Objectif Runes en plus (Bifrost 89)

Critiques |

Pour quelques critiques de plus… En complément aux recensions critiques du numéro 89 de Bifrost, consacré à Nancy Kress, voici quelques chroniques supplémentaires : au programme, deux tomes 2, une réédition bienvenue et un livre bardé de prix…

Magie ex libris T2 : Lecteurs nés

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Jim C. Hines – l’Atalante, coll. « La Dentelle du Cygne » – avril 2017 (roman inédit traduit de l’anglais [US] par L. Davoust. 336 pp. GdF. 21 €)

Au début de Lecteurs nés, suite directe de Bibliomancien , premier tome de la série, le personnage principal, Isaac Vainio, digère les changements radicaux intervenus dans son existence. Tout d’abord, sur le plan sentimental : il forme dorénavant, avec la nymphe Lena et le docteur Nidhi Shah, un trio en recherche d’équilibre. Mais aussi sur le plan professionnel : grâce à sa rencontre avec Gutenberg, le mystérieux créateur de l’organisation secrète Die Zwelf Portenaere, il a un nouveau métier. Fini l’archivage où on l’avait cantonné, le voilà chercheur, chargé de comprendre qui sont ces créatures menaçantes et terrifiantes tapies dans l’ombre des livres. Et, accessoirement, il se retrouve éducateur, puisqu’il est en charge d’une ado aux pouvoirs étonnants : elle est capable de produire des objets sortis non d’un ouvrage de papier, mais d’une tablette. Ah ! Monde moderne !

Mais pas de temps pour la réflexion. Un wendigo a été assassiné et les loups-garous réclament l’aide d’Isaac. Rapidement, il passe toutefois du statut d’enquêteur à celui de proie. Des insectes métalliques l’attaquent et s’en prennent aussi à l’arbre de Lena. Ce danger écarté, une course-poursuite va s’engager contre le commanditaire de cet acte, un tueur aux pouvoirs démesurés. Une fois de plus, Vainio va tenter de sauver le monde.

Voilà bien le principal défaut de ce roman, identique par sa structure à Bibliomancien : une intrigue un peu simple, étirée sur tout l’ouvrage, avec force explosions, force bagarres. Le héros se trouve en péril, découvre rapidement la source du mal et fonce dans le tas. Cela peut donner un sentiment de vacuité mais le récit est sauvé par des personnages attachants. Vainio et ses doutes sentimentaux est tout à fait crédible : ses interrogations sur sa capacité à vivre en partageant celle qu’il aime avec une autre femme sont tout sauf risibles. Lena, pivot de cet ouvrage, gagne d’ailleurs nettement en épaisseur : chaque chapitre s’ouvre par un épisode de sa vie, ce qui permet de la découvrir ainsi de façon convaincante. Ajoutons à cela la traditionnelle galerie des monstres et autres créatures surnaturelles, riche et haute en couleurs. On croise à nouveau des vampires, mais aussi des wendigos, des créatures métalliques et des mages venus d’Extrême-Orient. Bref, un melting-pot explosif à souhait.

Une autre richesse de Lecteurs nés est son inventivité en matière de magie tirée des livres. On continue à découvrir les coulisses de la société Die Zwelf Portenaere : une nouvelle partie du passé de Gutenberg surgit, peu flatteuse pour ce génie tyrannique. Et saute à la figure d’Isaac. D’ailleurs ce dernier, pour se sortir de situations plus périlleuses les unes que les autres ne peut plus se contenter de sortir des armes de ses ouvrages. Il lui faut faire preuve de davantage d’imagination. Et cette inventivité est réjouissante. Pas assez, peut-être, pour attendre en trépignant le prochain tome de la série. Suffisamment, sans doute, pour s’y intéresser à sa sortie.

Raphaël Gaudin

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Underground Railroad

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Colson Whitehead – Albin Michel – août 2017 (roman traduit de l’anglais [US] par Serge Chauvin. 416 pages. GdF. 22,90 €)

Comment ? Un livre qui rafle à la fois le prix Pulitzer 2017, le National Book Award 2016, et le prix Arthur C. Clarke 2017 ? Un roman de science-fiction qui gagne deux des plus prestigieux prix littéraires aux États-Unis ? Le genre serait donc enfin reconnu à sa juste valeur, et parfaitement intégré au paysage littéraire global ?

Le début du roman n'apporte guère d'éclaircissement : on est dans une plantation de coton, où Cora, une jeune esclave, tente d'oublier l'oppression permanente de ses patrons, et de survivre tant bien que mal malgré des conditions de vie déplorables. Seules quelques heures par semaine, le dimanche après-midi, lui sont permises pour s'occuper de ses affaires, mais bien vite la réalité la rattrape : elle, comme tant de personnes noires, doit se plier à un travail d'une pénibilité extrême, sans perspectives d'évolution. Toutefois, dans un coin de sa tête, il y a le souvenir de sa mère, la seule esclave à avoir réussi à s'échapper de la plantation, et qui doit en ce moment bénéficier d'une existence plus douce, quelque part dans le nord dont les vertus anti-abolitionnistes sont connues de tous…

Attendez… Où donc voyez-vous la science-fiction, voire l'imaginaire au sens large, dans ce résumé ? Et pourtant, il y en a, mais bien caché. Car il existe un mythe parmi les esclaves, un qui fait frissonner d'espoir les personnes de couleur, d'angoisse leurs propriétaires, et d'excitation les chasseurs de primes aux méthodes brutales et sadiques : le chemin de fer souterrain (underground railroad, en VO). Ce réseau a réellement existé, il s'agissait d'un ensemble de routes clandestines permettant la fuite des Noirs. Whitehead, lui, prend l'expression au pied de la lettre, et invente un vrai chemin de fer souterrain, avec ses gares dissimulées sous les maisons des passeurs, ses rails qui sillonnent tous les États-Unis, et ses chefs de gare qui risquent leur vie chaque jour. Voies ferrées que vont emprunter Cora et certains des siens, et qui l'emmèneront dans d'autres états. Difficile de dire si l'auteur emprunte réellement à l'imaginaire, ou si son chemin de fer souterrain n'est rien d'autre qu'une métaphore, une sorte de licence poétique sur ce chemin de fer à l'existence mythique. On penche plutôt pour la deuxième hypothèse, car cet underground railroad n'est finalement que très peu utilisé, et n'a donc guère d'impact sur l'histoire, si ce n'est pour accélérer certains déplacements de Cora. Ce qui permet à Whitehead de dresser un constat sans concession de la société américaine de l'époque. Dans d'autres états, jugés plus progressistes, l'esclavagisme prendra d'autres formes, plus pernicieuses, où, sous couvert de sensibilisation des personnes à la connaissance de la cause noire, on cantonnera ses représentants à leur statut dans un musée. Et, au final, malgré quelques utopies qui tenteront d'exister, irrémédiablement, reviendra le spectre de l'esclavagisme.

En fin de compte, Underground Railroad est un roman qui décortique les années noires de l'Amérique, un livre âpre et fort comme le sujet en a déjà suggéré. On comprend parfaitement à la lecture qu'il ait pu glaner le Pulitzer et le BNA, mais qu'il empoche le prix Arthur C. Clarke restera à tout jamais un mystère, tant l'imaginaire est secondaire dans ce livre. Whitehead avait bien davantage côtoyé le genre dans Zone 1.

Bruno Para

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Lazare en guerre T2 : La Légion

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Jamie Sawyer – L’Atalante, coll. « La dentelle du cygne » – août 2017 (roman inédit traduit de l’anglais [US] par Florence Bury. 464 pp. GdF. 23 euros)

Lazare is back ! Deux ans après son expédition dramatique à la recherche de l’Artefact en plein territoire krell, il a repris une vie normale : conflit après conflit, mission après mission, mort après mort. Et toujours l’alcool pour oublier son épouse Elena disparue dans le Maelström. Il est bien passé du grade de capitaine à celui de commandant, mais rien ne semble réellement le motiver. Une seule chose le retient à la vie : l’espoir. Ne serait-il pas possible de retrouver la trace de sa femme suite à ses découvertes sur Hélios III ? Quand il est choisi pour une mission sur un site bribe – une autre race extraterrestre, terriblement puissante, disparue depuis longtemps – perdu au fin fond du Maelström, il se jette à corps perdu dans cette dernière chance de rejoindre sa moitié. De reprendre goût à l’existence. Mais une fois de plus, rien ne sera simple et rien ne fonctionnera comme prévu.

Dans ce deuxième roman, pas de planète désertique, juste l’espace profond empli de menaces. Pas un moment, non plus, pour les doutes : les actions s’enchaînent sans temps mort. Combats, explosions, trahisons (car le Directoire reste en embuscade). Seules respirations : les retours en arrière ponctuant le récit. Dans L’artefact , l’auteur revenait sur la relation entre Elena et Conrad Harris. Dans La Légion, il nous conduit encore plus loin dans le passé  : jusqu’à la jeunesse du héros. Quand il était enfant, quasi abandonné à lui-même, dans un quartier délabré au possible. Seule personne réellement importante pour lui : sa sœur. Qui finira par l’abandonner à son tour. Ces épisodes, même s’ils sont cohérents avec le personnage, n’apportent pas grand-chose à la narration. Moins, en tout cas, que ceux du premier volume. Par contre, l’action se complexifie : les intervenants sont plus impliqués et on sent que l’auteur prépare l’explosion finale (le roman s’achève, d’ailleurs, sur une bonne surprise). Tous sont réunis dans un lieu en principe neutre, mais finalement centre des convoitises : humains de l’Alliance et du Directoire, Krells et, peut-être, Bribes. Tous les coups sont permis pour obtenir un avantage supplémentaire, une arme ultime. Et ainsi gagner ce conflit sans fin

En fait, dans La légion, Jamie Sawyer utilise les mêmes recettes que dans L’artefact, premier volume de la trilogie. Mais, peut-être est-ce dû à l’effet « deuxième tome », les défauts pardonnés la première fois sont plus visibles et finissent par agacer. Ce roman n’est en définitive qu’un très honnête récit militaire, classique dans sa forme et les thèmes brassés, comme il en existe tant sur le marché en ce moment. Cependant, par rapport à nombre d’entre eux, Lazare en guerre a un réel avantage : en principe, cette série ne dépassera pas le troisième volume (sans compter la novella parue en cette fin d’année, Rédemption et même si l’auteur a commencé, avec Pariah, une nouvelle trilogie reprenant le concept des SimOps). Aussi, on se laissera tenter. Avec une once de circonspection.

Raphaël Gaudin

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Le Roi des Chats

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Stephen Vincent Benét – L'Éveilleur Étrange – octobre 2017 (recueil traduit de l’anglais [US] par Pierre Javel. 143 pp. Gdf. 16 €)

« Moi » est une réponse à la question posée par Thierry Gillybœuf, le préfacier de ce recueil qui demandait qui connaissait, aujourd'hui, en France, le nom de cet écrivain…

D'une manière assez inexplicable, le nom de cet auteur dont je n'avais lu que deux textes voici de longues années —« Dans les Eaux de Babylone », inclus dans le volume Histoires de Fin du Monde de la Grande Anthologie de la SF et « Cauchemar pour le temps futur » paru en 1962 dans l'anthologie du physicien atomiste Léo Szilard, La Voix des Dauphins — m'était curieusement familier. Les lettres américaines comptent bon nombre d'auteurs d'une toute autre envergure que Benét sans pour autant que ce dernier fut négligeable. Lauréat à deux reprises du Prix Pulitzer pour sa poésie, il était en son temps – les années 20 et 30 – plus connu que T.S. Eliot selon la préface. Plus que toute autre littérature, la poésie reste rebelle à la traduction, exigeant un poète d'égal talent affin de ne point perdre toute sa saveur. Si fidèle qu'il soit au texte d'origine, la poésie traduite sera bien davantage l'œuvre du traducteur que le roman ou la nouvelle. Mais Benét, qui vint par deux fois en France, était aussi romancier et noveliste. Peut-être faut-il tenter d'expliquer son succès dans son pays d'origine et son anonymat ici par son inspiration largement puisée dans l'histoire américaine. Peut-être aussi sont-ce là les raisons qui poussèrent l'éditeur à opter pour les nouvelles fantastiques de Benét : un fantastique en demi-teinte, à l'ironie légère cultivant un art délicat de la satire.

Comme son nom l'indique, L'Éveilleur Étrange n'est nullement fermé à l'imaginaire. Il nous a déjà entre autre donné une réédition de Jumbee, recueil du révérend Henry S. Whitehead naguère paru chez Sombres Crapules en 1988 et les Histoires Incertaines de Henri de Régnier, qui ne sont pas sans évoquer Renato Pestriniero. Rien d'étrange, donc, à y voir aujourd'hui réédité Le Roi des Chats. Tour d’horizon du contenu de ce recueil…

La nouvelle-titre, qui relocalise un vieux conte anglais au sein de la bonne société newyorkaise, n'a rien de foncièrement original et c'est dans les détails satiriques qu'il faudra chercher une certaine saveur aigre-douce. « Le Roi des Chats » demeure le texte le plus connu de Benét sur cette rive de l'Atlantique. Outre l'édition originale de 1947 chez Julliard et celle-ci, il a été repris dans le numéro 31 de Fiction, une anthologie sur les chats dirigée par Xavier Legrand-Ferronnière chez Losfeld, puis dans la traduction d'une anthologie de Dashiell Hammett au Fleuve Noir.

Écrit en 1939, « La fuite en Égypte » révèle un écrivain en prise sur son époque, qui a vécu dans une Europe voyant s'annoncer ses plus sombres heures, et qui sera un ardent partisan de l'entrée en guerre des États-Unis. Il y pressent les événements à venir…

« Le Docteur Mellhorn et les portes de perles » nous présente un médecin préférant au paradis l'enfer où il peut continuer à exercer sa vocation quand bien même celle-ci viendrait à contrarier quelques peu la raison d'être de l'endroit.

« L'Homme du Destin » est une uchronie où l'homme providentiel entre sur la scène de l'histoire avant que la providence ne lui ait écrit un rôle à sa mesure. L'Histoire ne le réclamant pas, il se morfond. Benét s'enquiert du destin de nos grands hommes hors du contexte qui les a requis.

L'Histoire encore pour ce texte où l'on assiste au départ de la dernière légion romaine d'Angleterre. Nulle trace d'imaginaire dans ce texte qui ressemble à « La Fuite en Égypte » à ce détail près qu'un point de vue mobile se substitue au point fixe. « La Dernière Légion » prend aussi le contrepied du texte précédent en évoquant la marche inexorable de l'Histoire.

« L'Âge d'or », réédition de « Dans les eaux de Babylone », conclut le recueil. C’est là une nouvelle de SF teintée d’un l'optimisme propre à l'époque qui n'aurait pas déparé dans un sommaire d’Astounding.

Benét joue de l'imaginaire à fleuret moucheté, s'abstient de tout effet grandguignolesques. L’intérêt de ses nouvelles réside moins dans le côté narratif que dans leur dimension spéculative ; l’auteur sait faire éclore ses problématiques avec une belle économie de moyens que rehaussent de fins traits d’un humour pétillant. Le plaisir que l'on pourra trouver à lire Benét gît, tout comme le diable qui n'en est jamais bien loin, dans les détails…

Jean-Pierre Lion

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