K comme KTL V

L'Abécédaire |

L'amûûûr, tout ça tout ça, ça n'est guère le ton de l'Abécédaire, même et surtout en ce jour de Saint-Valentin. On s’est plongé une première fois dans les abîmes ténébreux de Lustmord avec Dark Matter. Poursuivons donc avec joie et entrain dans le dark ambient tendance cosmique avec le cinquième album studio de KTL, intitulé V

KTL V, KTL (Editions Mego, 2012). 5 morceaux, 71 minutes.

On s’est plongé une première fois dans les abîmes ténébreux de Lustmord avec Dark Matter. Poursuivons avec joie et entrain dans l’ambient tendance cosmique avec le cinquième album studio de KTL, intitulé V (ou bien KTL V ).

KTL, c’est le projet commun de Stephen O’Malley, surtout connu pour former la moitié de Sunn O))) (qu’on évoquait rapidement dans cette collaboration avec Scott Walker) et de Peter Rehberg, autrefois à la tête du label musical Mego ; le duo s’est constitué pour créer la musique d’une pièce de théâtre, Kindertotenlieder, de Gisèle Vienne et Dennis Cooper (merci discogs). Pièce créée d’ailleurs sur la scène du Quartz, à Brest, lors de l’édition 2007 du festival de danse Antipodes. Aux dires de ses membres, KTL mélange « extreme computer music and black metal »… Et les quatre premiers albums du duo s’inscrivent à fond dans cette veine : c’est sombre de chez sombre. Plus dépouillé que les compositions de Sunn O))), il s’agit là d’un drone ténébreux au possible, déployant ses climats anxiogènes sur des morceaux longs d’une dizaine de minutes ou plus. Percussions éparses, Larsens savamment triturées, guitares étiques, la bande-son parfaite pour (par exemple) des jeux de rôle lovecraftiens… On pourrait toutefois argumenter sur l’adjectif « extreme » accolé à « computer music » : ce n’est pas tout à fait les expérimentations avant-gardistes d’Aphex Twin ou d’Autechre que nous proposent là O’Malley et Rehlberg.

Et ce cinquième album ? Les deux compères allaient-ils gratter encore un peu de noirceur ? La pochette du disque laisse supposer l’inverse, avec ses bandes colorées en plein contraste avec les illustrations lugubres des précédents albums.

« Phill1 », qui introduit l’album, donne le ton et confirme l’impression donnée par la pochette : dès les premières secondes, voilà l’auditeur propulsé dans la stratosphère, l’épiderme frotté par les rayons solaires sans le filtre de la couche d’ozone – aérien et piquant. De fait, « atmosphérique » convient bien pour désigner les douze minutes de ce morceau. Suit « Study A », long de dix minutes (ce qui en fait le morceau le plus court du disque), à la fois planant et strident – pas réellement relaxant. Dix minutes que viennent perturber des accidents sonores – des astéroïdes pénétrant l’atmosphère ? À noter que la page Bandcamp du groupe propose l’écoute de KTL V GRM, un maxi édité à quelques centaines d’exemplaires dont les deux faces présent les « Study » B, C, D et E. Ces quatre morceaux, sur une base sonore formée par « Study A », poursuivent en plus sombre et plus discordant le travail entrepris sur le morceau originel. On tient là des pièces plus expérimentales que celles ayant abouti sur l’album. Pas forcément indispensable, si ce n’est pour les complétistes. Un peu plus tard, troisième morceau de l’album, « Tony » offre quatorze minutes d’un ambient quasi anesthésiant. Sous un drone lancinant s’agitent lentement des percussions ouatées et majestueuses, formant une ébauche de mélodie… Une ambiance mystique s’en dégage.

Arrive enfin « Phill2 », sûrement la pièce maîtresse du disque. Au duo Rehberg/O’Malley vient s’ajouter Jóhann Jóhannsson, devenu depuis Prisoners le compositeur fétiche de Denis Villeneuve. Ce sont ici quinze minutes d’un ambient spatial, porté par les cordes amples et inquiètes du Philharmonique de Prague, qui transportent l’auditeur vers un ailleurs, et le résultat est tout bonnement magnifique. Si les trois premiers morceaux nous faisaient planer assez haut au-dessus de la surface terrestre, « Phill2 » nous emmène tout droit dans la couronne solaire.

Dans les premières lignes de ce billet, on évoquait Gisèle Vienne. Manière de boucler thématiquement un cheminement entamé quelques années plus tôt, KTL V se termine par un morceau dénué de liens avec les quatre précédents : « Last Spring: A Prequel » a été créé pour la chorégraphe et metteuse en scène et son installation éponyme à la Passerelle – autre lieu de perdition brestois en matière d’art contemporain. De fait, l’installation propose un ventriloque interprétant un dialogue schizophrénique avec sa marionnette. Et… musicalement, je ne sais trop que penser de cette pièce. Longue de vingt minutes, riche en craquements, grincements et autres grondements divers, on y entend une voix énoncer (en français), d’une voix fragile et angoissée, un texte d’un certain Denis Cooper. Drôle de contrepoint – aussi flippé que flippant – aux quatre précédents morceaux, pas forcément le plus convaincant en guise de conclusion du disque.

Pour votre serviteur, cet album s’avère (avec un bémol pour le morceau final) l’œuvre la plus abordable du duo O’Malley/Rehlberg. Plus aérien, moins ténébreux que les précédents albums, porté par l’excellentissime « Phill2 », KTL V représente une manière de conclusion radieuse à la discographie de KTL, moins actif depuis quelques années.

Introuvable : non
Inécoutable : non
Inoubliable : oui

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