C comme Cool World

L'Abécédaire |

Où l'on visionne sans déplaisir Cool World, film mésestimé de Ralph Bakshi qui mêle prises de vue réelles et animation et s'impose comme la face sombre de Roger Rabbit

Cool World, Ralph Bakshi (1992). 107 minutes.

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1945, le soldat Frank Harris (Brad Pitt) revient de la guerre. Trop impatient d’étrenner sa nouvelle moto, il part en virée avec sa mère. Mais une voiture conduite par un chauffard heurte leur moto, tuant la mère du soldat. Quant à Frank, encore sous le choc, il se retrouve soudain aspiré dans le Cool World : le monde des doodles – des toons, si l’on préfère. Le jeune homme va y devenir flic, et va faire respecter la règle primordiale de cet univers : en aucun cas les doodles ne doivent avoir des relations sexuelles avec des humains — eh bien, parce que ça ferait des trucs dangereux sinon.

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En 1992, Jack Deebs, dessinateur de comics emprisonné pour avoir tué l’amant de sa femme, se retrouve soudain aspiré dans Cool World par l'une de ses créations, la pulpeuse Holli Would. Deebs déchante vite : lui qui pensait avoir inventé Cool World, il découvre que cet univers de toons existe indépendamment de lui-même. Holli Would, elle ne rêve que d'une chose : devenir une femme de chair et d'os pour aller à Las Vegas et surtout pouvoir véritablement s'envoyer en l'air. Mais les choses ne sont pas de tout repos pour le dessinateur, qui oscille entre le monde réel et Cool World. Et Holli Would est du genre tenace… Ses manigances risquent de causer le désastre.

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Cool World est le dernier film en date réalisé par Ralph Bakshi, cinéaste spécialisé dans les dessins animés et qui avait déjà commis plus tôt la première adaptation du Seigneur des anneaux (1978), ainsi qu'un long-métrage d’après Fritz le chat (1972) de Robert Crumb — premier dessin animé à être classé X aux USA. Mais Fritz le Chat a été désavoué par Crumb, et l’ambitieux Seigneur des anneaux, qui adapte la première moitié du roman de Tolkien, a été assez mal accueilli par la critique, compromettant la mise en chantier d’une suite. Tous les films de Bakshi n’ont pas reçu un accueil aussi tiède : Flipper City (1973) et Les Sorciers de la guerre (1978) ont pour leur part récolté des critiques positives. Quoi qu’il en soit, Bakshi, après Cool World, n’a plus fait grand-chose par la suite (on y reviendra), préférant se concentrer sur la peinture.

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Adonc, Cool World a lui aussi reçu un accueil très mitigé lors de sa sortie : les critiques ont pointé d’un doigt méchant le scénario, confus, et l’animation, parfois approximative, ainsi que le jeu de Kim Basinger (qui a récolté, pour ce que cette anti-récompense a de signifiant, un Razzie). De fait, sur l’agrégateur de critiques Rotten Tomatoes, Cool World récolte un triste 4% : une tomate vraiment pourrie.

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Bon nombre de défauts sont sûrement imputables à la production tumultueuse du film : à l’origine, Bakshi souhaitait réaliser un film d’horreur en animation, racontant l’histoire d’un toon et d’un dessinateur qui couchent ensemble, ont un enfant qui va se rendre dans le monde réel pour tuer son père qui l’a abandonné. Mais le scénario a été profondément remanié par le producteur, sans que Bakshi n’en sache grand-chose. D’où l’histoire, par endroits bancale ou obscure : une longue intro sur Frank Harris, guère plus qu’un personnage secondaire ; une présentation inexistante de Jack Deebs, le véritable protagoniste (joué par un Gabriel Byrne pas très motivé). Quant à Kim Basinger, dont le rôle était prévu au départ pour Drew Barrymore, sa prestation est effectivement calamiteuse : son double doodle est bien plus expressif que l’actrice de chair et de sang. Les règles du monde demeurent floues : rien n’explique vraiment les passages de Deebs entre notre univers et le Cool World. Et la réflexion sur le pouvoir de la création, l'indépendance des créations vis-à-vis de leurs auteurs demeure malheureusement minime…

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Pourtant, le film vaut mieux que ses défauts.

De fait, Cool World ressemble à une version trash de Qui veut la peau de Roger Rabbit. Du moins, la face sombre de Toon City, ses véritables bas-fonds où ni Roger ni Jessica n’aimeraient traîner leurs guêtres. Les décors, dantesques et effrayants, évoquent les peintures cauchemardesques de Druillet. Quant à l’univers toon, il s’avère des plus malsain : les personnages — Holli Would en tête — ont beau être hypersexués, leur vie sexuelle semble proche du néant, et ils ne pensent qu'au cul. Ou à se taper dessus, tout le temps. Comme dans les Looney Tunes et dessins animés du même acabit, mais ici de manière systématique, ininterrompue, donnant un côté inquiétant à l’ensemble. Car le monde des toons, intrinsèquement, est déjà peu rassurant, avec sa physique aléatoire et déformable, ses règles arbitraires, ses personnages aussi cruels et violents qu’incapables de mourir, sans oublier la sexualité inexistante. Il y a bien un envers à cette réalité cartoonesque, qu’explore le film de Bakshi de manière réussie.

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Plus étonnant aussi, c'est la volonté d'assumer l'aspect artificiel du monde des doodles. A la différence de Roger Rabbit, le monde des doodles est rendu par des décors réels, non de la pure animation. Les décors sont parfois en matte painting, mais il s’agit parfois d’éléments en 2D, en trompe-l’œil, autour desquels la caméra se déplace librement. De plus, l'image est traversée régulièrement et sans raison de dessins à moitié finis : si cette ville doodle représente les bas-fonds du monde de Roger Rabbit, rien d’anormal à ce que s’y trouvent des crayonnés. Enfin, sans oublier la musique, aux sonorités synthétiques venant tout droit des eighties, avec ses rythmes martelés, mécaniques qui ajoutent à l’ambiance folle et frénétique du film (l’album du film comporte notamment des titres méconnus de David Bowie ou Brian Eno) et achèvent de transformer Cool World en une descente aux enfers absurde. À ce titre, l’arrivée de Deebs dans le Cool World est représentative : le dessinateur tombe en plein milieu d’un bar, peuplé de loups se trémoussant en chœur face à une Holli Would se déhanchant de manière suggestive.

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Une ambiance unique, donc, qui sauve le film du naufrage complet.

Depuis 1992, les activités cinématographiques et télévisuelles de Ralph Bakshi se sont restreintes. Quelques téléfilms (Cool and the Crazy, 1994, avec un jeune Jared Leto), une série animée pour HBO vite annulée (Spicy City, 1997). En février 2013, Bakshi a lancé une campagne de financement participatif pour un nouveau projet : The Last Days of Coney Island. Le crowdfunding ayant réussi, on attend de voir…

Introuvable : non
Irregardable : oui
Inoubliable : oui

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