Le recueil réunit la quasi-totalité de tes nouvelles publiées entre 1999 et 2009. Qu’est-ce que les absentes ont fait pour mériter d’être exclues ?
Il n’en manque vraiment que très peu. Mon premier texte publié est tout simplement trop mauvais à mes yeux pour être repris, par exemple. D’autres étaient trop récents, aussi. Mais l’essentiel est vraiment dans le recueil.
Tu en as retravaillé certaines pour l’occasion ?
Très peu, finalement. J’ai relu et repris les choses qui me gênaient vraiment, mais guère plus. J’ai modifié un point de détail dans « Fuck City », suite à une remarque de Gilles Dumay, mais pour l’essentiel, les textes sont restés dans leur jus. Je n’ai pas très envie de retravailler de fond en comble des nouvelles qui datent de plusieurs années. Les défauts font partie des textes et j’espère qu’on voit ainsi la trace des progrès accomplis. Je ne suis pas pour effacer les traces du passé, même si certaines ne ressemblent plus à l’auteur que je suis aujourd’hui.
Tu as publié relativement peu de nouvelles à ce jour, en moyenne une par an. Manque de temps, d’envie, de débouchés ?
Surtout par manque de temps. J’ai un carnet rempli d’idée de nouvelles idiotes, mais à qui il manque parfois le fond de sauce. Ce n’est donc pas l’envie qui me manque, ni les débouchés d’ailleurs (étrangement, je n’ai jamais eu de mal à placer mes textes).
Mais, mine de rien, écrire une nouvelle demande beaucoup de temps. C’est aussi très satisfaisant d’en écrire parce qu’on finit véritablement une histoire sans y passer trois ou quatre mois comme sur un roman, mais l’investissement n’est pas très différent d’un texte long. Et lorsqu’on se lance dans l’écriture d’une nouvelle, on sait que ça va nous bouffer la vie pendant une, deux ou trois semaines… Mais parvenir à un texte achevé est toujours un grand moment.
La rubrique Eclats que tu tiens dans Galaxies et où tu décortiques certaines nouvelles de grands auteurs t’a-t-elle permis de progresser en tant que nouvelliste, de mieux maîtriser cette forme ?
Honnêtement, je ne sais pas. Je n’ai guère écris de nouvelles depuis que j’ai commencé la rubrique. Et je pense qu’avant même d’entamer la publication d’Eclats, je réfléchissais déjà à certains textes que je lisais de cette même façon. La chronique est juste un moyen de coucher sur le papier des réflexions que j’ai depuis longtemps sur la forme courte.
Mais d’une manière plus générale, je pense que oui, lire les textes de grands auteurs, les décortiquer et tenter d’en comprendre les mécanismes, fait le plus grand bien.
Les textes du recueil parlent de s-f, de rock, de séries télé, de ciné… On a fait le tour de tes passions ou il en manque encore ?
Il en manque encore un paquet. C’est un peu mon problème d’ailleurs. Je me passionne pour tout un tas de choses, de sujets dans lesquels je me plonge, que j’étudie à fond, avant de passer à un autre. Tu peux ajouter la bédé, la littérature au sens large, le rugby, le jazz, la magick etc… J’ai aussi des obsessions plus pointues qui me rongent, comme récemment par exemple, les cosmonautes perdus et les frères Judica-Cordiglia ou, plus généralement, la conquête spatiale. Mon cerveau est bourré de connaissances qui ne servent à rien : la date de la session Riverside où Monk et Davis ont joué ensembles pour l’album Bag’s groove ou le prénom de la femme de Jack Parsons…
Dans « Sense of Wonder 2.0 », tu listes quelques uns de ces moments d’émerveillement qu’on a tous ressenti un jour ou l’autre. En l’occurrence, la plupart me semblaient renvoyer à des souvenirs d’enfance ou d’adolescence. Est-ce à dire que l’adulte que tu es ne parvient plus à s’émerveiller ?
Non, mais différemment. Tu connais le dicton : la meilleure musique, c’est celle qu’on écoute lorsqu’on a seize ans. Il me semble que l’émerveillement qu’on ressent à la découverte de grands textes de SF entre 12 et 16 ans est une sensation perdue. Adulte, on s’émerveille d’une autre manière, moins intense, plus intellectuelle, sans doute, mais différemment. On s’en approche parfois de très prés et c’est un bonheur intense, mais on ne le retrouve jamais complètement. En tout cas, pas dans mon expérience…
Et l’adulte que je suis s’émerveille de choses bien différentes, qui correspondent sans doute plus à l’état d’esprit du trentenaire que je suis. A seize ans, le rire d’un enfant ne me touchait guère…
Quelles sont les dernières œuvres (littéraires ou pas) à t’avoir émerveillé ?
Je suis en train de lire The Quantum thief d’Hannu Rajaniemi et dans le genre émerveillement, ça se pose là. Comme pas mal d’œuvres anglo-saxonnes post-singularité, d’ailleurs. Un petit peu avant, j’avais lu Nova de Delany qui est aussi un bon exemple. Dernièrement, j’ai également beaucoup aimé le recueil d’essais de Jonathan Lethem, The Ecstasy of influence.
« Sense of Wonder 2.0 » donne le sentiment que la s-f actuelle et le futur tel qu’on l’envisage désormais ne sont plus capables de susciter ce fameux sense of wonder. A l’inverse, « Nuit noire, sol froid », qui clôt le recueil, s’achève sur une idée assez vertigineuse qui justement provoque ce sentiment. Est-ce que tu as écrit la seconde en réaction à la première ?
Il était sans doute plus facile pour un auteur américain des années 50 d’être optimiste et de provoquer un émerveillement. Le monde actuel me semble plus propice aux dystopies, au pessimisme et la SF dans son ensemble penche vers des scénarios assez sombres, il me semble. Même si j’aime beaucoup de choses qui se font actuellement, l’environnement est tel qu’écrire un roman ado aussi emballant que Le Vagabond de l’espace aujourd’hui est quasiment impossible pour moi.
« Sense of Wonder 2.0 » fait le simple constat qu’une certaine forme de consumérisme, de rapport aux autres et au monde a tué le rêve. Mais simplement dans l’avenir que je décris dans ce texte. On n’en est pas encore là dans notre présent.
Et « Nuit Noire, Sol froid », même s’il a été rédigé après, n’a pas été écrit en réaction. Les deux textes n’étaient pas faits pour se répondre, mais une telle lecture me paraît intéressante.
« Nuit noire, sol froid », par sa thématique, relève d’une s-f beaucoup plus classique que les autres textes du recueil. Tu te sens autant à l’aise dans ce registre ?
J’avoue que j’ai longtemps tourné autour du sujet du vaisseau générationnel avant d’oser m’y mettre vraiment. Je voulais toucher juste à un thème ultra-classique, mais je devais pour cela trouver un angle qui n’avait pas déjà été utilisé. Une fois parti, je me suis beaucoup amusé à écrire ce texte. Il y avait une sorte d’évidence, de simplicité, dans son exécution. Au final, après l’avoir longtemps ruminé, et avoir vérifié auprès des autorités du domaine que cette idée n’avait pas déjà été utilisée, ça a roulé tout seul.
Deux des textes du recueil ont été écrits en collaboration avec un autre auteur. C’est un exercice que tu aimes pratiquer ?
J’adore ça. Dans les deux cas, ce sont des moments merveilleux. Tu travailles sans t’en rendre compte. Tu discutes avec un pote, tu prends des notes, chacun rédige des petits bouts de son côté et au final, ça donne un texte que tu n’as pas l’impression d’avoir écris. Dans le cas de « Planet of Sound », ce que je dis dans l’introduction est vrai : je ne me rappelle pas avoir écris le texte, juste de tout ce qui a entouré sa rédaction, mais pas d’avoir été physiquement devant mon clavier pour taper des mots. J’ai même vraiment écrit les chansons dont les tablatures sont dans la nouvelle, mais je n’en garde aucun souvenir.
Dans quel exercice te sens-tu le plus à l’aise ? Quand tu écris une postface au Maître du Haut Château ou quand tu mets en scène l’auteure de La Sauterelle pèse lourd ?
Les deux me procurent autant de plaisir. J’adore m’entourer d’une tonne de documentation, relire des tas d’articles et couper des poils de cul en quatre pour faire ressortir, je l’espère, un point de vue un peu original sur une partie de l’œuvre de Dick, tout comme j’adore inventer de toute pièce un monde alternatif. Les deux ne font carrément pas appel à la même zone du cerveau, mais ils sont tous les deux aussi électrisants.
Dans « 707 Hacienda Way » et « Planet of Sound », tu mets en scène, de manière quelque peu détournée, Dick et les Pixies. Il y a d’autres de tes héros que tu aimerais revisiter en fiction ?
Un jour, il faudra bien que je me frotte à Thelonious Monk. Mais j’ai déjà réussi à intégrer Brian Wilson ou Jack Parsons dans mes textes, par exemple. Je rêve même de mettre en scène des personnages qui ne comptent pas parmi mes héros, mais qui me fascinent d’une certaine façon, souvent malsaine, il faut bien l’avouer. J’ai écris une nouvelle uchronique, pas encore publiée, sur la rencontre entre Frank Sinatra et un Alain Delon parti tourner à Hollywood dans les sixties, par exemple. Et je compte bien faire quelque chose avec Guy Lux, un de ces quatre.
En attendant Guy Lux (plutôt Schmilblick ou plutôt Ring Parade ?), tu mets déjà en scène Jean Marais et Louis de Funès dans « La Scène coupée (Fantomas 1963 ) ». Autant la culture anglo-saxonne inspire quantité d’écrivains, autant il est rare de voir un auteur de s-f se pencher sur les aspects et les personnages les plus populaires de la culture française, en particulier son cinéma et sa télévision. Ca te semble être un territoire intéressant à explorer ?
Évidemment, que c’est intéressant. Notre culture, populaire ou pas, d’ailleurs, est un aussi bon réservoir d’histoire que le triangle Londres-LA-New York dans lequel je m’abandonne moi aussi parfois, je l’admets, avec délice. Des auteurs ont déjà commencé à bosser ce terreau, ce n’est pas nouveau. Luc Dutour ou Xavier Mauméjean qui a déjà écrit sur Alain Delon, par exemple. Sur le plan littérature populaire aussi, il y a des choses : Les Futurs mystères de Paris s’appuient sur Malet et le succès de Pierre Pevel à l’étranger est pour une grand part, il me semble, dû à l’héritage de Dumas dont il se revendique. Il y a tellement de personnages fascinants dans notre culture populaire du vingtième siècle qu’il serait dommage de ne pas s’y pencher. Quand Grant Morrison crée un personnage inspiré de Diabolik et de Fantomas dans ses X-Men, je me dis qu’il a tout compris. Ce que fait Lehman aussi en bédé va dans ce sens.
Le cinéma, la télévision et même la musique française sont un réservoir de personnages fascinants. Vraiment. Il me tarde de voir le biopic sur Cloclo, par exemple, un type complètement dérangé dont la vie est hors du commun.
Quant à Guy Lux, ça sera plutôt Intervilles, mais vu de province, une fois les caméras éteintes (mais j’en dis déjà trop, mon acolyte sur ce texte ne va pas être content).
Quels sujets de nouvelles te trottent dans la tête depuis des années sans que tu aies encore pu les écrire ?
J’ai un truc assez gros, à la Jeff Noon, qui me travaille depuis longtemps et une envie de reprendre l’univers de « Fuck City » pour montrer d’autres endroits de ce monde où les Zwebs ont débarqués. J’ai des plans détaillés ou de vagues idées pour des dizaines de textes dans deux carnets, mais je ne sais pas comment vont s’emboîter ces petits bouts pour former des histoires. Le problème, c’est que les nouvelles ne sont pas prioritaires dans mon emploi du temps. Les boulots qui paient comme les romans, la bédé ou les trads passent avant. Les nouvelles, ce sont vraiment de la distraction et quand j’ai le temps. J’aimerais beaucoup en écrire plus, mais…
Tes projets pour les prochains mois ?
En juin, sort un thriller pour ados, Infiltrés !, aux éditions Rageot. Une sorte de James Bond doublé d’un génie hacker, mais en fauteuil roulant. Sinon, je vais passer une bonne partie de l’année à traduire du Michael Cobley, du Superman de Grant Morrison et à écrire une grosse série de bande dessinée qui me tient beaucoup à cœur et qui, je l’espère, « déchirera grave », comme dit ma grand-tante. J’ai d’autres envies, mais tout dépendra du temps et de l’énergie qu’il me reste après tout ça…