Le monde est sur le point de s'achever. Qui peut le sauver ? Qui, si ce n'est Jerry Cornelius, le Champion éternel imaginé par Michael Moorcock… Film basé sur Le Programme final, premier volume du quartet cornélien, Les Décimales du futur de Robert Fuest est également la seule et unique adaptation de Moorcock sur grand écran.
The Final Programme [Les Décimales du futur], Robert Fuest (1973). 94 minutes, couleurs.
Tout le monde connaît James Bond, l’agence secret qui, au service de sa majesté, multiplie les aventures, les conquêtes féminines et les cadavres sur son chemin. À la fin des années 60, Michael Moorcock lui a donné une contrepartie psychédélique : Jerry Cornelius, avatar du Champion Éternel au XXe siècle. Quatre romans, publiés entre 1968 et 1977, racontent ses aventures, de plus en plus déstructurées. La première d’entre elles, Le Programme final, a bénéficié d’une adaptation cinématographie – la seule de toute l’œuvre considérable de Michael Moorcock (ce qui prouve, encore une fois, que la taille de la bibliographie est décorrélée du nombre des adaptations… mais, tout de même, certains auteurs tendent à être méchamment ignorés du cinéma).
« L'âme peut parvenir à cette libération sans quitter le corps qu'elle habite. L'éternel retour.
– Les Brahmanes nomment ces cycles temporels des Yugas, n'est-ce pas ?
– C'est vrai. Ils sont inégalement divisés mais recouvrent la totalité du temps depuis la création. Notre Âge a débuté le 18 février 3102 avant Jésus-Christ. […] Dans l'après-midi. Il s'appelle le Kali Yuga.
– Joli nom. Cela veut dire ?
– Ce que cela veut dire ? L'Âge des Ténèbres, monsieur Cornelius. Sur le point de s'achever. La fin du monde.
– Combien nous reste-t-il ?
– Un ou deux ans, au plus. Selon la vitesse à laquelle tout s'écroulera. »
De fait, le monde a déjà commencé à s’écrouler : on approche de l’an 2000, Trafalgar Square est une décharge automobile, le Vatican a disparu et qu’Amsterdam a été rasée. Pour ne rien améliorer, Cornelius père, lauréat du prix Nobel, vient de mourir. L’homme avait mis au point le « programme final », un dispositif assez nébuleux, qui permettrait la duplication d’êtres humains. Une escouade de scientifiques menés par le Dr Smiles apprécierait grandement de mettre la main sur le microfilm contenant les plans dudit dispositif et font appel à Jerry Cornélius, dandy et espion, amateur d’alcool, de drogues et de biscuits au chocolat. Pas de chance, les microfilms se trouvent au manoir Cornelius, présentement occupés par Catherine, la sœur de Jerry (avec qui celui-ci entretient une relation plus que fraternelle), et Frank, le frangin maléfique. Pour parvenir à ses fins, Cornelius et les scientifiques en blouses blanches imperméables noirs et chapeaux à larges bords font appel à l’implacable Miss Brunner, femme plutôt douée avec les ordinateurs… et pour consumer littéralement ses amant(e)s d’une nuit. Parviendront-ils à retrouver Frank ? Les scientifiques réussiront-ils à créer le messie grâce au programme final ?
The Final Programme , alias The Last Days of Man on Earth aux USA (à ne pas confondre, du coup, avec le film presque éponyme avec Vincent Price) alias Les Décimales du futur en France (mais pourquoi ce titre ?) est l’œuvre de Robert Fuest, réalisateur britannique à qui l’on doit une poignée de films, dont une adaptation des Hauts de Hurlevents, le diptyque du Dr Philbes avec Vincent Price, et une suite téléfilmique aux Femmes de Stepford. Dans le rôle de Jerry Cornelius, Jon Finch, acteur shakespearien, parvient à donner à l’espion anglais tout son dandysme et sa désinvolture. Les performances des autres acteurs sont correctes sans être mémorables (satisfecit pour Jenny Runacre dans le rôle de Miss Brunner et Patrick Magee (qui jouait l’écrivain F. Alexander dans Orange Mécanique) dans celui du Dr Baxter).
Pour le reste… Quand Baird Searles, critique cinéma pour le magazine F&SF qualifiait en 1975 Les Décimales du futur de « désastre quasi intégral » avec une « fin si débile que vous demanderiez à être remboursé même si vous attendiez pour le voir à la télévision », il exagérait un brin. Et peut-être avait-il omis de lire le roman, dont le film de Robert Fuest s’avère une adaptation assez fidèle (dans mes souvenirs, du moins ; il est vrai que ma lecture du Programme final commence à dater). Fuest, qui choisit de faire l’impasse sur tout l’aspect Champion Éternel. Les amateurs auront tout de même reconnu les liens transversaux : Catherine/Cymoril, Frank/Yyrkoon, Miss Brunner/Stormbringer.
Pour autant, Les Décimales du futur semble avoir le cul entre deux ou trois chaises : d’un côté, il manque d’une intrigue correctement structurée ; de l’autre, il n’est pas aussi psychédélique que le sujet l’autorisait. Certaines scènes laissent entrevoir un potentiel de non-sensitude, hélas peu exploité, et le film reste un truc un peu foutraque, pas dénué de bons moments et de bons mots.
« Et lui ?
– Qui, Dimitri ?
– Encore un scientifique ?
– Non, un Grec. »
Comme antithèse de James Bond, le film se pose là : quelques gadgets aussi marrants qu’inefficaces (le fameux pistolet à aiguilles de Cornelius ou les pièges what-the-fuck du manoir), des destinations lointaines sans glamour (la Laponie, un coin qui pourrait être l’Espagne ou l’Italie, enfin un coin quelque part dans le Sud et probablement pas en Angleterre – le réalisateur s’en fiche), des scènes d’action paresseuses, et une conclusion… eh bien, plutôt conforme au livre.
« Un monde à s'en lécher les babines… »
Les curseurs auraient pu (auraient dû) être poussés un peu plus loin, dans un sens ou dans l’autre, voilà tout. Une curiosité, sympathique mais qui échoue à être culte, plutôt à destination des amateurs de séries B que des fans hardcore de Michael Moorcock et du Champion Éternel.
Introuvable : en DVD
Irregardable : nope
Inoubliable : allez…