En direct de Kobaïa, rencontre avec Christian Vander

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itw-magma-une.jpgDepuis plus de quarante ans, Magma fascine. Une musique puissamment évocatrice et novatrice (au point d’être son propre courant, le Zeuhl), des paroles hermétiques, un univers musical particulier teinté de science-fiction, centré autour de la planète Kobaïa. Alors que le groupe a sorti récemment son disque le plus accessible depuis longtemps, Félicité Thösz, Bifrost est allé à la rencontre de son leader, Christian Vander.

Pour commencer, pourriez-vous nous dire ce que vous lisiez quand vous avez fondé Magma. De la science-fiction ? L’imagerie liée à la musique de votre groupe semble fortement teintée de SF.

Ça n’a rien strictement rien à voir. On a imaginé une utopie. Dans l’idée, on a substitué notre monde, la planète Terre, et Kobaïa. Nous avons eu ce projet, Laurent Thibaut et moi, un jour dans une auto ; on était déprimé et on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. On a donc imaginé un monde meilleur, « un monde sans les cons ». Ça, c’est presque une utopie. On se sentait tout simplement mal dans ce monde-ci, et on a voulu créer notre histoire, notre propre aventure. Pas une créée pour nous.

Bref, du côté des lectures, j’ai lu les classiques — du fantastique. De Lovecraft à Matheson. Edgar Poe. Et Stephen King aussi. Toujours. Mais il parle beaucoup, c’est quelquefois fastidieux.

C’est vrai qu’il a tendance à faire de gros bouquins…

Mais il y a eu de très bonnes adaptations de faites. Misery ou La Ligne verte, que j’ai beaucoup aimés. Bien sûr, en SF, je connais Ray Bradbury… mais je m’y connais plus dans le domaine du fantastique et de l’angoisse.

itw-magma-kobaia.jpgKobaïa, c’est donc un peu la Terre. Je me demandais où elle pouvait être située dans l’espace, si vous aviez inventé toute une géographie imaginaire pour cette planète…

On imaginait notre monde, mais différent. Donc on imaginé une planète. C’était, disons, une parabole.

Cela a-t-il toujours été sous l’angle musical ou avez-vous parfois envisagé d’étendre Kobaïa sous forme de livre ?

J’écrivais pas mal à une époque, mais, je ne sais pas pourquoi, tout est resté dans des classeurs. Mais ne serait-ce que même commencer un dictionnaire du fameux langage, le kobaïen…

Justement, parlez-nous un peu du kobaïen.

En fait, ce n’est pas un langage qui a été conçu de manière intellectuelle, pas comme l’espéranto. Ce sont des sons qui venaient parallèlement à la composition de la musique. Un jour, j’étais sur une plage, complètement en dehors de tout. À côté, un gars avait une guitare dont il ne se servait pas ; je lui ai demandé de me la prêter. J’ai joué trois accords, et ça a été le début d’un thème qu’on a appelé Kobaïa.

Pourquoi « kobaïa » ?

Parce que c’est le premier mot que j’ai prononcé. J’ai donc intitulé la chanson Kobaïa et la langue est devenue le kobaïen parce que c’est le premier son en kobaïen qui est arrivé.

Ensuite, quand j’ai composé plus sérieusement, les sons venaient en parallèle à la composition et je les laissais venir. Il m’est arrivé même des choses étranges : j’avais un multipiste à l’époque, et je pouvais faire un re-recording, pour rajouter une voix supplémentaire. Alors que je venais de composer le morceau, parfois de longues plages, je refaisais une voix supplémentaire par-dessus, sans l’avoir réécouté parce que je le connaissais, et je répétais exactement les mêmes mots. Sans les avoir appris. C’est un peu magique. La musique demandait ces sons.

Est-ce voulu que les sons soient à consonances un peu slaves, germaniques ?

Ils sont très bien adaptés à cette musique. Quelquefois, quelques mots anglais ou français venaient ; je les laissais. Comme il y a parfois pas mal de mots anglais, on m’a suggéré de faire toutes les paroles dans cette langue, et là on s’est lancé dans une histoire un peu triste. Pour prendre une image, c’est comme la messe en latin traduite en français. Soudainement ça perd tout ce côté spirituel, magique, ça passe au ras des pâquerettes. C’est souvent mieux d’imaginer, de laisser les gens voyager — on en revient à l’imaginaire justement. Il y aussi une question par rapport à la musique : le niveau d’écoute. Considérons par exemple une statuette, égyptienne ou autre. On peut d’abord contempler la statuette, aimer sa forme puis ensuite on se la conçoit, on se l’imagine, on définit ses proportions, et puis, dans un troisième degré (il n’y en a peut-être pas que trois), on entre en harmonie directement avec cette statuette. Pourtant, ça reste le même objet.

J’écoute beaucoup la musique de John Coltrane, grand saxophoniste de jazz, et avec le temps, je découvre davantage de choses à l’intérieur de ce qu’il a exprimé. Lui s’exprimait avec son saxophone. Pour moi, c’était comme une voix. Depuis son décès en 1967 (un 17 juillet), je n’ai pas cessé d’écouter sa musique, et j’y découvre de plus en plus de choses. Il est toujours le musicien qui m’inspire et qui va le plus vite dans l’expression. Qui est le plus clair au niveau de son expression.

Sa musique m’a paru assez ardue…

itw-magma-cookin.jpgJe comprends. Lorsqu’il est parti en 1967, il avait laissé un travail très clair. Il ne nous a pas mis sur une voie de garage. Ce qui s’est passé, c’est qu’il y a eu ensuite la mode des disques pirates : sortir tout ce que Coltrane avait pu faire avant. Il était en quête permanente de nouvelles choses mais il avait laissé un ordre clair de progression d’un disque à l’autre. À mon avis, il faut commencer Coltrane dans les années 50, quand il a débuté. En fait, il n’a pas débuté dans les années 50 mais dans les années 40, notamment avec Miles Davis. Par exemple, Cookin’ with the Miles Davis Quintet, (il y a eu aussi Relaxin’, mais Cookin’ est, je pense, est meilleur). Coltrane a travaillé aussi avec Cannonball Adderley jusqu’au moment où il a créé sa formation, enregistrant à cette époque des disques sous son propre nom. Giant Steps par exemple, et d’autres disques de ce genre, beaucoup plus accessibles et qui appartenaient encore au jazz traditionnel/modern jazz. Et progressivement, Coltrane s’est éloigné de Miles Davis, vers 1959-60, (là j’ai un petit doute) et s’est dit qu’il allait faire sa propre musique. Je vais aller dans les grandes lignes, citer les disques importants. En 1961, il a enregistré Olé, puisqu’il avait affirmé vouloir commencer par faire des traditionnels. On a pensé qu’il allait faire des standards, ce qui était faux. Après Olé, il a enregistré Africa/Brass et ensuite le très important Impressions, où figure India. Il y en d’autres disques qu’on pouvait écouter à cette époque-là, mais ceux que je cite forment la ligne, l’évolution. Impressionsdonc. Ensuite il a enregistré Transition, autre très bon disque, où l’on comprend sa manière d’exprimer les choses en spirale, par étages. On peut aussi écouter Coltrane dans sa dernière période, 1966-67, quand il a changé la formation. Son quartet, c’était alors Elvin Jones à la batterie, McCoy Tyner au piano, Jimmy Garrison à la basse et lui-même aux saxophones ténor et soprano. Mais à partir de 1966, il a commencé à travailler avec sa future femme, Alice Coltrane, ainsi que Rashied Ali le batteur. Jimmy Garrison est resté, et Coltrane a travaillé avec un autre saxophoniste, Pharoah Sanders. Et là, la musique est devenue plus « free », donc plus difficile d’accès. Les rythmes se multiplient, en tous sens, mais au final, la musique n’est pas si free qu’on l’imagine. Il y a une direction, des codes pour enchaîner les choses. C’est, d’une manière, l’expression qu’il cherchait.

itw-magma-expression.jpgJustement, en parlant d’expression, son dernier album, que je trouve une pure merveille, s’appelle Expression. Il comporte deux très beaux thèmes à la flûte, To Be et Offering. C’est un disque magnifique. Là, c’est recueilli, c’est une offrande, véritablement. Je vous donne ces indications, car si vous écoutez Coltrane dans le désordre, je comprends que vous ne le compreniez pas. J’ai eu la chance de connaître en temps et en heure sa musique, et même le batteur qui jouait avec lui, Elvin Jones. J’ai suivi Coltrane à la trace. J’écoutais aussi d’autres musiciens : Cannonball, Miles, Thelonious Monk. Et progressivement, je me suis aperçu que cette musique devenait essentielle pour moi. Mon pain quotidien. Je buvais véritablement, je mangeais les notes. J’en avais besoin et de toute manière, j’étais un peu dans un cas de besoin.

Est-ce que vous pourriez nous donner des indications d’écoute pour Magma ?

itw-magma-mdk.jpgLà, c’est plus difficile : je suis mal placé pour en parler. J’ai essayé de faire en sorte que chaque disque de Magma soit une évolution par rapport au précédent. Sans redites. Parfois ça passe d’un cran à l’autre, ça surprend, comme John Coltrane pouvait me surprendre. C’est ce que je voulais. Ne pas me répéter. Ce qui est le pire, c’est le public qui vous dit : « Vous avez fait un morceau que j’adore, vous ne pourriez pas refaire un autre pareil ? » De tels morceaux, je peux presque en composer un dans la semaine. L’idée, c’est de surprendre, et de me surprendre aussi. Car cette musique, je la compose pour moi, et pour les gens que ça intéresse ou qui travaillent avec moi. Je ne veux pas écouter les disques conçus pour le public. Non, les disques de Magma, je les fais pour moi d’abord. Donc pas de redite et du nouveau à chaque fois.

S’il y avait un disque d’introduction, ce serait Mekanïk Destruktïw Kommandöh (Mekanïk Kommandöh était la première version, un enregistrement de 1973) et qui est le morceau que tout le monde vient écouter. D’ailleurs on le jouera ce soir, vu qu’on l’a remonté pour des jeunes qui ne l’ont pas entendu. On s’est pris au jeu même si on l’a déjà joué un paquet de fois. Finalement, en le retravaillant, on a pris grand plaisir à le rejouer.

Vous avez donc composé deux trilogies, « Theusz Hamtaahk » et « Köhntarkösz ». Si c’est possible, pourriez-vous les résumer ?

itw-magma-theuszhamtaahk.jpgLa trilogie mécanique est composée de Theusz Hamtaahk, Würdah ïtah et Mekanïk Destruktïw Kommandöh. Theusz Hamtaahk, c’est une musique plus glacée, ça représenterait quelque chose d’immuable, qui est là et le sera toujours. À l’intérieur, il y a toutes les clefs pour devenir nouveau. On enchaîne sur Wurdah Ïtah : une sorte de révélation d’une personne du peuple, qui sent qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Cette personne décide de monter les gens de la planète entière contre un tyran et ils marchent tous, entraînés par ces chants et au bout d’un moment, ça les mène à Mekanïk Destruktïw Kommandöh. Finalement, ils ne savent même plus pourquoi ils chantent, une mutation a alors lieu : ces gens se transforment en quelque chose d’autre. Ils vont disparaître, désintégrés à l’intérieur des sons, et seul subsistera celui qui va être l’être nouveau, qui va arriver et qui a en lui toutes les clefs. Ce pourrait être Köhntarkösz, mais ce personnage n’a pas la révélation tout de suite, lui. Donc ces quelques êtres subsistent et ceux-là vont faire ce monde nouveau.

La trilogie « Köhntarkösz » contient K.A., Köhntarkösz et Ëmëhntëhtt-Rê. K.A., c’est la quête du jeune Köhntarkösz – il ne s’appelle que Kontark d’ailleurs à ce moment-là. C’est un clin d’œil à Edgar P. Jacob. Bref, le Köhntark découvre les choses, donc il cherche tout plein de directions, dans toutes les voies possibles, Égypte, catholicisme, autres… Beaucoup de choses passent et à la fin du disque, on entend les accords qui seront les prémisses de Köhntarkösz. Juste à la fin, il y a quelques notes tenues qui sont le même type d’accord qui vont apparaître dans le morceau-titre, où Köhntark va devenir Köhntarkösz suite à une initiation, qu’il va recevoir en descendant dans un temple/mausolée égyptien. Et de là, il aura tout reçu, c’est un simulacre par un chorus de piano, de synthés selon, de violon (à l’époque, Didier Lockwood), presque très désordonné, les idées partent dans tous les sens. Köhntarkösz a tout en lui, après il lui faudra sa vie pour en retrouver le sens et l’essence. Ce qui amène à Ëmëhntëhtt-Rê, où l’on raconte l’histoire d’Ëmëhntëhtt-Rê, son maître, assassiné par des prêtres jaloux, et n’ayant donc pas pu aboutir. Il était pourtant presque arrivé au but, quand il fut assassiné. À partir de ce moment-là, c’est peut-être à Köhntarkösz de reprendre la route, là où l’a laissé Ëmëhntëhtt-Rê. En résumé.

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Lorsque vous composez, qui vient en premier ? C’est la musique, c’est l’histoire que vous voulez raconter ?

Alors, étonnamment, ça dépend. La majeure partie du temps, je compose et ensuite j’analyse – ce que ça m’évoque, quelle est l’histoire – et je traduis souvent après. Lorsqu’on commence un livre, si on n’a pas un résumé derrière, on ne sait pas toujours de quoi ça traite. C’est souvent comme ça, on commence trois accords sans savoir où l’on va. Je laisse se poursuivre la musique, je la laisse vivre surtout, je ne cherche pas à composer pour composer. Ça veut dire que je ne me mets pas au piano uniquement pour composer. Certes, je peux me détendre, jouer des choses et puis soudainement, je sens que la musique est là, la musique que je dois faire, que je dois créer. Sinon, c’est une détente aussi, c’est du travail aussi, à la voix, au piano. Je ne suis pas pianiste mais je compose au piano. Mais les mélodies viennent en chantant, les trois quarts du temps. Quelque fois basse, violon ou autre.

Est-ce que ça vous prend du temps de composer ces morceaux-là, souvent conséquents ?

Eh bien ça dépend. Parfois, il y a un élan fantastique, un souffle, on a vraiment l’inspiration. Mais avec le temps, comme je veux toujours me surprendre, ça devient de plus en plus difficile. Quelques fois c’est l’horreur. Les gens me demandent parfois : « Tu penses arrêter un jour ? » Que je sache, c’est hors de question. Ce qui serait par contre plus terrible, ce serait le manque d’inspiration (je pense que c’est pareil pour tout le monde). Je ne veux pas blablater, je ne veux pas faire de redite, il faut que les choses nouvelles viennent. Je pense que c’est mêlé avec le vécu, le quotidien – le vécu de ce qu’on découvre, qu’on apprend, qu’on ne nous apprend pas.

Est-ce que c’est pour éviter le manque d’inspiration que, dans les années 80, vous avez mis Magma en sommeil pour passer à Offering ?

C’est presque mais pas tout à fait ça. Disons qu’on a mis Magma en sommeil parce qu’on ne nous proposait plus de concerts. On n’était plus tellement dans les courants. Magma n’a jamais été dans un courant mode aussi, il faut dire. Mais c’est tombé parfaitement bien encore une fois, puisque ça m’a permis de jouer tous ces morceaux que je faisais à la maison et c’est devenu Offering. Au début, je n’étais pas prêt du tout à assumer des répertoires de trois heures, où je chantais pendant près de deux heures. Et je me suis rendu compte de mes possibilités comme de mes impossibilités. Ça m’a appris énormément de choses : mon positionnement en tant que chanteur, parce que je suis soit percussionniste soit batteur. Là j’ai mieux compris le fonctionnement du chant, son positionnement réel et non pas le positionnement du batteur en tant que chanteur/batteur. Tout à fait autre chose. J’avais tendance à chanter des onomatopées, au lieu de me concentrer sur ma position de chanteur. Donc ça m’a mis sur la route du travail de la voix, dont je me servais uniquement pour composer. Là, j’avais surévalué mes possibilités. Ç’a été une fantastique expérience cependant. Quand on a repris Magma en 96, c’est un ami, Bernard Ivain (qui a beaucoup travaillé avec Michel Petrucciani), qui m’a demandé si j’allais remonter le groupe s’il m’organisait une tournée de quinze, vingt dates. Je lui ai répondu que bien sûr, pas de problèmes, même si je n’avais pas encore de formation. On a discuté de ça au téléphone et je me suis dit qu’avoir ces quinze dates, ça serait bien. Et, un mois ou deux avant, Bernard Yvain m’a rappelé pour me prévenir qu’il avait trouvé les dates et pour savoir si j’avais un groupe. Pas de problèmes, j’ai tout de suite rameuté tous les gens que je connaissais, et on a pu reformer de Magma. En réalité, Magma n’a jamais arrêté. Moi je dis, Magma, vie, mort et après, et ça n’est pas pour rien. Magma est là, mais je fais aussi d’autres choses parallèlement.

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itw-magma-atouslesenfants.jpgVous avez en effet composé des choses pour la jeunesse, comme À tous les enfants. Dans ce disque, la reprise de J’ai du bon tabac est assez effrayante, très glaçante…

À tous les enfants, c’est le disque que j’aurais aimé écouter quand j’étais gosse. Parce qu’on aime bien, quand on est gosse, le côté mystérieux, le côté « à l’aventure, on peut se cacher sous les couvertures », se faire peur tout en sachant que ça n’est pas bien méchant de toute manière. Pas comme certains chanteurs pour enfants qui ont fait des choses, disons, niaises. À tous les enfants n’est pas niais, c’est simplement un disque du merveilleux. Et puis il y a toujours la forêt, où l’on se perd mais on est recueilli par une fée. Il y a un peu de suspense. Et Dodo l’enfant do, un thème un peu chaotique, c’est un peu l’enfant qui ne veut pas se réveiller en fait. Il se dit : « Nan, nan, je suis bien là où je suis, laissez-moi continuer cette histoire. » Pour lui, le cauchemar c’est de se réveiller. Pour ceux qui m’ont dit : « Enfin, je ne comprends pas, Dodo l’enfant do ça va être un véritable cauchemar », ben oui, le gosse ne veut pas se réveiller, il veut rester dans son monde d’enfance.

itw-magma-cygnescorbeaux.jpgVous avez également composé Les Cygnes et les Corbeaux. Par moments, la musique met mal à l’aise et toute la partie centrale se révèle effrayante.

Là, c’est l’histoire qui veut ça. C’est expliqué dans le disque. Il y a un appel pour les oiseaux, qui se réunissent mais quand l’oiseau-maître apparaît, ils ne sont pas prêts, pas prêts à entendre ce chant… et ils sont désintégrés. C’est terrible. Mais c’est comme ça, l’histoire est comme ça, elle finit mal.

D’ailleurs, la plupart des contes pour enfants ne se finissent pas très bien…

Ah oui, bien sûr. Moi je connais bien, notamment Andersen, que j’aime beaucoup et que je lisais quand j’étais gosse. Ha, ça me mettait dans un état de douleur qu’on peut rapprocher de la musique de Coltrane et en même temps de ce que je pouvais vivre, car je n’ai pas eu une vie très facile. Donc je perçois davantage les gens qui souffrent, la douleur, que la joie que j’ai peu connue dans toutes ces années de jeunesse, et j’avoue que je suis plus attiré par ces choses, pour les connaitre. Elles restent toujours en moi, et c’est ce que j’exprime plus facilement que la joie, parce que ça, c’est tellement éphémère.

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Récemment, vous avez sorti un disque, Félicité Thösz, très différent des précédents disques de Magma, K.A. et Ëmëhntëhtt-Rê, qui sont assez sombres.

Félicité Thösz est, je crois, la quintessence de Magma. Ça fourmille d’idées, très magmaïennes. C’est aussi un tournant.

Sombres, c’est ce qu’on m’a dit au sujet de Ëmëhntëhtt-RêouK.A. Mais ce n’est pas ça. Comme j’ai pu l’expliquer, K.A. est une quête intérieure, un travail d’introversion. La personne creuse en elle-même, fouille en sa matière, pour découvrir une sorte de voix. Donc évidemment c’est une musique intérieure, non pas « on va parler du cosmos, des étoiles ». Ce n’est pas lumineux de cette manière. J’ai d’ailleurs écrit un petit morceau qui s’appelait La lumière est au fond des étoiles. C’est-à-dire qu’au cœur des étoiles est la lumière.

Justement, c’est bien dans le cœur des étoiles que naissent les photons, qui mettent un petit bout de temps à en sortir.

Bien entendu. L’idée, d’ailleurs dans les futures compositions, est de descendre pour toucher le fond, tel le nageur, et là, remonter plus vite. Déjà, creuser pour comprendre, pour entendre tous les sens, descendre au cœur, au cœur de la chose, pour tout englober ; non pas monter sur une montagne pour voir l’univers, c’est tout le contraire. En l’esprit, c’est ça.

Revenons à Félicité Thösz. De quoi parle ce disque ?

L’histoire est simple, vraiment. C’est une sorte de cérémonie du renouveau. Ce n’est pas plus compliqué que ça. On peut entendre un passage qui ressemble à un chant japonais, on entend des chants slaves, voilà… C’est une cérémonie du renouveau ou d’un solstice d’été, vous voyez.

Un renouveau, parce que vous avez conclu la trilogie « Köhntarkösz » ? Pour partir vers d’autres horizons ?

Oui… On m’a posé des questions de ce genre : « Que devient Köhntarkösz ? Et au fait, Köhntarkösz, ça ne serait pas toi ? » Ça, c’est une bonne question. Et franchement, je n’y ai pas songé. Mais pourquoi pas ?

Pourra-t-on alors entendre un quatrième volet à « Köhntarkösz » un jour ?

Oui, pourquoi pas. On est en quête de quelque chose d’autre. Pour le moment, d’autres morceaux sont en chantier. Ce soir, on joue un thème, dont le titre provisoire est Šlag Tanz, une danse. En allemand, Schlag, c’est le coup et c’est aussi Schlagzeug, la batterie. Šlag Tanz est un rythme ponctué de manière… « wha ! », en contraste avec des mélodies très aériennes. Mais ça, c’est pour le prochain disque, avec d’autres thèmes. Je compose actuellement des thèmes que j’appelle des « sonneries ». Šlag Tanz n’est prévu que pour l’année prochaine, bien entendu.

Là, on va sortir un DVD d’un concert qu’on a fait au Triton il y a quelques temps, avec un peu tous ces morceaux. J’ai quand même l’intention d’enregistrer sur CD parce que j’aime bien la matière. Je regarde peu de films, même les vidéos de Magma, je ne les regarde guère. Ce qui m’importe, c’est d’entendre la musique. Du coup, j’aime avoir aussi l’objet en même temps que j’écoute. De même que j’achète encore le journal plutôt que le lire sur Internet — c’est fastidieux.

Justement, nous sommes au Triton. Est-ce que ce lieu a une importance particulière pour vous ? Vous y avez enregistré plusieurs DVD…

Oui, nous avons fait beaucoup de concerts ici. Cet endroit est un peu un fief pour nous. C’est comme un champ d’expériences que nous permettent de faire Jean-Pierre et Jacques Vivante. J’y ai fait aussi des solos piano-voix, des quartets de jazz, où j’ai joué la musique de Coltrane. Donc c’est vraiment un lieu où on se sent bien. Un peu en famille. Ici, la loge est aussi vaste et confortable que la salle ! On a pensé aux musiciens. Il y a tout ce qu’il faut, c’est essentiel. Ici, il y a vraiment un effort qui est fait pour les musiciens. Donc c’est un lieu qu’on aime beaucoup. Ce n’est pas un hasard, et ils nous font confiance, puisqu’on y joue régulièrement, et le public vient de plus en plus nombreux. D’ailleurs, cette semaine, c’est complet…

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Interviewée réalisée le 21/11/2012 au Triton.

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