Il y a un peu plus de cinquante ans, un sous-marin jaune débarquait sur les écrans anglais et le monde ne fut plus jamais le même… Cinquante ans après sa sortie, on ré-embarque à bord du Yellow Submarine, dessin animé mettant en scène les Beatles dans une aventure joyeusement psychédélique — et par les temps qui courent, ça fait du bien.
Yellow Submarine, George Dunning (1968). Couleurs, 87 minutes.
In the town where I was born
Lived a man who sailed to sea
And he told us of his life
In the land of submarines
On a déjà vu des idées curieuses donner naissance à des films, comme… des jouets tels les Lego ou les Transformers (en attendant les films d’après Minecraft ou le Monopoly). Alors pourquoi pas une chanson ? Mais revenons au début : le Big Bang, la condensation des galaxies, la naissance des premières étoiles puis des planètes, l'apparition de la vie sur Terre et, quelque temps après, la formation des Beatles en l'an de grâce 1960. Formation qui rencontrera un certain succès et pas que d’estime.
En 1964, les Beatles sont à l’affiche du film A Hard Day’s Night (Quatre Garçons dans le vent de ce côté-ci de la Manche). En juillet 1965, le quatuor est à l’affiche d’un autre film, Help!. À l’automne 1965, les Beatles débarquent sous la forme d’un dessin animé intitulé, en toute logique, The Beatles – une première pour ce qui est de faire apparaître sous forme animée des personnages réels. La série est créée par un certain Al Brodax, un producteur américain, et fait intervenir un animateur canadien, George Dunning – gardez ces noms dans un coin de votre mémoire, ils vont revenir quelques lignes plus bas.
En 1966, les Beatles sortent leur septième album, le très maîtrisé Revolver, et décident d’arrêter les tournées pour se consacrer entièrement au travail en studio. Il en résultera, dans un premier temps, Sgt. Pepper’s Lonely Heart Club Band, en 1967, huitième album à l’influence monumentale et, plus de cinquante ans après sa sortie, toujours considéré comme un classique inoxydable – il y a de quoi, au vu des chansons enregistrées lors de ces sessions (y compris celles ne figurant pas sur l’album, comme « Strawberry Fields for Ever »). Beaucoup – énormément – de choses ont été dites sur ce disque, sorte d’album-concept se voulant une réponse au Pet Sounds des Beach Boys – lui-même une réponse à Revolver – et enregistré en même temps et dans les mêmes studios d’Abbey Road que The Piper at the Gates of Dawn de Pink Floyd – disque dont le titre provient du plus beau chapitre du tendre et superbe Vent dans les saules de Kenneth Grahame. 1967, c’est aussi l’année de la sortie d’une poignée d’autres premiers albums cultes : ceux des Doors, du Velvet Underground, de Leonard Cohen, de Jimi Hendrix et de David Bowie. Sacrée année. Mais…
… revenons à nos scarabés. Toujours en 1967, alors que la série animée touche à sa fin après près de quarante épisodes, Brodax contacte Brian Epstein, le manager des Beatles, pour envisager cette fois un long-métrage. Quant à John, Paul, George et Ringo, pas vraiment fans de ladite série animée, ils sont pour le moment plus intéressés par la mise au point de ce qui donnera Magical Mystery Tour, téléfilm diffusé sur la BBC à Noël 1967. Le projet d’Al Brodax se base donc sur la chanson « Yellow Submarine », issue de l’album Revolver ; l’histoire est mise au point par un certain Lee Minoff (qui, par la suite, ne semble pas avoir fait grand-chose de notable) avant de prendre la forme d’un véritable scénario. Et la réalisation est confiée à George Dunning.
Alors, ce sous-marin jaune ?
Amour, joie et amitié règnent à Pepperland, royaume coloré situé 80 000 lieues sous la mer. Pepperland, « a tickle of joy on the blue belly of the universe »…
Hélas, les Blues Meanies, sous l’impulsion de sir Bleunoir, décident de refiler le blues à ce pays merveilleux lors d’une guerre éclair – l’amour, la joie et l’amitié, c’est craignos. Ses troupes, composées de clowns à nez lanceurs de catastrophe, de géants armés de pommes et d’un affreux Gantelaid, vident le pays de ses couleurs et transforment ses charmants habitants en statues de pierre.
Missionné par le Vieux Fred, maire de Pepperland, le Jeune Fred doit embarquer à bord du Sous-Marin jaune – qui, dans un lointain passé, mena les ancêtres des actuels Pepperlandais dans ce pays mirifique –, et chercher de l’aide dans notre monde. C’est ainsi que le submersible volant arrive à Liverpool, où un Ringo Starr désœuvré se plaint qu’il ne lui arrive jamais rien. Le Jeune Fred tombe donc à pic et, bien vite, les quatre musiciens l’accompagnent en direction de Pepperland à bord du sous-marin (qui s’avère plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur : cela ne vous rappelle pas une certaine cabine de police anglaise ?). Le voyage ne sera pas de tout repos… Au cours de leur traversée de mers ignorées – la mer du temps, la mer des trous, la mer des monstres –, l’équipage du sous-marin rencontrera un certain Jeremy Hillary Boob, Phud (Ph.D.) et, une fois à Pepperland, mettra un terme à la domination des Blue Meanies de la plus pacifique des manières.
Cinquante ans après sa sortie sur les écrans anglais, ce Yellow Submarine tient-il encore la route ? – Enfin, je veux dire la mer. La réponse est un oui sans équivoques. Le dessin animé a tout de la pilule feel-good, joyeusement délirante et, par moment, gentiment inquiétant dans sa fantaisie – on pense à Tex Avery sous LSD. Si l’animation manque parfois un tout petit peu de fluidité, les visuels — sous haute inspiration de Milton Glaser – font merveille, et bon nombre de séquences sont des pépites : il va ainsi d’« Eleanor Rigby », chanson déjà sublime au demeurant et magnifiée par sa mise en image, lorsque le sous-marin débarque à Liverpool et déambule à travers un monde terne dont les habitants sont coincé dans la solitude et l’absurde (un certain Terry Gilliam saura certainement s’en souvenir).
Citons aussi la traversée des mers, où l’on en prend plein les mirettes avec quelques passages excessivement psychédéliques (« Lucy In The Sky With Diamonds », « Only A Northern Song »). Alors, certes, l’utilisation des chansons des Beatles a très souvent tout du prétexte : la mer du temps fait vieillir en accéléré les musiciens, hop, voilà « When I’m Sixty-Four ». En fait, les chansons s’enchaînent sans logique évidente – ou plutôt sans autre logique que celle d’une rêverie lysergique. Mais vu d’un autre côté, comment donner de la cohérence à des chansons n’ayant en commun que leurs compositeurs et interprètes ?
Le film est un festival de jeux de mots et de punchlines faisant la part belle à l’absurde. Intraduisible, forcément – même si la VF fait ce qu’elle peut. Le personnage de Jeremy, le Nowhere Man, est à ce titre-là une pièce de maître à lui-même, avec son phrasé riche en allitérations (« Arise, arise, arouse, a rose, a rosy nose… »). Certain jeux de mots sont à détente longue, tel le sbire de sire Bleunoir, Max, dont le nom se trouve justifié trois minutes avant la fin du film : « Let us mix, Max », ou encore le Gantelaid, « Glove » en anglais : retirez un G à Glove et vous obtenez Love. C’est beau.
Au vu du film, les quatre garçons dans le vent regrettèrent après coup leur peu d’implication : les personnages de John, Paul, George et Ringo sont doublés par d’autres acteurs. Les Beatles eux-mêmes n’interviennent que dans l’ultime scène, en prises de vue réelles. Dommage pour eux.
Quoi qu’il en soit, cinquante ans après sa prime diffusion, Yellow Submarine demeure un monument du psychédélisme, une petite pilule de bonheur. Et par ces temps-ci, ça fait du bien.
Bref. Chef d’œuvre !
Introuvable : non
Irregardable : non
Inoubliable : oui