Où il est question de l'inoubliable John Waters, au travers de son film-culte Pink Flamingos et de sa version pour les enfants, Kiddie Flamingos…
Où il est question de l'inoubliable John Waters, au travers de son film-culte Pink Flamingos et de sa version pour les enfants, Kiddie Flamingos…
Comment faire une œuvre provocante et subversive ? En mélangeant dans un même film plusieurs perversions. Pour le réalisateur américain John Waters, c’est Pink Flamingos.
Comment faire une œuvre provocante et subversive quarante ans après la première ? En faisant la même chose (presque) avec des enfants. Pour John Waters, c’est Kiddie Flamingos.
À ma connaissance, Kiddie Flamingos n’existe pas vraiment en tant que film : il s’est davantage agi d’une performance, filmée et projetée dans le cadre d’une exposition monographique de Waters, titrée Beverly Hills John. Avant de se pencher sur le peu qui en est visible, revenons sur l’œuvre originelle : Pink Flamingos. Sorti en 1972, ce film est le troisième long-métrage de Waters, après Mondo Trasho (1969) et Multiple Maniacs (1970) et celui qui lui a apporté une renommée trouble.
Du côté de l’histoire, ça commence bien… Divine a été décerné(e) du titre de la personne la plus ignominieuse qui soit. Son le pseudonyme de Babs Johnson, il/elle (son sexe est indéterminé/indéterminable) vit cachée dans les bois, dans une caravane (devant laquelle trône un flamand rose en plastique, d’où le titre), avec sa copine Cotton, sa mère — une obèse, qui passe ses journées dans un parc à enfants à réclamer des œufs — et son fils, Crackers, jeune homme éprouvant un intérêt douteux pour les poulets. Mais la réputation de Divine a fini par arriver aux oreilles de Connie et Raymond Marble, qui décident d'usurper ce titre d'être le plus dégoûtant au monde. Et ce couple n’est effectivement pas en reste : Connie et Raymond séquestrent des autostoppeuses dans leur cave, qu'ils violent et inséminent afin de revendre les bébés, l'argent leur servant à financer un réseau de vente de drogue en lycée, et Raymond se livre à de l'exhibitionnisme. Mais Divine ne va pas se laisser faire…
Pink Flamingos , c'est le défilé des perversions : fétichismes divers et variés, léchouillage de trucs que le commun des mortels n'aurait juste pas forcément envie ou idée de léchouiller, viols, zoophilie, inceste, et un peu de coprophagie (en public) pour conclure… Cette scène, d’ailleurs devenue culte, n’a rien de simulé.
L'aspect trash de Pink Flamingos est volontaire, assumé et revendiqué, au point d’avoir servi d’argument pour la promotion du film : la bande-annonce consiste en la réaction d’individus lambda après une projection.
Qu'importe alors si le jeu des acteurs est parfois défaillant, en particulier celui d’Edith Masey, alias « egg-lady », dont la composition se situe au-delà du bien et du mal, car il y a Divine, travesti flamboyant qui traverse le film de manière impériale, et qui n'aurait pas déparé dans le Rocky Horror Picture Show (film dont on peut voir Pink Flamingos comme le précurseur trash). Qu’importe aussi que le film accumule les longueurs entre deux séquences vomitives, que certains plans soient d'un amateurisme à faire pleurer — en fait, la grammaire filmique de ce film est elle-même contaminée par la transgression. Les défauts ne sont que peu d’importance face à cette succession de moments-choc et de répliques à l’indéniable potentiel culte :
« You know who I am, bitch! I'm the filthiest person alive, that's who I am! » (Divine)
« I haven't fallen in love for three whole days! » (Divine)
« Oh my God Almighty! Someone has sent me a bowel movement! » (Divine)
Connie Marble: « Oh I love you Raymond. I love you more than anything in this whole world! I love you even more than my own filthiness! More than my hair color! More than the sound of bones breaking! The sounds of death rattles! Even more than my own SHIT do I love you, Raymond! » (Connie Marble)
Début 2015, John Waters a donc proposé une réinterprétation de Pink Flamingos. Avec des enfants, pour les enfants. D’où le titre de Kiddie Flamingos.
Rassemblés autour d’une table, une huitaine de gamins, grimés comme les personnages du film, répètent les répliques avec un enthousiasme touchant. Pour l’occasion, Waters a réécrit le script pour l’adapter à l’âge de ses lecteurs. En soi, le nouveau script n’a rien de subversif : il est tout ce qu’il y a de plus innocent. En revanche, la subversion se situe dans le décalage entre l’ancien et le nouveau script, dans la connaissance qu’ont les enfants du texte qu’ils prononcent et celle qu’en ont leurs auditeurs — qui, pour la plupart j’imagine, ont vu le film originel. Un joli exercice en détournement de têtes blondes… Et de quoi redonner envie (mais si) de revoir Pink Flamingos. Et les autres films de John Waters, tant qu’à faire (on reviendra très vite d’ailleurs sur Polyester).
La trajectoire cinématographique de ce réalisateur s’avère intéressante : partant de l’underground et du trash (Pink Flamingos fait partie des plus fameux « midnight movies » des années 70), Waters s’est peu à peu dirigé vers un cinéma destiné à un public plus large, notamment avec Hairspray (l’original, on est d’accord, pas le remake avec John Travolta). Et après un hiatus d’une dizaine d’années, ce Kiddie Flamingos représente la suite logique de cette évolution — sans perdre de vue la subversion originale.
Pour regarder un extrait de Kiddie Flamingos, c'est par ici.
Introuvable : Pink Flamingos nullement, Kiddie Flamingos oui
Irregardable : Pink Flamingos, oui ; Kiddie Flamingos, nullement
Inoubliable : Pink Flamingos, oui ; Kiddie Flamingos, il faudrait d’abord le voir