Journal d'un homme des bois, 8 décembre 2015

Journal d'un homme des bois |

Où Francis Valéry revient sur ses deux expériences de financement participatif — la première concernant Zacharius, adaptation en poème symphonique de la nouvelle éponyme de Jules Verne, la deuxième, en cours, visant à financer la création d'une bande-son pour son roman en cours, Les Mondes de l'essaim — et nous fait part de ses réflexions à leur encontre.

Les Mondes de l’Essaim : au jour d’aujourd’hui…

Tout d’abord un grand merci aux personnes ayant apporté leur soutien à mon deuxième kickstarter. Ce projet, à la fois littéraire et musical, et s’inscrivant dans l’univers plus vaste des Mondes de l’Essaim, est à ce jour financé. J’en suis bien sûr très heureux. Et cette satisfaction concerne également la manière avec laquelle à été lancé puis géré ce kickstarter. Avec cette nouvelle expérience, il me semble avoir trouvé une formule qui fonctionne plutôt bien et relève d’une véritable éthique quant aux rapports entre un créateur et les personnes auxquelles il s’adresse.

http://media.biblys.fr/book/13/54013-w225.jpgSuggéré par mon ami, l’écrivain Vincent Gessler, mon précédent et premier kickstarter avait été lancé de manière très impulsive, au feeling pourrait-on dire, sans vraiment réfléchir à la faisabilité de la chose. À l’époque, je m’étais dit : voilà, ce projet va te coûter pas mal d’argent en simples frais techniques (achat d’un peu de matériel pour mettre à niveau mes possibilités d’enregistrement, fabrication des livres et coffrets de CDs, frais d’envoi aux souscripteurs…) et il faut également que tu prennes en compte ta survie au quotidien pendant la durée des travaux ! Et de fait, j’ai quasiment travaillé à temps plein sur la composition, l’enregistrement, le mixage… de Zacharius pendant trois mois (au lieu des deux que j’envisageais). Ce fut passionnant mais littéralement épuisant — et pendant ce laps de temps, il a bien fallu faire face aux dépenses de la vie courante. C’est pour cela que j’avais lancé le projet Zacharius en demandant pour son financement deux mille euros. C’est à la fois très peu — cela implique de rogner sur tous les aspects du budget et d’accepter de vivre à la spartiate pendant tout ce temps — et beaucoup : pour qui te prends-tu, Francis Valéry, pour avoir le culot de demander à des gens que tu ne connais pas (et dont la plupart ne te connaissent pas) de te donner de l’argent pour « faire l’artiste » plutôt qu’aller bosser, comme tout le monde ? Oui… Il faut quand même une bonne dose d’arrogance pour, déjà, estimer avoir quelque chose à dire… et ensuite penser que ce quelque chose est assez intéressant en soi pour que des gens paient ! Si je m’étais arrêté à ce raisonnement — qui m’a traversé l’esprit, c’est certain — alors je n’aurais rien fait. À ma décharge, j’ai aussi un petit peu pensé que mes états de service, si l’on peut dire, entre ma bibliographie à rallonges dans le monde de l’édition et mes quarante-sept années d’expérience dans le monde de la musique (j’ai commencé très jeune…), plaidaient en faveur d’une certaine légitimité à lancer un tel projet. Mais bon, il y a certainement des tas de gens qui pensent le contraire et qui ont du se dire « pour qui se prend-il, celui-là !? ».

Enfin, c’est la vie.

Une fois Zacharius mis en route, je me suis très vite aperçu qu’il est fort compliqué de convaincre les gens de vous donner de l’argent — ce dont je me doutais bien un peu, tout de même ! Si les deux mille euros ont été réunis, c’est tout d’abord parce que mon ami Jean-Jacques Girardot a fait un sacré forcing dans son entourage professionnel, musical, familial… en particulier auprès de personnes que j’avais pu rencontrer, par son intermédiaire, au cours des dix ou douze dernières années, quand j’allais travailler une fois de l’an à l’École des Mines, ou qui m’avaient vu sur scène, à Saint-Éienne ou à Lyon. Ensuite, il y a eu la mobilisation de plusieurs personnes dans le monde de la science-fiction, pour m’aider à monter un fichier « ciblé SF » d’adresses mail, aussi vaste que possible. Et au final, j’ai passé énormément de temps à « exploiter » ce fichier, au risque de frôler parfois le harcèlement — c’est cet aspect de la campagne de levée de fonds que j’ai le moins aimé.

Il y a un autre aspect de la chose que j’ai découvert, au fur et à mesure de l’avancement du financement, et qui m’a profondément déstabilisé. Le principe de Kickstarter, c’est « tout ou rien ». Vous avez demandé 2000 euros et au terme de la campagne vous en avez engrangé 1999… et bien vous n’avez rien ! Tout est annulé. Il faut impérativement atteindre la somme demandée pour bénéficier d’un financement. A mesure que le financement progressait, je devenais de plus en plus angoissé. La caisse se remplissait avec une extrême lenteur. Parfois, tout s’arrêtait pendant trois ou quatre jours. Quand on a atteint deux cents euros au terme d’une campagne qui en visait deux mille, on se dit que c’est comme ça et que ce n’est pas grave. Quand on arrive à 1400, 1500, 1600… on se dit que si on n’arrive pas au terme, alors on va « perdre » ces 1600 euros, simplement parce qu’on a été trop gourmand au départ. Ah, si on avait su ne demander que 1600, 1500, 1400… on les aurait eus ! En réalité, on ne « perd » rien, puisque tant que l’objectif n’est pas atteint, cet argent est purement virtuel. Ce n’est pas une vraie perte. Mais c’est ressenti comme tel — et tout cas, moi, je le ressentais comme ça et de plus en plus violemment à mesure que l’on approchait du terme et que… « ça n’y était pas encore ». Le but atteint, et même dépassé, après le soulagement il y a une forme de honte de se rendre compte qu’on s’est laissé piéger dans un rapport un peu malsain à l’argent. Je n’avais jamais ressenti ce genre de choses. Je n’ai jamais couru après l’argent. Toute ma vie ou peu s’en faut, j’ai vécu très en-dessous du seuil de pauvreté (selon les calculs statistiques officiels !) mais dans un bonheur souvent très présent. L’argent n’est qu’un moyen pour faire des choses — et si l’argent n’est pas là, on peut faire les choses quand même : c’est juste plus compliqué, plus long… mais on apprend vite à se débrouiller avec peu. Donc me retrouver à lorgner la courbe du financement de mon kickstarter, plusieurs fois par jours, avec l’espoir de constater qu’un nouveau souscripteur a rajouté quelques dizaines d’euros depuis la dernière visite… pas bien ! En plus, c’est un peu réduire les personnes qui vous apportent leur aide et leur soutien, à des portemonnaies… encore moins bien !

Après la finalisation de Zacharius et l’envoi des livres et coffrets de CD à tous les souscripteurs, j’ai donc entamé une longue réflexion sur ce que, compte tenu de cette expérience (par ailleurs formidable !), j’avais désormais envie de faire — et surtout sur ce que je me refusais à faire.

Le lancement d’un kickstarter consacré au Monde de l’Essaim s’est donc fait de manière très différente. J’ai estimé que j’avais besoin, de manière impérative, de cinq cents euros, pour acquérir le matériel que je ne pouvais bricoler/recycler, pour financer la fabrication d’une brochure et d’un CD (papier, toner, CD vierges, coffrets), pour couvrir les frais d’expédition (enveloppes matelassées, timbres).

J’ai donc demandé cinq cents euros. Et rien de plus. Du moins de manière formelle.

Une fois la description du projet mise en ligne sur le site de kickstarter, j’ai envoyé l’information uniquement aux personnes qui avaient participé au financement du précédent — puis, une quinzaine de jours plus tard, à la dizaine de personnes qui avaient soutenu le premier kickstarter de manière directe (ces personnes ne voulant pas passer par internet, pour des raisons qui leur sont propres). Et j’ai commencé sans tarder à mener une réflexion sur ce que pouvait être une musique extra-terrestre, en commençant par tenter de discerner, dans l’histoire et l’évolution de la musique en occident, ce qui relevait du « naturel » et du « culturel ». Avec l’idée qu’une musique alien s’appuierait sans doute sur les mêmes constats naturels mais serait conceptualisée selon des modèles culturels autres (certains pouvant toutefois être identiques). Depuis deux semaines, je publie régulièrement des petits articles sur ces recherches, à la fois comme « Actus » de mon kickstarter et comme billets dans mon blog, le Journal d’un Homme des Bois, sur le site www.belial.fr.

Résumons. Une bonne cinquantaine de personnes ont soutenu mon premier kickstarter et ont donc reçu le fruit de mon travail. Je les ai informées que je lançais un autre projet. Les personnes qui n’ont pas apprécié mon travail sur Zacharius n’auront sans doute aucune envie de financer Le Monde de l’Essaim — et c’est bien normal. À l’inverse, les personnes ayant aimé Zacharius auront peut-être envie de participer au financement d’un nouveau projet, comparable au précédent puisque relevant également de la littérature et de la musique, dans une esthétique que l’on pourrait qualifier de « science-fictive ».

Les choses ne sont pas plus compliquées que cela.

La philosophie qui s’exprime par cette attitude est simple. D’une part, un artiste ne vaut que par ce qu’il offre de la pratique de son art ; s’il se monter exigeant dans cette pratique, transparent dans les conditions dans lesquelles se développe son travail et d’une vraie honnêteté intellectuelle, alors il saura « convaincre » un auditoire ou un lectorat, et donc construire peu à peu un réseau de personnes appréciant son travail et souhaitant le voir continuer de s’exprimer. D’autre part, si des personnes apprécient la démarche dans laquelle s’inscrit cet artiste, ainsi qu’in fine le fruit de son travail, alors ces personnes peuvent contribuer de manière très concrète à la vie et au travail de cet artiste, selon leurs moyens.

Je vois là l’expression d’une éthique qui me semble tenir la route de manière plutôt solide. C’est simple et rigoureux. Et je crois que cela peut s’avérer tout simplement efficace. Quelque part, c’est une forme de mécénat adaptée à une société qui se développe autour de l’internet et des nouveaux possibles qu’il autorise — voire qu’il induit ou suggère. Pour quelqu’un comme moi — soixante ans dans quelques jours — qui a grandi et a construit sa vie dans un environnement culturel profondément différent, c’est aussi et surtout une manière de montrer, par l’exemple, qu’un artiste du monde d’avant peut continuer de vivre et de créer dans le monde d’aujourd’hui, à la condition de maintenir le cap de manière ferme, de refuser tout renoncement à ses valeurs aussi bien esthétiques, que morales ou éthiques. Je trouve que le financement participatif est un outil puissant pour parvenir à ce but.

Comme précisé ci-avant, j’ai donc demandé cinq cents euros pour rendre mon projet faisable sur le plan matériel — tout en précisant que si je recevais davantage, eh bien cela aiderait à me rendre davantage disponible, et ce de manière très concrète. Ne soyons pas hypocrite : ne parvenant à vivre d’air et d’eau fraiche que durant un laps de temps relativement limité, j’espère recevoir davantage que ces cinq cents euros !

Dans ce contexte, il n’est pas inutile de préciser que j’accepte par ailleurs et bien volontiers les colis de ravitaillement ! Conserves de légumes, chocolat, fromages, légumes secs, chocolat, pâtes (de préférence spaghettis complètes), riz (de préférence basmati demi-complet), chocolat, fruits séchés, café, thé, chocolat, petits biscuits, boulgour, confitures (toutes !), etc., sans oublier du chocolat (je crois que je l’ai déjà mentionné, non ?). Inutile de m’envoyer des pommes de terre et des topinambours, j’en ai encore un stock. Ça a été une sacrée bonne année au jardin pour les patates et les topines ! Chic planète tout de même !

Bon, on peut aussi rigoler…

Les Mondes de l’Essaim, c’est là.

À vous lire !

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