G comme GiG

L'Abécédaire |

Où l'on se met la tête à l'envers en s'intéressant aux romans tête-bêche, en particulier la double novella GiG de James Lovegrove.

GiG (GiG), James Lovegrove. Traduit de l'anglais (UK) par Mélanie Fazi. Griffe d'encre, 2009. 364 pp.

Au rang des curiosités du monde des livres, il existe les livres tête-bêche, ces ouvrages pouvant aussi bien être ouverts d’un côté que d’un autre. Outre-Atlantique, l’éditeur Ace Books a ainsi proposé dans les années 60 une collection SF, « Ace Double », où l’on verra John Brunner adossé à A.E. Van Vogt, Poul Anderson à Silverberg, Ursula K. Le Guin à Thomas M. Disch…

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En France, la collection Folio « Junior » de Gallimard a, un temps, proposé des romans augmentés d’un cahier comportant jeux, quizz et extraits, lisible en retournant le livre : « Et si c'est par la fin que tout commençait ? » disait le slogan sur la quatrième de couverture. Chez Calmann-Lévy, la réédition d’Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir a proposé les deux romans de Lewis Carroll mis ainsi en regard (et illustrés par Mervyn Peake, qui n’était pas le moins talentueux des auteurs). Parfois, l'usage du format tête-bêche répond à un concept, comme Ô Révolutions de Mark Z. Danielewski, texte sur lequel on reviendra prochainement.

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Un livre que l’on tourne et que l’on retourne, à la manière des disques vinyles. De fait, on peut voir dans ces livres « bifaces » une analogie avec le monde de la musique. Face A, un roman, face B, un autre roman. L’édition française de GiG, roman du Britannique James Lovegrove, cette poussé la logique musicale à son terme. Plus qu’un roman, il s’agit en réalité de deux novellas complémentaires, GiG : Kim et GiG : Mik.

vol0-g-vo.jpgParu outre-Manche en 2004, en 2009 en France chez Griffe d’encre, GiG se présente comme donc un ouvrage tête-bêche. Les deux premières de couverture (l’une et l’autre hélas assez ternes) possèdent chacune un élément visuel qui appelle l’autre récit. Quant au dos, les mentions y figurent en double, lisibles dans l’un ou l’autre sens. Ce format représente un petit plus, absent de l’édition anglaise. Mais ladite version anglaise est reparue au format Kindle en 2011, dans une version enrichie (dira-t-on : remasterisée ?).

vol0-g-versionkindle.jpgMais entre Kim et Mik, par où commencer GiG ? Chaque novella commence par une préface des éditrices, enjoignant de débuter le livre de leur côté. On peut tout aussi bien choisir de mettre ses mains à contribution et de lire alternativement un chapitre de chaque novella— un moyen plus pratique pour repérer les points de passage entre les deux histoires.

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L’histoire de Mik, c’est celle du leader du groupe God Dog qui revient à Rotor City avec son groupe pour le dernier concert de leur tournée mondiale. Rotor City, ville industrielle sur le déclin, peuplée de fans des Beatles qui passent leur temps à se battre. L’histoire de Kim, c’est celle d’une jeune fan désœuvrée, prête à tout pour obtenir un pass all access pour le concert de God Dog. Fan parfaite, Kim est aussi la parfaite sosie de Mik. Et elle est prête à tout pour obtenir ce fichu pass. Les deux, forcément, vont se rencontrer lors du concert de God Dog…

La fin de GiG se situe donc au milieu du livre, avec deux crayonnés représentant Kim et Mik — ou bien Mik et Kim, allez savoir —, et les informations au sujet de l’auteur, de la traductrice et de l’illustratrice. À noter que les infos du côté de Kim sont (volontairement) plus réduites que du côté de Mik. Sûrement parce qu’un fan en sait moins sur la vie d’une star que la star elle-même ?

La structure symétrique se répercute dans le texte lui-même : les deux novellas se font régulièrement écho, au travers des événements narrés : dans Kim, un coup de feu lors d’une bagarre de rue devient dans Mik une insulte lâchée au terme d’une rencontre pleine de tension. Les palindromes se font parfois dans la structure du livre : une balade dans la brume au second chapitre de Mik trouve son pendant dans une nuée de fumigène lors de l’avant-dernier chapitre. Par ailleurs, GiG regorge de palindromes et d’anacycliques. Certes, ces jeux de mots sont plutôt accessoires in fine, mais renforcent la symétrie des deux novellas. Saluons cependant le travail impeccable de Mélanie Fazi pour avoir su rendre en français toutes ces figures de style – cela n’a pas dû être une mince affaire.

Passée l’impeccable structure narrative, GiG s'avère d'une lecture plaisante, à défaut d'inoubliable. En tous cas, cette double novella a davantage d'intérêt que le précédent roman de Lovegrove, Royaume-Désuni, post-apo mollasson. Il est certes ardu d’écrire sur la musique et les musiciens : si la musique s’adapte bien au cinéma (le nombre de biopics sur des musiciens le montre), les résultats sont moins heureux en littérature. Pour le coup, James Lovegrove s’en sort très honorablement, avec un texte non dénué de tendresse (saupoudrée d'ironie par endroits) pour la musique, les musiciens et le milieu musical. L’on peut ranger GiG sur la même étagère que Fugues de Lewis Shiner et Armageddon Rag de George R.R. Martin, où il ne fera pas tâche.

Introuvable : disponible au moins les librairies en ligne
Illisible : tant qu’on tient le livre dans le bon sens…
Inoubliable : pas tout à fait

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