En matière de fantasy animalière, les auteurs du Royaume-Uni ne se débrouillent pas trop mal. Fantastique Maître Renard à Watership Down en passant par Le Bois Duncton , une bonne partie des fleurons du genre viennent d’Outre-Manche. Rien d’étonnant à ce que le romancier et scénariste Dan Abnett et le dessinateur Ian Culbard, anglais l’un et l’autre, y soient allés de leur propre essai en la matière avec Wild’s End, mini-série en 18 épisodes parue entre 2016 et 2018. Quand Le Vent dans les saules rencontre La Guerre des mondes…
First Light (Wild’s End #1-6), Dan Abnett et I.N.J. Culbard. Boom! (2016), 160 pp. GdF.
The Enemy Within (Wild’s End #7-12), Dan Abnett et I.N.J. Culbard. Boom! (2017), 160 pp. GdF.
Journey’s End (Wild’s End #13-18), Dan Abnett et I.N.J. Culbard. Boom! (2018), 160 pp. GdF.
En matière de fantasy animalière, les auteurs du Royaume-(Dés-)Uni ne se débrouillent pas trop mal. DU Vent dans les saules à « Rougemuraille » en passant par Winnie l’ourson, Watership Down, Fantastique Maître Renard, Le Bois Duncton ou Babe, une bonne partie des fleurons du genre viennent d’Outre-Manche. Rien d’étonnant à ce que le romancier et scénariste Dan Abnett et le dessinateur Ian Culbard, anglais l’un et l’autre, y soient allés de leur propre essai en la matière avec Wild’s End, mini-série en 18 épisodes parue entre 2016 et 2018. Auteur plutôt prolifique, Abnett est l’auteur de bon nombre de romans situés dans l’univers de Warhammer 40 000 (dont la série « L’Hérésie d’Horus »). Quant à Culbard, qui se déclare grand amateur d’Arthur Conan Doyle et de H.P. Lovecraft, on lui doit quatre adaptations du maître de Providence – si son style est à cent lieues de celui d’Horacio Lalia, il fait mouche et m’a donné envie de me pencher sur l’épais volume Lovecraft: Four Classic Horror Stories paru fin 2018. Mais cela nous éloigne de Wild’s End…
Au jeu des comparaisons foireuses, on pourrait dire de Wild’s End qu’il s’agit de la rencontre entre Le Vent dans les saules de Kenneth Grahame et La Guerre des mondes de H.G. Wells mais en bande dessinée – c’est la comparaison qui vient en tête à tous ceux qui lisent la série, semble-t-il, votre serviteur y compris. Néanmoins, ce serait un poil réducteur. Fantasy animalière tenant pour le coup de la SF, la série de Dan Abnett et Ian Culbard a sa propre originalité. Et ce n’est pas parce qu’on y croise un toutou, une chatounette et un lapinou, entre autres bestioles, qu’on tient là un comics niais, doux, mignon et gentillet. Bien au contraire.
Nous voici à Lower Crowchurch un recoin d’Angleterre comme on n’en fait plus, quelque part dans les années 30. Les « Guerres étrangères » sont désormais un lointain souvenir. Tout commence un soir, lorsque le renard Fawkes et son ami belette sont témoin de la chute d’une étoile filante dans les bois. Bon, c’est peut-être un peu gros pour une étoile filante… mais y a-t-il de quoi s’inquiéter ? Pas vraiment aux yeux de Gilbert, lapin et maire de Lower Crowchurch. D’autant qu’on le sait bien, Fawkes est porté sur la dive bouteille et a souvent tendance à raconter n’importe quoi.
Et puis il y a Mr Slipaway, molosse qui a combattu dans les guerres et qui s’est installé au logis pertinemment nommé Journey’s End, dans l’espoir d’y couler des jours tranquilles. Espoir vain, comme on peut s’en douter. Parce que l’étoile filante n’en est pas une. Parce qu’il rôde désormais dans les bois alentours des créatures étranges, équipées d’armes incendiaires dont elles n’hésitent pas à faire usage ; résolument non-humaines -animales, ces créatures s’avèrent salement agressives. Et qu’elle sont bien capables de réduire à néant non seulement ce doux recoin d’Angleterre, mais le reste du monde aussi.
L’objectif des personnages dans le premier TPB, le bien nommé First Light, est simple : fuir et survivre, face à un ennemi quasi-invicible – ou du moins, contre lequel la population de Lower Crowchurch n’est pas du tout préparée à combattre. L’armée intervient dans The Enemy Within mais ce deuxième TPB nous rappelle que, trop souvent, le véritable antagoniste n’est pas toujours l’envahisseur, qu’il soit extraterrestre ou zombie, mais il s’agit parfois de celui censément dans le même camp que vous mais aux vues et procédés diamètralement opposés. Le chaos s’installant, la situation est désespérée au début de Journey’s End ; elle le sera à peine moins à la fin du 18e et ultime épisode, mais au moins une lueur d’espoir brillera-t-elle alors.
Au fil des trois volumes, le compteur de cadavres crépite autant qu’un dosimètre dans la zone d’exclusion de Pripyat : Dan Abnett n’épargne pas ses personnages. Une leçon apprise de George R.R. Martin : personne n’est à l’abri des envahisseurs… ou de ses propres congénères. Une belle galerie de personnages : outre Mr Slipaway, aussi brave que son apparence de chien laisse deviner mais hanté par son passé, on croise aussi un lapin optimiste, un renard porté vers la petite délinquance et l’alcool mais tenté par la tentation du bien, un caniche auteur de science-fiction et prétentieux, une chatte autrice de science-fiction et du genre à sortir ses griffes si on la pousse dans ses retranchements. Et un écureuil flippant et increvable. Le trait de Ian Culbard fait merveille, donnant aux animaux anthromorphisés toute la variété d’expression requise… sans gommer leur animalité.
Sous le trait très ligne claire et expressif de I.N.J. Culbar, Wild’s End revient à ce qui fait l’essence des ovnis : des objets du quotidien mais observés différemment. Ici, les extraterrestres ont littéralement l’apparence de bêtes lampes de réverbère… À la fois familiers mais terriblement étrangers, d’apparence fragile mais puissantes, muets et meurtriers, ces envahisseurs sont réussis. À la manière de La Guerre des mondes, on ne saura pas grand-chose d’eux – ni leur évanescent physique ni leurs intentions (au-delà de la conquête). L’enjeu réside surtout dans la manière dont les protagonistes parviendront à s’entraider, ou non, pour fuir et éventuellement juguler la menace. Le scénario de Dan Abnett est volontiers sérieux voire tragique, abonde en rebondissements, mais sait faire preuve d’un humour d’autant plus bienvenue qu’il est parcimonieux. C’est peu dire que l’ensemble se dévore, et se relit tout aussi bien. Chacun des 18 numéros se termine par du matériel supplémentaire : cartes, extraits de guides touristiques ou de romans, lettres, documents divers, afin de donner de la profondeur à l’univers.
En somme, Wild’s End constitue une très belle réussite, brodant avec brio sur un thème rebattu. Le seul regret concerne la disponibilité variable des trois volumes de la série… et l’absence (pour le moment) de traduction française.
Introuvable : curieusement, les tomes 1 et 3 sont aisément trouvables, même en ligne, mais pas le tome 2
Illisible : non
Inoubliable : yessir