À mille parsecs de la polémique sur la pertinence des choix effectués par le jury du Nobel de littérature, l'Abécédaire tend une oreille attentive sur la production musicale de feu Leonard Nimoy — l'interprète du plus fameux des Vulcains fut chanteur aussi — et s'injecte dans les oreilles son premier album, Mr Spock's Music from Outer Space, vingt-minutes d'un plaisir gentiment régressif.
Leonard Nimoy presents: Mr Spock’s Music From Outer Space, Leonard Nimoy (Dot Records, 1967). 11 morceaux, 25 minutes.
Il n’aura pas échappé à grand-monde en cette année 2016 que la saga Star Trek fêtait ses cinquante ans en septembre. Histoire de fêter cela, un treizième film est sorti : l’inégal Star Trek sans limites de Justin Li, et une nouvelle série télévisée a été annoncée sur CBS : Star Trek: Discovery, dirigée par Bryan Fuller. Pour notre part, contentons-nous dans cet Abécédaire d’effectuer un saut dans le temps de quelques quarante-neuf années, pour écouter Leonard Nimoy presents: Mr Spock’s Music From Outer Space.
Dans cette fin d’années 60, le merchandising Star Trek devait battre son plein – mais, bon, le reprocher serait assez malvenu, compte tenu du fait que la situation est exactement la même actuellement. À cette différence que les acteurs commettent un peu moins de disques de nos jours.
Qu’ajouter de plus ? Le titre du disque en révèle le contenu. Il s’agit de morceaux originaux, de reprises ou de variations, avec pour point commun la thématique des étoiles ; et de fait, Leonard Nimoy presents: Mr Spock’s Music From Outer Space débute, forcément, par une reprise du thème de la série Star Trek composé par Alexander Courage. Sympathique, swinguant, avec ses sonorités électroniques surannées : voilà qui donne le ton. Avec « Alien », Leonard Nimoy prendre la parole et nous raconte l’histoire d’un extraterrestre. Notre Mr Spock préféré pousse ensuite la chansonnette sur « Where Is Love? », (une reprise du musical Oliver!) et, mine de rien, la voix grave et suave de Nimoy fait merveille.
Mais comment ne pas résister à « Music to watch space girls by » ? Enjoué, un brin nostalgique, ce morceau instrumental est incontestablement l’un des sommets de l’album, avec ses « ooooh » suaves et ses synthés Moogs acides, qui transporte l’auditeur de cette deuxième décennie dans une époque où on s’imaginait sûrement encore qu’on irait sur Mars d’ici l’an 2000. Un shoot de plaisir régressif (devenu également le générique de certaine récente émission radiophonique.
Formant contrepoint au précédent morceau, « Beyond Antares » est un autre instrumental au tempérament mélancolique. « Twinkle Twinkle Earth » est un autre texte parlé, où Mr Spock s’amuse (autant qu’un Vulcain puisse s’amuser) sur le renversement des perspectives. En l’occurrence, l’interversion entre étoile et terre, pour un texte gentiment naïf :
« Have you considered the possibility that on a star, the star-people wish upon an earth? »
La face B débute par une nouvelle reprise : le thème de Mission: Impossible. Sympa mais anecdotique. Plus intéressant est « Lost in the stars », où Nimoy chante du Kurt Weill. « Where No Man Has Gone Before » est une nouvelle variation sur le thème de Star Trek, plus douce que la première. Des quelques chansons chantées par Leonard Nimoy, « You Are Not Alone » est certainement la plus réussie, où l’acteur fait montre d’une voix de velours et pleine de nuances.
« Have you ever wondered when you gazed up in the sky,
watching stars like diamonds shining there on high,
that somehow in that great unknown
you may find you are not alone. »
Le disque se conclut par « A Visit to a Sad Planet » : c’est là une entrée du journal de bord d’un officier en mission dans un coin un peu paumé de la Voie lactée, officier qui se rend sur une planète en ruines ; il y découvre un survivant qui lui raconte que ce monde, autrefois beau, a péri à cause de la folie de ses habitants… Une conclusion en forme de cri d’alarme, et qui détonne passablement au sein de ce disque à l’humeur plutôt légère.
Disque fort bref (même pas 25 minutes au compteur), Leonard Nimoy presents: Mr Spock’s Music From Outer Space s'écoute en entier par ici et vaut certainement mieux que The Transformed Man, paru l’année suivante et commis par William Shatner. Là où le disque de Nimoy est globalement léger et sympathique, celui de Shatner est volontiers pompeux et d’une écoute assez chiante : le capitaine Kirk s’y prend de déclamer du Shakespeare entre deux reprises de chansons folk. On oubliera.
Dans son album suivant, Nimoy tente déjà de se défaire de l’image de Spock qui lui est (et restera) irréductiblement attachée : The Two Sides of Leonard Nimoy (1967). La pochette et le titre ne mentent pas : une face A sous influence Star Trek, une face B plus rock et country. C’est d’ailleurs sur ce disque que l’on trouve l’ironique « Highly Illogical » et l’inénarrable « Ballad of Bilbo Baggins ». Les trois albums qui suivent (The Way I feel (1968), The Touch of Leonard Nimoy (1969) et The New World of Leonard Nimoy (1969 aussi)) délaissent entièrement l’imagerie trekkie. Cette poignée d’albums sortis à la fin des années 60 constitue la seule incursion musicale de Nimoy, incursion sans grande postérité : selon Discogs, seul Leonard Nimoy presents: Mr Spock’s Music From Outer Space a bénéficié d’une (unique) réédition en CD, au milieu des années 90. Le même site liste les autres œuvres de Nimoy, qui consistent essentiellement en lectures à voix haute de textes de science-fiction (forcément), comme ceux de Wells, Bradbury ou Heinlein.
À noter qu’il existe un autre disque, titré également Music from Outer Space. Sorti en 1962, cet album est dû à Franck Comstock. L’écoute en est sympathique, et à défaut de retenir l’attention par rapport au disque de Nimoy (parce que Nimoy, quoi !), constitue un agréable fond sonore. (Signalons, à toutes fins inutiles, qu’il existe un Music from Outer Space plus récent (1999), de l’Allemand Bernd Kistenmacher. N’ayant pu écouter le disque en question, je me contente d’indiquer son existence.)
Écouter maintenant Leonard Nimoy presents: Mr Spock’s Music From Outer Space, c’est s’offrir une douce piqûre de nostalgie. Pourquoi pas ?
Introuvable : oui
Inécoutable : non
Inoubliable : oui