bon texte. Jouant à la perfection des lois particulières du voyage temporel, décrivant de manière très détaillée et réaliste la Perse du sixième siècle avant Jésus Christ, et offrant quelques scènes d’action particulièrement réussie, cette nouvelle devrait convaincre les derniers récalcitrants que Monsieur Anderson est bien l’un des écrivains les plus doués de sa génération.

Remarquable également « L’Homme qui a perdu la Mer » de Theodore Sturgeon, autre Grand de la science-fiction actuelle. Le thème n’a rien d’original – encore qu’il ne m’est pas permis d’en dire davantage sans en gâcher la chute – mais son traitement est tel, et son écriture si belle, qu’il s’agit probablement du meilleur récit consacré à ce sujet.

Dans un registre très différent, Robert Graves, auteur anglais que l’on lit à ma connaissance pour la première fois en France, signe avec « Le Cri » un récit fantastique tout à fait étonnant, dans lequel l’apparition d’un homme en apparence inoffensif va bouleverser la vie d’un couple de manière irréversible.

Face à une sélection d’un tel niveau, les Français n’ont pourtant pas à rougir, loin de là. Charles Henneberg donne une suite à son roman « An premier, ère spatiale » qui se révèle bien plus réussie que celui-ci. « Démons et chimères » développe plus en avant la lutte opposant les mutants aux humains au cours d’un récit très sombre et angoissant. Quant à Francis Carsac, si « Premier Empire » affiche des allures d’amusante farce en mettant en scène des historiens du futur pensant découvrir le passé à travers les romans de science-fiction qu’ils ont trouvés, l’auteur parvient à dépasser l’aspect purement humoristique de son récit et signe un bel hommage à ses confrères et plus généralement au genre romanesque dans son ensemble.

Seules les trois dernières nouvelles au sommaire de ce numéro déçoivent quelque peu. Le très court texte de François Jolimoy est anecdotique, « Celui qui savait » de Jacques Sternberg, à peine plus long, n’est guère meilleur, et « Rubrique nécrologique » d’Isaac Asimov aurait pu être réussi si son personnage principal, un scientifique aigri ayant inventé une technique révolutionnaire de transfert de matière, n’était pas aussi caricatural et antipathique, et le procédé utilisé pour faire la démonstration de sa création aussi invraisemblable.

Une nouvelle collection de science-fiction ?

Voilà plusieurs années que les éditions de l’Arabesque publient une collection intitulée Espionnage, au sein de laquelle se glisse parfois un roman se rapprochant de notre genre de prédilection. La nouveauté en ce début d’année est le label « Espions de Demain » figurant en bonne place sur la couverture de Pagaille au Pentagone, roman signé d’un énigmatique pseudonyme : Ex Agent SR 27.

Effectivement, ce récit relève de la science-fiction, et s’inspire beaucoup des récents évènements liés à la course à la Lune à laquelle se livrent les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Dans ce domaine, cette dernière semble avoir pris une avance certaine, et l’auteur s’en inquiète ouvertement, redoutant que les Communistes ne gagnent bientôt le contrôle complet de notre ciel. Pour empêcher un tel dénouement, les services secrets américains envoient en U.R.S.S. une jeune femme d’origine esquimaude, Mzouk Clayborne, avec pour mission d’infiltrer la mission spatiale russe.

On peut évidemment se réjouir de voir la science-fiction trouver sa place dans une collection qui ne lui était à priori pas destinée. Malheureusement, force est de constater que Pagaille au Pentagone n’est pas un très bon roman. Le style est des plus pauvres, et si l’auteur s’est visiblement fort bien documentée sur le sujet, il ne sait guère donner vie ni à ses personnages, ni aux situations qu’il décrit. Souhaitons que d’autres titres estampillés « Espions de demain » verront le jour, mais qu’ils seront confiés à d’autres mains que celles de ce mystérieux Ex Agent SR 27.

Compton McKenzie
La République Lunatique
(Présence du Futur n°35)

Lors du Bulletin du mois dernier, je soulignais à quel point 1959 fut une année faste pour la collection Présence du Futur. Hélas ! On ne peut pas dire que la nouvelle année débute sous les meilleurs auspices, tant La République lunatique est un mauvais livre.

Son narrateur, Richard Bosworth, est le premier homme à poser le pied sur la Lune (en compagnie de son collègue chinois Tin Pan), et conséquemment à entrer en contact avec ses habitants. Le roman raconte sa découverte de cette civilisation. Malheureusement, contrairement aux meilleures œuvres ayant abordé un sujet similaire, il ne s’agit ici ni du meilleur ni du pire des mondes possibles, seulement du plus absurde. Le lecteur découvre au fil des pages les mœurs étranges des Lunatiques, n’obéissant à aucune logique mais uniquement au bon plaisir de son auteur.

Ce choix de Monsieur McKenzie serait acceptable si le résultat parvenait à faire rire ou sourire. Ce n’est jamais le cas. Les sujets s’enchainent sans aucun plaisir ni aucun ordre, les mêmes situations et les mêmes dialogues se répètent chapitre après chapitre, et au final on referme La République lunatique avec le sentiment désagréable d’avoir perdu son temps pour rien.

Serge Martel
L’Aventure alphéenne
(Le Rayon Fantastique n°67)

Il y a un an et demi de cela, Monsieur Serge Martel publiait au Rayon Fantastique L’Adieu aux astres, premier roman qui, s’il souffrait de nombreux défauts, bénéficiait pourtant d’un ton bien à lui, une atmosphère mélancolique qui baignait l’ensemble du récit et le distinguait nettement de la plupart des autres œuvres de science-fiction, françaises ou étrangères. A présent, l’auteur nous revient avec une œuvre fort différente, une aventure spatiale des plus traditionnelles.

Depuis deux ans, la famille Maniat est sans nouvelles de son fils ainé, Mauc, disparu sur Alpha III. L’enquête des autorités sur place n’ayant abouti à aucun résultat, toute la famille décide de retaper un vieux cargo spatial et de se rendre sur Alpha III pour y poursuivre les recherches.

En matière de science-fiction, Monsieur Martel applique ici les recettes les plus éculées du genre pour tenter d’insuffler un peu de vie à son Aventure alphéenne. Peine perdue, on ne parvient jamais à s’attacher aux personnages, tous plus caricaturaux les uns que les autres, de la mère ne quittant jamais ses fourneaux, même en plein espace, jusqu’au génial grand-père capable de bricoler un moteur de vaisseau interstellaire avec un tournevis et trois boulons. Quand au sort que l’auteur a réservé à Mauc, le fils perdu, je vous laisserai le soin de le découvrir mais vous prierai de ne pas rire trop fort.

Jimmy Guieu
Chasseurs d’hommes
(Anticipation n°149)

On le voit à cette succession de critiques sévères (mais que j’espère justes), ce début d’année n’est pas des plus enthousiasmants. Dans ce contexte, on n’en appréciera que davantage les évidentes qualités de La Troisième Race de Poul Anderson. On aimerait en dire autant de l’autre Anticipation du mois, mais comme c’est souvent le cas, le dernier roman en date de Monsieur Jimmy Guieu ne brille guère par ses qualités littéraires.

L’auteur y renoue avec son sujet de prédilection : les soucoupes volantes et autres objets volants non identifiés. Son héros, Ronald Holloway, se retrouve en possession d’un document prouvant leur origine extraterrestre, et est aussitôt poursuivi par trois inquiétants hommes en noir.

Au-delà de la révélation de faits dont Monsieur Guieu nous garantit l’authenticité, nous nous trouvons en présence d’un roman de science-fiction assez médiocre, pauvre en péripéties et sans grandes surprises dans son déroulement. L’ambiance de paranoïa grandissante dans laquelle baigne le récit permet certes de dramatiser les situations et les enjeux, mais Chasseurs d’hommes fait partie de ces romans qu’on oublie encore plus vite qu’on ne les lit.

Albert Ledou

P.S. Le temps m’a manqué pour aller dans une salle de cinéma voir le nouveau film de Terence Fisher, La Malédiction des pharaons, je vous en parlerai donc le mois prochain.

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