Après nous avoir entretenu du monocorde dans son précédent billet, Francis Valéry poursuit ses expérimentations avec cet instrument. L'occasion de revenir sur les notions d'octave et de quinte, de « power chords » et de gammes…
Après nous avoir entretenu du monocorde dans son précédent billet, Francis Valéry poursuit ses expérimentations avec cet instrument. L'occasion de revenir sur les notions d'octave et de quinte, de « power chords » et de gammes…
Poursuivons nos petites expérimentations avec notre monocorde. Après avoir « coupé » la corde à la moitié de sa longueur et mis en évidence la notion d’octave, nous allons cette fois opter pour un léger contact du doigt sur la corde, au tiers de sa longueur. Et faire ensuite sonner la corde sur sa partie la plus longue (les 2/3). Surprise : nous obtenons un son qui s’avère très bien défini, net et précis, et d’une puissance sonore importante. Une rapide recherche sur le clavier de notre piano nous permet d’identifier ce son comme étant la note sol – je rappelle que la tension de la corde est réglée pour produire un do (la note « fondamentale ») lorsqu’elle vibre de toute sa longueur. Cette note sol porte le nom de « quinte ». Jetez un œil sur le clavier du piano, et comptez les touches blanches (en ignorant pour l’instant les touches noires) : le sol est la cinquième à partir du do. D’où son nom : quinte.
Du point de vue de la plupart des guitaristes de hard-rock, la quinte est ce qui peut arriver de mieux à une fondamentale ! Depuis les origines, le hard rock est une musique profondément identifiée à l’utilisation par les guitaristes de ce que l’on appelle les « power chords » : expression que l’on pourrait traduire par « accords de puissance », ce qui dit bien ce que cela veut dire. Outre ses chanteurs maigrichons en pantalons pattes-d’éléphants et moule-couilles, à tignasse ébouriffée et hurlant comme des gorets un après-midi d’abattoir, le hard rock se caractérise par le son saturé (de nos jours on dit plutôt overdrivé) des guitares produisant des riffs plus ou moins mortels intégrant des successions d’accords dont la simplicité n’a d’égal que la redoutable efficacité. Tels ceux de « Sunshine of Your Love » (Cream), « Smoke on the Water » (Deep Purple), « Whole Lotta Love » (Led Zepellin) ou encore « Paranoïd » de Black Sabbath, pour en citer quelques-uns qui ont nourri notre enfance avant de s’attaquer à nos cils vibratiles, et depuis passés dans l’inconscient collectif ! Mais attention : avec une guitare branchée sur une pédale d’overdrive (avant, on disait plutôt pédale de distorsion), plaquer un accord sur les six cordes à la fois produit une sorte de bouillie des plus confuses, pleine de résonnances indésirables, inesthétique au possible, et donc tout à fait contre-productive. Par contre jouer la note fondamentale de l’accord sur une corde en même temps que sa quinte sur la corde suivante (dans le sens ascendant) produit un effet proche de celui des fameuses trompettes qui, si l’on se réfère à la Bible, ont fait s’effondrer les murailles de Jéricho – pour autant, cela va sans dire, que la guitare soit équipée de micros à double bobinage (les fameux humbeckers de chez Gibson) et qu’elle soit branchée sur un ampli à tubes d’une petite centaine de watts, au hasard un Marshall trois corps. Si l’on ajoute à nos deux notes l’octave de la fondamentale, jouée sur la corde suivante, on obtient ce que l’on appelle un « power chord » : fondamentale / quinte / octave. Cet accord a la particularité de n’être ni majeur ni mineur, puisque dépourvu de tierce, et de sonner dans à peu près tous les cas de figure. Au registre des dommages collatéraux, le power chord a pendant des années largement participé à l’apparition de fissures dans les murs des salles omnisports et salles des fêtes communales où l’on organisait des concerts de hard-rock – c’est pourquoi de tels événement musicaux (si l’on peut dire) sont désormais le plus souvent organisés en plein air, ce qui ne va pas sans créer d’ailleurs de nouveaux problèmes tels des vagues de suicide collectif dans les élevages de volailles, et ce dans un rayon de plusieurs kilomètres (mais certains prétendent qu’il s’agit là d’un mythe urbain, enfin… rural).
Cet exemple, parmi d’autres, montre le pouvoir redoutable de la quinte dans le cadre de l’harmonisation d’une mélodie. Après l’octave, que nous avions qualifiée, dans notre précédent article, de « première harmonique de la fondamentale », la quinte prend rang de « deuxième harmonique de la fondamentale ».
Mais revenons à notre monocorde. Si la partie vibrante la plus longue (2/3 de la corde) produit un sol, soit la quinte du dos, il en découle que la partie la plus courte (1/3) produira également un sol, mais à l’octave supérieure. Comme précisé dans le précédent article, diminuer de moitié la longueur vibrante consiste à produire une fréquence d’une valeur double.
Les effets psychoacoustiques de la quinte semblant particulièrement puissants, forte est la tentation, en complément des notes dont nous disposons désormais suite à nos premières manipulations (fondamentale/quinte/octave de la fondamentale/octave de la quinte) de nous demander ce qu’il pourrait advenir si l’on s’intéressait à « la quinte de la quinte », puis à « la quinte de la quinte de la quinte », etc. Le jeu est d’autant plus facile que le rapport de quinte est un rapport très simple : 3/2 (soit 1,5) pour déterminer la quinte ascendante de notre note de départ, et à l’inverse 2/3 pour déterminer la note dont notre note de départ est la quinte, soit ce que l’on appellera la quinte descendante.
Il est temps d’ouvrir une parenthèse d’importance. Au fil des articles, on va voir que les gammes que l’on va être amené à construire sont faites de notes qui, si elles portent les mêmes noms (do, ré, mi, fa, etc.), ne sont que rarement les mêmes – elles vont en effet souvent se définir par des fréquences différentes selon les gammes, parfois de peu, parfois de manière très sensible. Afin de comparer ces diverses gammes, en particulier en ce qui concerne leurs effets psychoacoustiques, il s’avère nécessaire de disposer d’une note dont la fréquence serait immuable, d’une gamme à l’autre. Un point central de référence, en quelque sorte. Une telle note existe, du moins en occident. C’est ce que l’on appelle le « la du diapason » qui vibre très précisément à 440 Hz. C’est une convention internationale, recommandée lors d’une conférence internationale qui s’est tenue en 1939 et finalement acceptée en 1955 par l’Organisation Internationale de Normalisation (à l’origine des normes ISO). Avant cela, le la avait une valeur très fluctuante, en fonction des époques, des pays, du type de musique jouée, etc. On trouve des instruments de l’époque baroque (clavecins ou instruments à vent par exemple) accordés avec un la à peine supérieur 400 hz et, à l’inverse, on en trouve accordés sur un la à plus de 480 hz. En réalité, d’un strict point de musical l’existence d’un diapason fixe et qui serait le même pour tout le monde ne sert absolument à rien : on peut jouer plus haut, plus bas… pratiquer des accordages en fonction des sensations que l’on en retire. L’intérêt est essentiellement commercial : une norme mondiale dans l’accordage permet aux fabricants de vendre leurs instruments dans le monde entier. Fin de la parenthèse.
Continuons de repérer les quintes successives – et précédentes – sur le clavier de notre piano, en comptant jusqu’à cinq. Dans le sens ascendant, la quinte du do est le sol, la quinte du sol est le ré, la quinte du ré est le la, etc. avec à chaque fois, un rapport de fréquence ascendant de 3/2 – et avec un rapport descendant de 2/3 : la est la quinte du ré, ré est la quinte du sol, sol est la quinte du do, etc.
Si l’on part du la (440), on détermine ainsi en mode ascendant un mi (660) et un si (990). En mode descendant, on détermine un ré (2/3x440), un sol (4/9x440) et un do (8/27x440). En faisant appel à la notion d’octave (division par deux ou par quatre de la fréquence pour obtenir l’octave inférieure, ou l’octave deux fois inférieure), on arrive aisément à construire une gamme circonscrite à une octave, avec des valeurs de fréquence propres – nous indiquons le nom de chaque note, sa fréquence, et la fraction à appliquer à la fréquence du la de référence (440) pour obtenir ces résultats.
Fondamentale : Do : 130.37 hz – coefficient 8/27
Seconde : Ré : 146,67 hz – coefficient 1/3
Tierce : Mi : 165 hz – coefficient 3/8
Quarte : Fa : 173,83 hz – coefficient 32/81
Quinte : Sol : 195,55 hz – coefficient 4/9
Sixte : La : 220 hz – coefficient ½
Septième : Si : 247,5 – coefficient 9/16
Octave : Do : 260, 74 – coefficient 16/27
Cette gamme est tout simplement la gamme dite de « do majeur ». Elle ne comporte aucune altération (les fameux dièses et bémols) et ne fait donc appel qu’aux touches blanches du piano. C’est également ce que l’on appelle une gamme diatonique, utilisée dans les musiques populaires qui se jouent avec des instruments souvent assez simples dans leur fabrication et qui ne savent pas produire des notes altérées (comme la chifonie, le dulcimer, l’accordéon diatonique, les harmonicas diatoniques, la plupart des flûtes, etc.).
Voilà…
Maintenant, si vous pensez que tout cela est un peu simplet et bien trop beau pour ne pas cacher de piège, alors, vous avez raison. J’entends déjà un petit malin me dire : vous avez tournicoté autour du la parce que cela vous arrangeait, car si l’on part du la et que l’on note les quintes ascendantes, après le mi et le si on arrive à une note qui, le clavier du piano faisant foi, est un fa dièse : une des touches noires du piano ! Et là, tout se complique ! Fini le bel agencement des notes de la gamme majeure considérée comme une gamme dans laquelle chaque note est la quinte d’une autre… et patati et patata.
D’abord, je ferai remarquer que, comme le disait mon instituteur quand nous refusions de ranger nos pots de peinture, « il faut savoir arrêter une activité ». Donc après le si, on s’arrête (pour l’instant du moins). Ensuite, certes, ça se complique… mais juste un peu ! Et c’est de cette complication que va d’ailleurs naître notre fameuse gamme occidentale avec ses douze demi-tons (ces histoires de dièses et de bémols). Et pire : à la terrible notion de « tempérament », responsable du fait que depuis Bach ou peu s’en faut (il faut bien un coupable), tout le monde joue faux et entend faux ! (après cela, il ne faut pas s’étonner que la plupart des gens ne voient pas en quoi le mp3 est tout pourri). Nous verrons cela dans notre prochaine intervention. Avec cette interrogation : est-ce que les extra-terrestres jouent faux, eux aussi ?