Rencontre avec Daryl Gregory

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itw-gregory-une.jpgÀ l’occasion de la parution toute récente de L’Éducation de Stony Mayhall, son troisième roman mais le premier publié en français, Daryl Gregory a accepté de répondre aux questions de notre ami Laurent Queyssi. L’occasion pour notre auteur de nous évoquer les thématiques à l’œuvre dans son roman, son rapport aux zombies et ses dernières parutions…

itw-gregory-romero.jpgL'idée de départ de L'éducation de Stony Mayhall est que La Nuit des Morts-vivants de Georges Romero n'est pas une fiction, mais un documentaire. Comment vous est venue cette idée ?

J'ai toujours aimé le mélange des genres, mêler le monde réel, la culture populaire avec les endroits et les lieux que j'invente dans ma fiction. Dans mon premier roman, Pandemonium, les super-héros de bande dessinée peuplent le même monde qu'un Philip K. Dick âgé de quatre-vingts ans, toujours vivant et possédé par l'esprit de SIVA ou qu'O.J. Simpson, qui se défend en disant qu'il était possédé pour éviter d'être déclaré coupable. Kim Newman excelle dans ce genre d’exercice.

Pour L’Éducation de Stony Mayhall, je savais que je voulais traiter des zombies classiques de Romero et raconter ce qui s’était déroulé après la fin de La Nuit des morts-vivants. C’était aussi un clin d’œil au lecteur, de leur dire que mes zombies proviennent du monde de Romero, même si évidemment Romero le documentariste ne savait pas tout et ignorait que les zombies reprennent connaissance au bout de 48 heures.

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À partir de là, vous construisez un roman superbe, qui va bien au-delà de cette idée de jeu avec la culture populaire dont il émane. Il me semble que vous ne cessez d’accélérer tout au long du livre et que les enjeux ne cessent de grossir. Depuis la première partie à la campagne jusqu’à une sorte d’apocalypse, le roman comporte plusieurs parties bien distinctes. Aviez-vous cette structure en tête dès le départ ou s’est-elle imposée pendant l’écriture ? Aviez-vous prévu dès le départ de faire accomplir un tel voyage à Stony Mayhall, avec ses thématiques à la fois post-humaines et religieuses ?

C’est vrai, j’essayais d’aller au-delà du simple jeu sur la culture populaire. C’est marrant un moment, mais ça n’a pas grand intérêt. Je voulais aller plus loin, mais aussi creuser les choses. Plus loin dans le sens que vous suggérez, en augmentant les enjeux, parce que la science-fiction permet de poser ce genre de questions : Et ensuite ? Et si ça se passait vraiment, qu’arriverait-il ensuite ?

itw-gregory-raisingstonymayhall.jpgMais je voulais aussi creuser les thématiques de la (non)vie de Stony et les questions philosophiques que posent son existence. Je savais en commençant à écrire le livre que je voulais raconter sa vie entière, de sa naissance à sa possible résurrection. En anglais, le titre du roman est « Raising Stony Mayhall », parce que « raising » a deux sens : celui d’éduquer un enfant (raising a child) et de ressusciter quelqu’un (raise from the dead). Stony est une personne philosophe avec un esprit scientifique. Il veut savoir s’il possède une âme et cherche aussi à comprendre comment il peut exister et penser alors qu’il est fait de matière morte. Et s’il est mort, pourquoi ne pourrit-il pas ? Ça m’intéressait beaucoup qu’un personnage pose des questions scientifiques dans un univers ou la physique n’a aucun sens. (Bon, la physique quantique n’a aucun sens non plus, selon Feynman, mais on sait qu’elle fonctionne.)

Mais à un moment de l’écriture, j’ai compris que je racontais l’histoire d’une figure christique. Jésus fut le premier zombie, après tout. Stony est un mort-vivant, mais il a été élevé par des humains qu’il aime. C’est un pont entre deux espèces. Malheureusement, l’histoire nous montre que les messies ne sont pas très bien traités.

Une fois que j’ai su que j’allais raconter toute la vie de Stony et que je voulais passer de son enfance quelque peu idyllique à quelque chose de plus complexe en termes politiques et philosophiques, j’ai compris qu’il me fallait diviser le livre en plusieurs parties. La première dépeint son enfance parmi les humains. La deuxième, son éveil politique en tant que personne opprimée et l’apprentissage de sa nature de zombie. La troisième partie parle de son emprisonnement (tous les grands chefs politiques passent du temps en prison) et la quatrième… là, je vais laisser les lecteurs le découvrir eux-mêmes.

Vous venez de sortir deux textes, tout récemment : un roman, Afterparty, et une novella, We Are All Completely Fine, qui sera d’ailleurs publiée au Bélial’. Quelques mots sur ces deux textes ?

itw-gregory-afterparty.jpgTout d’abord, Afterparty n’a vraiment rien à voir avec L’Éducation de Sony Mayhall !! Il y a seulement quelques similarités parce que les deux textes parlent de religion et d’identité. Afterparty se déroule dans un avenir proche, où tout le monde peut utiliser des machines appelées « chemjets » pour imprimer des drogues de synthèse chez soi. Une nouvelle église souterraine se met à imprimer une drogue appelée Numinous, qui active la partie du cerveau qui commande la foi. Si l’on prend cette drogue, on a l’impression d’entrer en contact avec Dieu. Si l’on continue à la prendre, on devient accroc à Dieu. Et si on fait une overdose, votre propre déité personnelle est installée dans votre cerveau.

L’idée du Numinous vient d’une étude sur les moines bouddhistes et les nonnes catholiques dans laquelle des scientifiques ont repéré que les mêmes parties du cerveau s’allumaient pendant les scanners, quelle que soit la religion du sujet. Peu importait aussi que la personne nomme ce qu’elle faisait « méditation » ou « prière », l’effet sur le cerveau restait le même. Nous savons également que l’épilepsie du lobe temporel peut produire d’intenses bouffées religieuses.

Le personnage principal s’appelle Lyda Rose. C’est une ancienne neuroscientifique qui a participé à la création de la formule originale du Numinous et qui la croyait abandonnée, par ses collègues et elle, depuis longtemps. Lyda est également folle : ses collègues et elles ont reçu une dose massive de Numinous sans leur consentement et ils ont tous leur propre dieu, désormais. Celui de Lyda est l’ange Dr. Gloria. La neuroscientifique en elle sait que Dr. Gloria n’existe pas, mais elle lui parle sans cesse et lui demande souvent de l’aide. La question centrale du roman est la suivante : puisqu’on est un meilleur individu avec la religion que sans, ne devrait-on pas prendre cette drogue, même si l’on ne croit pas en Dieu ? Et si Dieu n’est qu’une sensation produite par le cerveau, a-t-il une importance ? J’adore ce genre de questions.

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Ma parution la plus récente est une novella, deux fois moins longue qu’Afterparty. Ça s’appelle We are all completely fine et c’est sorti en août en anglais. C’est plus proche de Stony Mayhall puisque ça parle de culture populaire et d’histoires d’horreur. Je me demande toujours ce qui arrive au dernier personnage encore debout, ceux qui survivent à la fin des films d’horreur. Que deviennent-ils ensuite ? Il doive s’en doute aller voir un psy. (Ma femme est psychologue, nous parlons donc beaucoup de thérapie.) Dans la novella, cinq survivants de cinq histoires d’horreur sont rassemblés pour une thérapie de groupe. Ils comprennent peu à peu que leurs histoires sont liées et qu’ils n’en ont pas fini…

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