Premier roman du Cycle des Xeelees et premier roman tout court de Stephen Baxter, Gravité vient de reparaître en numérique sur e-Bélial’. C’est l’occasion pour le blog Bifrost de vous proposer l’Introduction à la Baxterologie d’Emmanuel Tollé, article qui ouvre la version papier de Gravité et qui permettra au lecteur de (re)faire connaissance avec Stephen Baxter et de s’orienter quelque peu dans l’univers des Xeelees, aussi foisonnant que vertigineux — la Galaxie pour décor, sur une échelle temporelle allant du Big Bang à des milliards d’années dans le futur !
Ce livre est particulier. S’il s’agit du treizième roman de Stephen Baxter publié en français, c’est surtout le premier qu’il écrivit. Paru outre-Manche en 1991, Raft, pour utiliser son titre anglais, est le volet initial d’une série fondatrice dans l’œuvre de notre auteur, le « cycle des Xeelees », série qui compte quatre romans (Timelike Infinity, Flux et Accrétion étant les trois autres) auxquels s’ajoute à ce jour un recueil de nouvelles, Vacuum Diagrams, lauréat du prestigieux prix Philip K. Dick en 2000 – l’ensemble étant prévu en France aux éditions du Bélial’, au rythme d’un titre par an environ. Cinq volumes « centraux », donc, plus quelques autres hors cycle initial mais qui y sont tout de même rattachés, comme nous le découvrirons plus loin.
Mais voyons donc d’où viennent ces fameux « Xeelees », et pour ce, faisons connaissance avec leur géniteur…
Si Mir ne vient pas à moi…
Né en 1957 à Liverpool, en Angleterre, Stephen Baxter grandit en pleine course à l’espace, duel américano-russe qui se soldera par l’apothéose du 21 juillet 1969 et les premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune. Cette extraordinaire aventure le passionne, au point qu’en 1991 notre homme pose sa candidature pour une place sur la station Mir. Rapidement éliminé lors des premières sélections, Baxter se console en devenant auteur à plein temps en 1995, huit ans après la publication de sa première nouvelle. Si l’ESA perd un futur astronaute, la science-fiction gagne un écrivain de tout premier plan. Comme quoi, le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres.
Dur… comme la science
Stephen Baxter est généralement considéré comme un auteur de hard science, branche de la science-fiction qui se caractérise par un fond scientifique et technique très détaillé. Les auteurs de ce type ont en général une formation scientifique poussée et suivent l’évolution des sciences de près. Contrairement à certains de ses collègues dans ce domaine (1), Baxter utilise rarement les extrapolations scientifiques comme moteur de l’intrigue. À l’instar d’un Arthur C. Clarke – dont il est d’ailleurs considéré comme l’héritier littéraire le plus direct –, il procure un minimum de détails afin de garantir une certaine rigueur à son récit sans pour autant noyer le lecteur sous les équations et le vocabulaire spécialisé, privilégiant l’accessibilité. Baxter est avant tout un raconteur d’histoires et un vulgarisateur.
Effets spéciaux illimités
L’imagination est l’un des maîtres mots de l’œuvre de Baxter. Qu’il s’intéresse à un univers où la constante gravitationnelle diffère du nôtre (comme dans le présent roman), à la vie d’une population humaine dans une étoile à neutrons, à ce que réserve l’avenir dans un nombre d’années tellement colossal qu’on ne pourrait l’écrire sur toute la longueur de ce livre, ou aux tous premiers instants qui succédèrent au Big Bang, Baxter imagine ce qui pourrait être. Tout au long de son œuvre, il illustre parfaitement la remarque de Iain M. Banks à propos de la littérature de science-fiction : « La SF écrite dispose d’un budget effets spéciaux illimité (2) » – la seule limite réelle étant celle de l’imagination.
La rigueur de rigueur
Rigueur est un autre des qualificatifs s’appliquant le mieux aux écrits de Baxter. Quand certains se contentent d’aligner les superlatifs dans leurs descriptions sans pour autant s’interroger sur la vraisemblance de leur sujet, Baxter, en bon auteur de hard science, cherche à produire quelque chose qui soit, au moins en partie, explicable par nos connaissances scientifiques et techniques actuelles. Une rigueur qui se ressent aussi dans le rythme de travail qu’il s’impose. De 1987 à 2008, ce sont près de trente romans et plus de cent trente nouvelles qui auront vu le jour sous sa plume. Un corpus impressionnant, fruit d’un travail méthodique et organisé. Cette rigueur, combinée à une imagination débridée, rapproche une fois encore Baxter de son mentor, l’incontournable Arthur C. Clarke, avec lequel il collabore à quatre reprises.
Le tour du propriétaire
Avant de nous intéresser au « cycle des Xeelees », livrons-nous à un rapide tour d’horizon du reste de l’œuvre de Baxter. Les lecteurs français ont déjà pu profiter d’un certain nombre de ses ouvrages (douze romans, si on exclut Gravité, et une poignée de nouvelles traduits à ce jour). Parmi ceux-ci, on remarquera la trilogie dite « de la Nasa » (Voyage, Titan et Poussière de Lune, éditions J’ai Lu), qui illustre bien la passion de l’auteur pour la conquête spatiale et ce qu’il aurait pu advenir si l’humanité s’était un peu plus intéressée à la question. La trilogie des « Univers multiples » (Temps, Espace et Origine, Fleuve noir «Rendez-vous ailleurs ») présente le côté prospecteur de Baxter, cette capacité à tordre les concepts scientifiques pour en tirer un élixir de merveilles. On retrouve cet esprit dans Évolution (publié aux Presses de la Cité, et tout récemment réédité au format poche chez Pocket en deux volumes), colossal roman qui s’intéresse aux origines de l’espèce humaine mais aussi à son avenir. Comme nombre d’auteurs de science-fiction, Baxter est conscient du patrimoine légué par ses prédécesseurs. Ainsi écrivit-il une sorte de suite à La Machine à explorer le temps du pionnier H. G. Wells (Les Vaisseaux du temps, Livre de Poche SF), et partagea-t-il la plume – plus vraisemblablement le clavier – avec le regretté Arthur C. Clarke (Lumière des jours enfuis, J’ai Lu). Les textes inédits en français sont encore nombreux. On y trouve pêle-mêle une imposante trilogie centrée autour des mammouths plutôt destinée à un lectorat adolescent, lectorat pour qui Baxter écrivit d’ailleurs trois autres livres (Gulliverzone, Webcrash, The H-Bomb Girl) ; un roman steampunk prenant pour canevas l’existence d’un nouvel élément sur fond de XIXe siècle (Anti-Ice, une manière d’hommage à Jules Verne et H. G. Wells) ; une trilogie co-écrite avec Arthur C. Clarke, sorte d’antithèse à 2001 : L’Odyssée de l’espace (3), cinq recueils de nouvelles, une tétralogie de romans uchroniques et un diptyque en cours de parution sur la montée des eaux (on renverra le lecteur curieux à la bibliographie qui figurera à la fin du second volet du « cycle des Xeelees », à paraître aux éditions du Bélial’ fin 2009). À tout ceci, on peut ajouter deux recueils d’essais et un ouvrage sur James Hutton (l’un des pères de la géologie moderne).
Au commencement étaient les Xeelees
Baxter commença sa carrière d’écrivain par quinze années de production, essentiellement des nouvelles, sans parvenir à la moindre publication. Ce n’est qu’en 1987 qu’il place enfin son premier texte dans la revue anglaise Interzone, accédant ainsi au statut d’auteur à part entière. Écrit en grande partie pendant la coupe du monde de foot de l’année précédente (de sinistre mémoire pour la France), « The Xeelee Flower » [la fleur xeelee] met en scène un astronaute en orbite autour d’une étoile en train de se transformer en nova, cet astronaute n’étant protégé que par la grâce d’une sorte d’ombrelle convertissant l’énergie en matière. Et c’est en essayant d’imaginer qui avait pu concevoir un tel artefact que Baxter créa les Xeelees. Peu après, écrivant une histoire sur des humains coincés dans une sorte de cage à quatre dimensions, il réalisa que créditer les Xeelees de la conception de ladite cage l’aidait à transformer cette simple idée en une véritable histoire, lui offrant même un cadre pour d’autres récits à venir. Les hasards de l’édition font que le premier texte ouvertement rattaché à la série publié en France est aussi l’un des plus récents (4). En ajoutant au « cycle des Xeelees » la série « Les Enfants de la destinée (5) », l’un et l’autre étant liés (les Xeelees sont présents dans la tétralogie des « Enfants de la destinée », certains personnages apparaissant même dans les deux cycles), on se retrouve avec un ensemble de sept romans, deux recueils comptant quarante nouvelles et encore six autres nouvelles non reprises en recueil, ce qui en fait d’emblée un ensemble considérable dans le paysage SF.
La guerre dans les étoiles
Le « cycle des Xeelees » conte l’histoire de l’univers dans son ensemble, un univers dominé par une espèce à la nature exotique et répondant au nom de Xeelee (prononcé « zi-li »). Dans cet univers, les énigmatiques Xeelees règnent au milieu d’innombrables autres espèces, dont le genre humain. Ce dernier va prendre son essor à travers les étoiles, connaître par deux fois l’occupation de puissances étrangères, avant de devenir l’ennemi des Xeelees, eux-mêmes en guerre depuis des temps immémoriaux avec les « Oiseaux de photinos ».
À la lecture de cet énoncé, on pourrait s’attendre à un cycle de space opera charpenté autour d’une action frénétique nourrie de batailles gigantesques, de courses-poursuites effrénées et de combats homériques. Si l’action est bel et bien présente dans ses ouvrages, Baxter demeure néanmoins plus proche d’un Iain M. Banks que d’un Peter F. Hamilton (pour rester chez les Britanniques). Bien qu’il ne dédaigne pas les affrontements titanesques qu’autorise le space opera, Baxter s’intéresse davantage à la dimension merveilleuse que recèle la science et à ce que les connaissances actuelles nous permettent d’anticiper comme étant du ressort du possible. Ensuite, tout n’est plus qu’affaire d’échelle et d’imagination. On visite alors des époques et des endroits aussi étonnants que l’Anneau dans lequel les Xeelees précipitent des galaxies entières (Accrétion, quatrième roman du cycle)… Dans le présent volume, les Xeelees ne seront évoqués que par une ou deux allusions. Pas davantage. Mais il règne déjà cette ambiance de merveilleux scientifique qui baigne tout le cycle. Des humains travaillant sur une étoile d’un diamètre de quelques dizaines de mètres et se déplaçant à travers l’espace sur des arbres. Une gravité semblant agir d’une manière qui nous apparaît inconnue. Une société de naufragés dans un univers parallèle… Le mystérieux et l’extraordinaire sont de mise pour ce premier récit du « cycle des Xeelees ».
Aussi, ami lecteur, installez-vous confortablement, réglez l’éclairage de manière optimale, coupez votre téléphone portable et laissez-vous guider par votre imagination. La tâche est simple : Stephen Baxter est aux commandes.