Au fil de ses deux cents et quelques épisodes, la série-culte de Chris Carter a connu différents moments de gloire, au sein d’une production d’une relative bonne qualité – du moins dans les premières saisons. À l’occasion de la diffusion de la toute nouvelle saison des X-Files, ce billet se propose de passer en revue quelques-uns des meilleurs épisodes de la série. Un choix forcément très subjectif, qui fait la part belle aux épisodes « monster of the week » et à l’aspect méta.
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S01E01 – Nous ne sommes pas seuls (Pilot)
« It was incredible. »
Mars 1992. La jeune Dana Scully, fraîche émoulue de la formation FBI, est chargée par ses supérieurs de travailler en tandem avex Fox « Spooky » Mulder dans le département des X-Files. Le but officieux de la manœuvre n’est autre que d’enquêter sur l’agent, brillant analyste féru de théories sur les extraterrestres. Pour leur première enquête, Mulder et Scully se rendent à Bellefleur, Oregon, où une série de morts suspectes frappent certains jeunes. Sur place, les deux agents vivent quelques événements étranges, inexplicables par la science. Ils doivent également faire face à l’hostilité des locaux, ainsi qu’à la tendance agaçante des preuves à disparaître.
Qualifier cet épisode pilote d’excellent est sûrement un brin exagéré : le trait y est souvent sans grande finesse, avec Scully et Mulder arqueboutés sur leurs convictions, des personnages secondaires sans grande profondeur, trop d’heureuses coïncidences et de coins d’ombre pas élucidé. Et pourtant… Il contient à peu près tout ce qui fera le sel de la suite, avec son ambiance sombre et paranoïaque, l’ombre du début du commencement de la tension amoureuse entre nos deux héros, et en particulier concernant l’arc narratif complotiste : l’Homme à la cigarette nous fait grâce de sa mutique présence, le complot se dessine, on se questionne sur l’éventualité d’une présence extraterrestre sur Terre… L’ensemble finit par emporter l’adhésion, et c’est là un début plus que prometteur.
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S01E03 – Compression (Squeeze)
« That vent is 6 inches by about 18. Even if a Reticulan could crawl through, it’s screwed in place. »
Tout commence lorsqu’un émule de Donald Trump est assassiné, façon meurtre en chambre close, et son foie arraché. Voilà qui est fâcheux ; ce qui l’est davantage, c’est qu’il s’agit du troisième meurtre de la sorte. L’agent Tom Colton demande de l’aide à Scully, et Mulder d’y mettre son grain de sel. Après tout, ce dernier est censément spécialiste des tueurs en série, et l’affaire présente semble bien être un tel cas. En effectuant des recherches, Mulder découvre que de semblables crimes ont été commis par le passé, à trente ans d’intervalles à chaque fois…
Après deux épisodes « complot », voici le premier épisode « monster of the week » des X-Files. Compression se distingue par une atmosphère poisseuse à souhait, ainsi qu’un vilain particulièrement répugnant… qui n’a néanmoins rien de manichéen. Un monstre que l’on reverra un peu plus tard au cours de la saison, dans l’épisode Tooms. Au cours des saisons ultérieures, X-Files nous présentera toute une belle brochette de monstres en tous genres, mais l’inaugural Tooms reste l’un des plus adorablement dégueulasse. Cette réflexion sur la monstruosité montre également nos deux héros en porte-à-faux avec leurs collègues et la hiérarchie, ce qui deviendra une constante ; ici, Scully se retrouve bien vite confrontée à un choix : favoriser sa carrière ou rester loyale au département où on l’a reléguée.
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S02E16-17 – La Colonie, 1re et 2e parties (Colony/Endgame)
« What happened to "trust no one", Mulder. – I changed it to "trust everyone". I didn’t tell you? »
Tout commence avec un Fox Mulder en état d’hypothermie, convoyé aux urgences. Lorsque Scully débarque en catastrophe, c’est pour annoncer qu’il ne faut surtout pas tenter de le réchauffer : cela le tuerait. Pourquoi ? L’intrigue a débuté deux semaines plus tôt, quand les deux agents enquêtent sur la mort suspecte de trois individus absolument identiques. Des clones ? S’il y en a d’autres, il faut les protéger. D’autant qu’un individu polymorphe et quasi-invulnérable les traque. Et voilà que ressurgit Samantha, la sœur de Mulder, disparue vingt-deux ans auparavant.
Parmi les épisodes « complots », ceux des premières saisons comptent sans le moindre doute au rang des meilleurs. Les Hybrides dans la saison 1, le diptyque Duane Barry dans la saison 2, le triptyque à cheval entre les saisons 2 et 3 (Anasazi/Le Chemin de la bénédiction/ Opération Presse-Papiers)… Par la suite, la qualité baissera, avec des doubles épisodes « complots » systématiquement bancals : une bonne première partie, une deuxième moitié ratée. Joliment structuré, avec un excellent cliffhanger à la fin de la première partie, La Colonie mêle avec un bonheur rare les éléments-clefs de l’arc narratif complotiste (la présence d’extraterrestres, la sœur de Mulder), et introduit le terrifiant chasseur de prime.
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S03E04 – Voyance par procuration (Clyde Bruckman’s Final Repose)
« So alright. How do I die ? – You don’t. »
Dans une petite ville du Minnesota, un tueur en série semble s’attaquer aux voyants, cartomanciens et autres diseurs de bonne aventure. Mulder et Scully sont dépêchés sur les lieux, pour se voir aussitôt mis à l’écart, la faute au Stupéfiant Yappi, un médium pour le moins allumé. Mais Mulder, d’autant plus sceptique qu’il voudrait croire, rencontre un vieil homme qui semble réellement capable de voir l’avenir : Clyde Bruckman, vendeur d’assurances-vie, individu tourmenté par son don et son incapacité à enrayer l’inévitable.
Se distinguant par son ton étonnament sombre (mais loin d’être dénué d’humour pour autant), cet épisode se focalise moins sur l’enquête proprement dite que sur le portrait de Clyde Bruckman – interprété par un Peter Boyle qui remportera un Emmy Award pour sa touchante prestation. Grincheux, acariâtre, hanté par un sentiment d’inexorable fatalité, son personnage complexe crève l’écran. L’épisode aborde avec intelligence différentes thématiques : le libre arbitre et la mort, et se montre impeccable de bout en bout, jusqu’à son émouvant final. Ce n’est pas pour rien que, depuis sa sortie en octobre 1995, Voyance par procuration compte au nombre des épisodes favoris.
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S03E20 – Le Seigneur du magma (Jose Chung’s From Outer Space)
« I know how crazy this is gonna sound, but… »
Voilà Dana Scully interviewée, dans le réduit bordélique qui constitue son bureau et celui de Mulder, par Jose Chung, auteur de polars que son éditeur a chargé d’écrire un livre sur les phénomènes inexpliqués. Scully évoque ainsi une affaire en particulier : deux jeunes gens, qui affirment avoir été enlevés par des extraterrestres. Si Mulder est convaincu qu’il y a anguille sous roche, Scully demeure sceptique. Mais les témoignages varient, et si tout mène à la conclusion d’un canular, la vérité reste ailleurs…
Comment déconstruire les X-Files ? En un épisode, Darin Morgan (déjà scénariste de l’excellent Voyance par procuration) montre la méthode, en basant son scénario sur des narrateurs non-fiables et la retranscription de mêmes événements selon différents points de vue. L’épisode mélange avec bonheur théories du complot, aliens, « hommes en noir »… Le Seigneur du magma forme une véritable rupture stylistique avec tous les précédents épisodes : un indispensable contrepied, à l’aspect méta des plus réjouissants, sans lequel les X-Files auraient risqué de trop se prendre au sérieux. (À noter que Jose Chung fera une seconde apparition dans « Jose Chung’s Doomsday Defense », neuvième épisode de la saison 2 de Millennium, une autre de séries pilotées par Chris Carter.)
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S0402 – La Meute (Home)
« They raise and breed their own stock, if you get my meaning… »
Un bébé difforme est trouvé, enterré, dans un champ de Home, charmante et tranquille petite bourgade de Pennsylvanie. Une maison se dresse non loin, habité par trois frères reclus, restés coincés à l’époque de la Guerre de Sécession. Scully suppose que les frangins retiennent la mère prisonnière, et l’exploration de la baraque, en l’absence de ses propriétaires, donne une moisson d’indices suffisamment accablantes pour arrêter la fratrie. Mais Mulder et Scully ne sont pas au bout de leurs surprises…
Retour à l’épouvante pure avec La Meute. Certes, on pourra lui trouver des airs de ressemblance avec des films comme Massacre à la tronçonneuse ou La colline a des yeux, mais ces histoires de dégénérés sont toujours dotées d’un efficace potentiel horrifique. Sous cet aspect-là, cet épisode est une réussite : la campagne pennsylvanienne ensoleillée contraste durement avec l’intérieur sordide de la maison, dont l’exploration par Mulder et Scully procure moult frissons. Le modèle de la famille nucléaire américaine se voit perverti dans cet épisode, probablement le plus sombre, glauque, dérangeant de tous les X-Files…
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S0512 – Le shériff a les dents longues (Bad Blood)
« Why would a vampire need fake fangs? »
Un jeune homme court dans les bois en appelant au secours, poursuivi par une silhouette sombre. Quand cette dernière le rattrape, c’est pour lui planter un pieu dans le cœur. L’apprenti Van Helsing en question s’avère n’être autre que Mulder, pourchassant un vampire… doté de crocs en plastique. Une splendide bévue, non ? En attendant de présenter leur rapport à l’AD Skinner, Mulder et Scully décident d’accorder leurs violons et passent en revue leurs versions respectives des événements.
Comme dans Le Seigneur du magma, Le shériff a les dents longues (un titre au demeurant trop révélateur) repose sur le principe du narrateur non-fiable – à cette différence que ce sont nos deux enquêteurs les narrateurs en question. L’épisode présente d’abord la version des faits de Scully, puis celle de Mulder : l’occasion réjouissante de voir la perception que l’un a de l’autre. Les X-Files s’étaient déjà attaqué au mythe du vampire, au travers de deux épisodes : 3 dans la saison 2 et 2Shy dans la saison 3, pour des résultats rien moins que convaincants – on y reviendra dans le prochain billet consacré aux mauvais épisodes de la série. Ici, c’est l’inverse, avec une réflexion sur la nature du vampire au vu des innombrables folklores relatifs à cette créature.
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S06E21 – Spores (Field Trip)
« What if we’re being digested, right now? »
On retrouve les ossements parfaitement nettoyés d’un couple dans un champ. Ce qui motive l’intervention de Mulder et Scully, ce sont les données temporelles : le couple n’était porté disparu que depuis trois jours. Pour Mulder, aucun doute : des ovnis sont en cause ; Scully penche plutôt pour le meurtre rituel. Tandis qu’elle étudie les os, Mulder part sur le terrain. Dans une grotte, quelle n’est pas sa surprise de retrouver l’un des deux membres du couple, qui affirme que sa compagne a été enlevée par des aliens. Tout semble conforter la thèse de l’agent ; même Scully est prête à y croire. Mais pourquoi ces ossements… La vérité serait-elle ici ?
À nouveau, on regrettera le titre français, trop révélateur. De fait, trop en dire au sujet de Field Trip gâcherait le plaisir procuré par la vision de cet épisode surprenant. Ce qui débute comme une nouvelle pièce à apporter au complot, qui donne subitement raison à toutes les thèses ufologiques de Mulder, vire peu à peu au cauchemar, avec un premier et douloureux twist scénaristique à mi-épisode. Philip K. Dick n’est pas loin. Certains placent le « monstre de la semaine » au rang des plus ridicules jamais rencontrés par notre duo d’agents ; pour notre part, on estime au contraire qu’il s’agit d’un excellent épisode d’une saison 6 qui alterne le très bon avec le très moyen.
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S09E07 – Amnésie (John Doe)
« You don’t know me. – You don’t know you. »
Lorsque l’agent Dogget reprend conscience dans ce hangar, il ne sait plus qui il est ni ce qu’il fait là. Seule certitude : il est quelque part au Mexique. Dépourvu de la moindre pièce d’identité, il atterrit rapidement en prison, et se retrouve contraint de travailler pour Domingo, sous-fifre de l’un des cartels de drogue. Dans le même temps, les agents Scully et Reyes s’inquiètent de la disparition de leur collègue, mais se heurtent à leur hiérarchie.
Second épisode des X-Files réalisé par une femme : Michelle MacLaren, qui s’est illustrée par la suite en tant que productrice exécutive de Breaking Bad. Le premier, on y reviendra dans un prochain billet. Les épisodes des saisons 8 et 9 se distinguent peu par leurs qualités, mais, au milieu de ce marasme de relative médiocrité, surnagent quelques bonnes surprises, tel ce Amnésie. Une réalisation nerveuse, une ambiance réussie, avec ses couleurs saturées, ses décors usés – ça n’est pas exactement une carte postale du Mexique, décrit ici comme un pays corrompu, en proie aux cartels. L’accent se porte ici sur l’agent Doggett, que l’on découvre plus mal en point que jamais. Suscitant un attachement peu coutumier, il parvient même à faire oublier la quasi-absence de Scully.
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S10E03 – Rencontre d'un drôle de type (Mulder and Scully meet the Were-Monster)
« Since we've been away, much of the unexplained has been explained. »
Après une éclipse de quatorze ans (huit, si l’on compte le film X-Files : Regénération), voici donc nos deux agents spéciaux favoris réinstaurés dans leurs anciennes fonctions. Alors que, avec un brin d’amertume, Mulder constate qu’une bonne part des mystères ont trouvé des explications logiques, voilà qu’un monstre, un vrai, aurait été aperçu en Oregon. La créature, en admettant sa réalité, aurait tout de même égorgé trois personnes. Sur place, Mulder et Scully se lancent à sa chasse, et découvrent que le monstre n’est pas exactement celui qu’ils croyaient…
Troisième épisode de la toute récente dixième saison, Mulder and Scully meet the Were-Monster signe le retour de Darin Morgan, déjà responsable des excellents Voyance par procuration et Le Seigneur du magma (mais nous nous répétons). Pas de faux suspense : c’est là un très bon épisode, après un début de saison poussif et une suite décevante. Malgré son titre, il ne s’agit pas d’une histoire de loup-garou (on verra dans le prochain billet de cette série que X-Files reste à la peine quand il s’agit de mettre en scène les monstres classiques). Enfin, pas vraiment. S’il n’y a pas de loup dans cette histoire, un garou y figure bien. Plein d’humour, Mulder and Scully… voit D. Morgan s’amuser avec le principe des narrateurs (potentiellement) non-fiables, auquel s’ajoutent bon nombre de références x-filiennes qui raviront les fans. La réflexion sur le monstre qui sommeille en chacun de nous, thème certes un brin galvaudé, prend ici une nouvelle dimension, des plus réjouissantes. Aussi drôle que satirique, un très bon moment.
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