Il fut un temps où le principal péril pour l'humanité n'était pas le réchauffement climatique assorti de l'effondrement écologiquement mais tout bêtement la bombe atomique. Il fut un temps où l'on se disait qu'aller se planquer dans les profondeurs terrestres était une bonne idée : c'est là l'idée de base de Unknown World, petit film de science-fiction signé Terry O. Morse inspiré (lointainement) de Voyage au centre de la Terre…
Unknown World,Terry O. Morse (1951). 74 minutes, noir et blanc.
« Civilization vs. the Atom », claironne un placard au début du film. Cet extrait d’un bulletin d’informations donne le ton : l’humanité se trouve à l’aube d’une nouvelle ère. Le professeur Jeremiah Morley, auteur d’un rapport sur la fin des civilisations, en est convaincu : cette ère atomique pourrait mettre fin à la civilisation telle que nous la connaissons, surtout si une troisième guerre mondiale est déclenchée. Afin de prévenir cette sinistre perspective, il a fondé une société, la Society to Save Civilization (tout un programme), et a rassemblé une dream-team de scientifiques pour, eh bien, sauver la civilisation. Le but de cette société est simple : explorer les tunnels qui parsèment la croûte terrestre et trouver des abris souterrains, destinés à protéger les humains des rayonnements radioactifs. Las, faute de fonds, la SSC finit par s’éteindre.
Ainsi se termine le bulletin d’informations et ainsi commence le film. Morley et ses collaborateurs, tous dépités, viennent d’assister à la projection de ce bulletin. Mais voici que Wright Thompson, enthousiaste héritier du propriétaire d’un grand journal, décide d’apporter les financements manquants, à la seule condition qu’il fasse partie de l’aventure. Le coûteux appareil d’exploration souterrain, le Cyclotram – un mélange entre un tank et une taupe – est construit et déposé auprès du mont Saint-Hélène. Et c’est parti pour l’aventure !
(Ou presque : une fois les scientifiques à bord, le Cyclotram refuse de démarrer. Oh, il fallait juste défaire le frein à main…)
Et donc, c’est reparti pour l’aventure. L’engin gravit les pentes du volcan avant de glisser dans sa cheminée.
Le quotidien des sept membres de l’équipe alterne entre exploration à pied dans les grottes ou parcours à bord du Cyclotram. À 4 km de profondeur, ils trouvent le message d’une précédente expédition de spéléologie : leurs prédécesseurs ne sont pas allés plus loin.
Le sous-sol se révèle riche en obstacles et en périls ; pour les premiers, le Cyclotram peut y remédier avec son nez en forme de foreuse géantes ; pour les seconds, certains y laisseront leur peau : ici ce sont des poches de gaz toxique, là des précipices garnis de rochers aiguisés. C’est à quatre qu’ils atteignent finalement une gigantesque caverne, située à 4000 km de profondeur. Des chutes d’eau, un océan souterrain, un propre système climatique… mais pas de lumière (ça, c’est que disent les personnages car à l’écran, la pénombre… c’est peu dire que ça ne se voit pas vraiment). Serait-ce là le havre tant espéré ?
Unknown World est l’œuvre de Terry O. Morse, réalisateur américain à qui l’on doit bon nombre de travaux d’édition sur des films ainsi que sept longs-métrages. Parmi ces derniers, Godzilla, King of the Monsters! – à la différence du point d’exclamation, oui, c’est le même titre que le film prévu pour cette année 2019 –, version américanisée (1956) de l’original d’Ishiro Honda (1954). Doublé de craintes (tout à fait légitimes vu l’époque, c’est-à-dire l’an 6 après Hiroshima) envers l’énergie atomique et le réchauffement de la Guerre froide, le scénario de Unknown World évoque irrésistiblement Voyage au centre de la Terre de Jules Verne ou encore Au cœur de la Terre, premier volume du cycle de Pellucidar d’Edgar Rice Burroughs… sauf qu’à l’écran, le manque de budget est flagrant (et voilà qui fait écho à la situation du professeur Morley). Conséquence : pas de bébêtes préhistoriques, ou alors seulement sous la forme de fossiles. En dépit de cette contrainte budgétaire, l’équipe du film tente de faire de son mieux, s’essaie à quelques plans iconiques un peu ratés (le Cyclotram sur les lèvres du cratère et son noir et blanc dramatique). Le long-métrage s’essaie à quelques discussions philosophiques (la capacité de l’homme à changer la nature) et à quelques moments de romance et de tension (mais pas en même temps), alterne scènes dans l’intérieur du Cyclotram et scènes extérieures dans les grottes (le lieu de tournage fut principalement les grottes de Carlsbad au Nouveau-Mexique). Côté scientifique, c’est un peu la fête du slip, le scénariste Millard Kaufman n’ayant pas vraiment pris soin de consulter des ouvrages de géologie sérieux.
Au casting, une brochette d’acteurs méconnus. Victor Killian interpète le professeur Morley : c’est là son dernier rôle au cinéma avant d’être blacklisté par les studios – ah, les joies du maccarthysme (pas glop). On le reverra un peu dans deux épisodes de séries télévisées avant son assassinat en 1979 (pas glop, décidément). Enfin, dans le lot, Marilyn Nash s’en sort très bien dans le rôle de Joan Lindsey – un rôle de scientifique, pleine et entière (pas assistante écervelée du professeur). À ce titre-là, notons tout de même que le film s’avère bien de son temps lors d’une scène : alors que l’équipe manque d’eau potable, ces messieurs font un vote pour déterminer s’ils continuent ou rebroussent chemin. Deux voix pour, deux voix contre. Et c’est à ce moment-là qu’arrive Joan Lindsey, à qui personne n’avait pensé réclamer sa participation au vote. Bravo, les mecs…
Bourré de petits défauts (l’aspect scientifique pas très crédible, le manque flagrant de moyens, une intrigue pas très palpitante), Unknown World a cependant tout du petit film de genre sympathique. Ce n’est pas plus long que deux épisodes d’une série télé standard, c’est gratuit : pourquoi se priver de cette curiosité issue du fond des âges cinématographiques ?