Bucconeer, une Worldcon chez les pirates

Landernau |

dumay-worldcon-uneC'est en ce 17 août 2011 que débute à Reno, Nevada, la 69e Convention Mondiale de science-fiction, au cours de laquelle seront décernés les fameux prix Hugo. Un événement que l'on regrette de ne pas voir plus souvent sur le sol européen. En 1998, Gilles Dumay avait effectué le déplacement jusqu'à Baltimore, théâtre de la 56e Worldcon. Dans un compte-rendu paru originellement dans le Bifrost n°10, il nous avait fait part d'une expérience unique en son genre, que le blog vous propose de redécouvrir.

Départ

Alors que je prépare ma valise pour Bucconeer, je me remémore mes seuls souvenirs de Glasgow, la première Convention Mondiale à laquelle je me suis rendu en compagnie de Serge Delsemme et Anne Smulders, que je venais de publier peu de temps auparavant dans Destination Crépuscule 3. Avec nous se trouvait aussi le critique Jean-Pierre Lion. C'est avec un certaine appréhension que j'attends Bucconeer : sauf surprise de dernière minute, je sais d’ores et déjà que j'y serai le seul Français. Je n'ai pas de réservation d'hôtel et j'ai dû changer mon billet d'avion en catastrophe pour cause de surbooking. Bien heureusement, mon subconscient élaboré un plan machiavélique pour me faciliter la tâche… Ainsi, trois jours avant le départ, me précipitant dans les escaliers pour répondre au téléphone, je tombe et me brise un des os de la main (la droite évidemment). C'est donc la main bandée, douloureuse car j'ai refusé d'être plâtré, condition sine qua non pour pouvoir conduire la voiture que j'ai louée, que je quitte la France non sans quelques difficultés au vu du poids de ma valise (32,5 kg — c'est lourd les bouteilles d'alcool, les livres…).

Trois avions (Paris->Zurich->Boston->Philadelphia) et 17 heures de voyage plus tard, je prends ma voiture de location et l'autoroute 96 jusqu'à Baltimore. J'ai quitté la France à 5 heures du matin. J'arrive à 18h00 heures locale, auxquelles il faut rajouter 6 heures de décalage horaire, je me plante dans le premier motel pas cher de la banlieue de Baltimore pour manger un morceau au milieu de routiers plus vrais que nature. Et dormir. Un peu. Je resterais dans ce motel pendant tout mon séjour, incapable de trouver un autre endroit à moins de 100 $ la nuit.

Mercredi 5 août

Décalage horaire aidant, je quitte le motel assez tôt pour pouvoir convenablement repérer les lieux de la convention. Baltimore m'apparaît comme une cité américaine-type, un downtown avec ses tours de verre et d'acier, une immense banlieue résidentielle autour, et, plus original, un port ultra-touristique (trop touristique). Après avoir garé ma voiture de location dans un immense immeuble-parking haut de sept étages en plein cour de Baltimore, je me rends sur le site principal de la convention (the Baltimore convention center). Là se trouve la Dealer's room (où l'on achète des livres, posters, K7 vidéos, épées à double tranchant, dragons en plastique…), l'Art Show (l'expo de la convention), et la plupart des conférences. Les projections cinéma ont lieu à l'hôtel Omni, les signatures prestigieuses et les cafés littéraires au Marriot. La première chose qui marque sur une worldcon, c'est le gigantisme de l'entreprise : 3000 à 6000 participants et un staff de plusieurs centaines de personnes. Il y a même des trottinettes électriques pour ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas marcher. Ce qui choque, surtout, c'est l'obésité de la majorité des participants. Moi qui pèse 90 kg pour 1,78 mètre, je me sens presque maigre au milieu de cette foule démesurée. On souffre vraiment pour eux, et, corollaire, on a envie de se mettre aux légumes bouillis, à la salade. Je fais un tour rapide du site non sans apercevoir John Norman (c'est pas ma faute !), puis vers midi je me rends à la première conférence, une joyeuse tentative de définition de la Fantasy. Gene Wolfe et Walter Jon Williams étaient annoncés, mais ne sont présents que Kiv Johnson, Nancy Springer et Lawrence Watt-Evans. La discussion est animée, bordélique et franchement amusante. Comme quoi les américains sont (eux aussi) infoutus de définir ce qu'est la Fantasy. Puis je me rends à la lecture de Stephen Baxter. Après trente minutes d'attente, (où est la star ?) je me rabats sur l'Art Show où seront exposés en tout près de 100 artistes. Grosse déception : à part Jim Burns dont les toiles sortent du lot, le reste paraît très amateur, peu intéressant. Beaucoup d'illustrations informatiques. Mais à ce moment de la convention, toutes les œuvres ne sont pas encore déballées.

15h00 : cérémonie d'ouverture. Quatre musiciens folks, déguisés en pirates, interprètent quelques chansons à boire dont ils ont détourné les paroles. Ils ont dû répéter au rhum car, aussi bien pendant qu'après le concert, l'ambiance est plutôt « hot ». Puis discours chiantissime de l'officiel de service (nous tenons à remercier la ville de Baltimore, l'association de lutte contre la cigarette, les éboueurs de Baltimore, la fiancée du pirate, le hollandais volant… ). Un discours précédant l'arrivée de Charles Sheffield qui, en bon toastmaster, allie bons mots et touches personnelles pour présenter les différents invités d'honneur. Puis grand moment d'émotion : Sheffield lit une lettre de Charles Harness qui regrette d'être absent à cette grande fête. À 16h30, c'est la Queen's Reception. Je prends un verre avec Nancy Kress, Charles Sheffield et Andy Duncan. Je remets à Nancy son Prix Ozone 97, meilleure nouvelle étrangère pour « Danse aérienne », publiée chez Bifrost/Étoiles Vives. Je lui apprends qu'elle a aussi eu un Grand Prix de l'Imaginaire pour « L'une rêve et l'autre pas ». Ce qu'elle ignorait. À 18h00, après sa conférence sur le travail de recherches historiques, Walter Jon Williams répond « oui » à mon invitation malhonnête d'aller se jeter une mirabelle de Lorraine derrière une cravate virtuelle que ni l'un ni l'autre ne portons. La discussion se poursuit jusqu'à 20h30. Il faut dire que l'alcool est proscrit sur tout le lieu de convention (ainsi que le tabac, dans tous les lieux publics). Et les bouteilles de derrière les fagots importées en toute illégalité, enveloppées dans un sachet en papier pour plus de discrétion, aident pas mal à nouer le contact. Le courant passe avec Walter Jon Williams. Nous évoquons ses textes, évidemment, son ami Howard Waldrop, le dernier chef d'œuvre en date de Michael Swanwick: « Mother Grasshoper », où l'humanité colonise l'œil d'une sauter le géante. La discussion dérive sur les indiens navajos et le Nouveau Mexique où habite Walter Jon. Il me parle longuement de Tony Hlllerman, pour lequel semble avoir un grand respect. Vers 21h00, c'est le gros morceau de la journée : la conférence vedette. Charle Sheffield, Hal Clement, Jack McDevitt et deux scientifiques se proposent d'expliquer d'un point de vue scientifique (rigoureux) n'importe quoi. Exemple : pourquoi les vaisseaux font du bruit dans les films de SF, pourquoi les gens sont allés voir Godzilla, et comment Bill Gates a réussi vendre Windows 98 aux aliens d’Independence Day. La salle est morte de rire, évidemment. Exemple d'échange :

Q : Pourquoi les aliens viennent-ils kidnapper et violer les femmes américaines uniquement ?

R : C'est la meilleure solution qu'ait trouvée le gouvernement Reagan pour soutenir la natalité.

Après la conférence, je discute avec Jack McDevitt. Nous parlons de son très bon texte, « Time Travelers never die » (inédit en français). McDevitt est quelqu'un de très gentil, très simple. Nous nous échangeons nos adresses. Vers 22h00, je me rends à la soirée San Francisco 2002. J'espérai y rencontrer Pat Murphy. Elle ne vient pas aux conventions, me dit-on. Aaargh ! Pas d'alcool à cette soirée, ni aux autres que je traverse, dépité… écœuré aussi (au propre comme au figuré) par les amoncellement de junk food. Je flâne un peu, discute avec quelques fous-furieux déguisés en dragonslayers tout droits sortis de Dragonheart. Ils sont trop atteints pour moi, surtout (presque) à jeun. La grosse différence entre une convention française et une convention US, c'est qu'eux sont vraiment fous. Mais pas dangereux (sauf pour les dragons), alors on les laisse en liberté. Pas loin d'une heure de bagnole pour rentrer à mon motel sur l'interstate 95. Et c sera comme ça chaque matin et soir. Dodo!

Jeudi 6 août

C'est le cœur serré que je me réveille à une heure inavouable (5h00 — putain de décalage horaire !). Aujourd'hui je vais voir mon idole personnelle, Michael Swanwick. Thé littéraire à 16h00 : je trépigne d'avance (ces c… d'organisateurs ont d'ailleurs mis Robert J. Sawyer à la même heure ; faut dire qu'il y a dans une worldcon cinq à six conférences par heure et autant de signatures : il est impossible de tout faire, on picore, on fait des choix). Comme il ne se passera rien avant 10h30, je vais faire les magasins. On trouve de tout dans la galerie du bord de mer, notamment une boutique de couteaux et d'épées : reproduction de celle de Conan, d'Excalibur (version John Boorman), et même celle du Kurgan (Highlander). Là j'hésite, mais je me vois bien avec ça dans l'avion : le truc pèse quinze kilos et mesure un mètre cinquante. Je me rends au Planet Hollywood pour regarder les maquettes originales d'Alien Resurection splendides. Par contre, la bouffe y est dégueulasse, du genre cher, froid, huileux, trop cuit.

Il est temps d'y aller. Je prends mon petit programme. Je commence ma journée de conventionnaire avec une lecture de Joe Haldeman. Il se lance dans la lecture d'un des textes de son recueil None so blind. J'avoue avoir du mal à suivre, mais c'est tout de même quelque chose de voir ce géant de la littérature. Petite discussion après sa lecture : il me présente Gay, sa femme, et nous parlons de ce qui est pour moi son meilleur texte: « Graves » (« Les tombes », inédit en France). Joe a fait la guerre du Viêt-Nam. Il a été blessé là-bas. Sa vision de l'expérience est d'une cruauté terrible. Après, je me rends à la conversation « Two decades of cyberpunk » (20 ans de cyberpunk). Pat Cadigan est présente et nous buvons un verre après le panel. Petite discussion polie. Pat est fatiguée par son voyage. Elle me présente Melissa Scott (très connue sur le marché américain, mais inconnue en France, du moins par moi). Melissa arbore un certain nombre de piercing et un tatouage agressif entre les seins (c'est pas ma faute si elle est petite et a un décolleté plus que plongeant !). Cheveux oranges pour compléter le tableau. Adorable (la discussion est intéressante mais j'ai quand même du mal à ne pas regarder ses seins, l'œil magnétisé par le tatouage).

Dans le couloir, je rencontre Darrell Schweitzer, en short et sandales, chemise ouverte, complètement halluciné (je sais pas ce qu'il prend, mais c'est de la bonne). Il m'inonde de livres (il se promène avec un nombre incroyable de sacs bourrés à craquer d'exemplaires de ses ouvrages). Je repars de la discussion alourdi de trois kilos de bouquins que je ne lirais probablement jamais. Je me rends en vitesse à la conférence d'Hal Clement et G. David Nordley, sur les catastrophes spatiales. La salle de 300 places est bourrée à craquer, la conférence joyeuse car il est beaucoup question de la connerie des autres (comprenez l'ex-URSS). Après le panel, je réussis à approcher Nordley, à faire quelques photos. Je vais faire un tour au Art Show qui est fini d'être installé. Je reste cloué devant les tableaux de Bruce Jensen. Je sors à temps pour le thé littéraire de Swanwick à 16h00. La réunion en elle-même s'arrête à 17h00, mais nous poursuivons la discussion jusqu'à 18h30, l'arrosant de mirabelle de Lorraine,

En sortant du thé littéraire je tombe sur Robert J. Sawyer, dont je viens d'acheter une nouvelle. Exubérant, il me parle beaucoup de Yellow Submarine, le fanzine d'André-François Ruaud. Nous nous mettons d'accord pour faire une interview via l'internet dans les semaines à venir. Un Canadien en appelle deux autres et je dîne donc avec Yves Meynard et Jean-Louis Trudel Longue discussion au sujet de contrats, de la SF québécoise, et de l'infect bouffe nord-américaine. Infecte et chère. À 22h00 je ne peux rater la soirée cinéma Hong-Kong, avec pour commencer Wicked City, une sorte de mélange de Men in Black et du Festin Nu version Cronenberg. Je tiens pas au-delà de la première demi-heure (pas dans l'état d'esprit de regarder un film gore, d'autant que c'est un genre qui ne m'intéresse pas). Je me rabats sur les différentes soirées dont une où je rencontre (damned!) Darrell Schweitzer qui m'inonde à nouveau de livres qu'il est spécialement allé chercher dans sa chambre d'hôte (j'ai des doubles, si ça intéresse quelqu'un). Exténué par une discussion passionnée avec un fan sud-africain au sujet de Greg Egan, je rentre à mon motel. Dodo vers 1h30 du matin.

Vendredi 7 août

Le vendredi sera la journée des rencontres. D'abord Esther M. Friesner, « the queen of the hamsters ». Nous parlons surtout de jeux de mots idiots de ses textes que Michèle Charrier et Patrick Marcel adaptent pour le public français. Puis rencontre prolongée avec James Patrick Kelly. Adorable, il n'y a pas d'autre mot. Je venais de lire nombre de ses nouvelles pour la publication de son premier recueil français, chez Étoiles Vives/Bifrost. Je déjeune avec Andy Duncan et sa charmante épouse. Andy a été l'élève de Michael Swanwick et il est nominé pour le prix Hugo pour la première fois de sa vie. Plus tard, rencontre tonitruante avec John Kessel, qui doit culminer à deux mètres. Kessel fait partie de ce gens passionnés qui sont très acides ou très enthousiastes — tout est blanc ou noir. La discussion est sympa car je viens de lui acheter plusieurs textes et il m'avoue qu'il s'agit de ses préférés, de ceux qu'il a mis le plus de temps à écrire. S'ensuit une longue rencontre avec Mark V. Ziezing, un éditeur de small press dont chaque publication est une œuvre d'art et qui vient de publier Back in the USSA, le fix-up des camarades Eugene Byrne et Kim Newman.

Arrive l'heure de la cérémonie des Hugos où tous les plus grands auteurs du paysage américain sont présents, de Robert Silverberg à Hal Clement en passant par Georges R.R. Martin. Connie Willis fera hurler de rire la salle en déclarant que malgré ce que pourrait laisser supposer la couleur de sa robe et des taches éventuelles, elle n'est pas Monica Lewinsky. Comme d'habitude, les Hugos ne récompensent pas l'audace puisque Joe Haldeman l'obtient avec Forever Peace (qui est un bon bouquin mais très en dessous de son dernier mainstream), alors que le Jack Faust de Michael Swanwick était en lice. Pire pour la short story: c'est Mike Resnick qui remporte la palme avec « The 43 antarean dynasties », alors qu'à mon avis c'était la plus faible des nominées. Seul Bill Johnson obtient un Hugo amplement mérité avec sa novelette « We will drink a fish together », une histoire de diplomatie spatiale tordante, un très bon texte même si j'ai préféré « Three hearings of the existence of snakes in the human bloodstream », par James Alan Gardner (à ne pas confondre avec Craig Shaw Gardner). Pour la novella, Allen Steele gagne avec… « Where angels fear to tread », face à Robert Reed pour « Marrow » (quel texte !), « Ecopoeïsis » de Geoffrey A. Landis et « The funeral march of the marionettes » d'Adam-Troy Castro (quelque chose me dit que vous pourrez bientôt lire une traduction de ce dernier texte…).

À la sortie de cette soirée animée par Charles Sheffield, déguisé en pirate avec cicatrice suppurante et perruque noire (!), je rencontre Stephen Baxter en costume, d'une élégance rare. Nous parlons peu ; il a de nombreuses obligations officielles. Je me rends ensuite à diverses parties dont la plus succulente est la soirée japonaise (pour une raison qui m'a échappée, les Japonais sont les seuls à servir de l'alcool, alors que c'est en principe strictement prohibé). Peut-être est-ce parce que la partie est privée, sur invitation, mais comme seul représentant de la France, je fais partie des invités (quelle rigolade ! une jeune fille en kimono s'occupe de moi). Je suis admis après quelques modifications vestimentaires minimes, bandeau de samouraï entre autres. Nous buvons du saké et je leur fais goûter une bouteille d'alcool de framboise sauvage de Savoie (43°). Ils adorent et torchent à trois la bouteille sans trop de difficulté. Puis viennent les photos d'usage (mon portrait en compagnie d'une jolie geisha doit être disponible dans tous les librairies de SF au Japon : ils ont dû me confondre avec le sémillant Serge Lehman !). Après une période de solide résistance de ma part pour ne pas acheter une tonne de mangas et un godzilla en peluche rose-orange, je m'éclipse sur « Europa », la soirée jupitérienne (avec un verre plein de saké, mes réserves personnelles étant à zéro). Là, rencontre avec Darrell Schweitzer. Pendant une seconde je me vois écrasé par un tsunami de livres de Schweitzer, mais il se contente de me faire un petit signe de la main. Ouf! Je rentre me coucher à 1h15.

Samedi 8 août

Une journée peu remplie qui ne débute qu'à 10 heures avec la conférence de David Brin au sujet du film de Kevin Costner, The Postman. S'il n'y avait pas le chèque qu'il a reçu poux les droits d'adaptation de son livre Le Facteur, on souffrirait atrocement pour cet homme meurtri dans sa chair et son âme. Il passe non loin d'une demi-heure à se plaindre du film. Il exprime avec beaucoup de sincérité sa colère, ses regrets, et le fait que Kevin Costner ne l'ait pas du tout écouté. « J'ai écrit un livre que je voulais réaliste, un anti Mad Max, car si une fin du monde économique devait arriver; les gens ne vivraient pas dans les déserts, c'est complètement idiot, ils iraient là où il y a de l'eau. A cause des costumes, du scénario, et du grand esprit américain qui caractérise le personnage principal, le film est presque un négatif de mon livre. Ils ont fait ce que je redoutais le plus : un film stars & stripes (NDE : référence au drapeau américain). » Le speech de Brin précède la projection du film. Il est amusant de voir que la moitié des gens quitte la salle de projection avant que celle-ci ne commence. Ils n'étaient visiblement venus que pour la conférence de Brin. Je sors à 13h30, le film — en tant que tel — ne m'a pas franchement déplu, mais il est beaucoup trop long, trop manichéen le méchant est très très méchant, le gentil semble sponsorisé par une marque de complément capillaire. Dommage car il y a dans ce film quelques images saisissantes. Le plus tragique dans l'histoire, c'est que le discours de David Brin, qui m'avait paru agaçant, devient au contraire très modéré, presque poli. Me souvenant vaguement du livre et ayant vu le film, je peux dire que l'adaptation est ce qu'on appelle poliment une boucherie. On imagine avec des frissons de regrets ce qu'un réalisateur subtil comme John Boorman ou Robert Altman aurait pu faire avec un tel matériel, de tels moyens financiers et d'autres acteurs.

Vers 14h00, je déjeune avec Andy Duncan et sa femme. Puis je me rends à quelques conférences dont celle que je ne veux surtout pas rater : les archétypes de la Fantasy. Après la conférence, je rencontre Gregory Feeley, autre grand écrivain inconnu en France à qui j'ai acheté des textes. Il me regarde avec un regard plein de compassion.

« C'est toi qui va les traduire ?

– Non.

– Je te donne mon e-mail pour le traducteur car beaucoup de termes utilisés dan ces textes sont issus de l'anglais du XVIIe siècle et inconnus, même des Américains. Je pense que les textes que tu as achetés sont impossibles à traduire sans mon aide. »

J'avoue que je savais les textes difficiles traduire, mais après un quart d'heure de discussion avec Feeley j'ai le moral à zéro. Dans les couloirs, je rencontre Michael Swanwick, qui pour l'occasion (Bucconeer, ce qu'on pourrait traduire par « boucanier »), semble s'être fait percer l'oreille. Il arbore un immense anneau en or. Le résultat est surprenant. Il est amusant de voir à quel point ce type très érudit est gamin et espiègle. Je lui demande pourquoi' il y a toujours du sexe, de façon plus ou moins explicite, dans ses textes. Il répond : « J'aime beaucoup le sexe, et dans un pays puritain comme les États-Unis c'est plutôt une preuve de bon goût. » Dans la soirée je rencontre Adam-Thoy Castro, Sud Sparhawk. Encore des auteurs à qui j'ai acheté des textes, mais le contact ne se noue pas vraiment. Je vais dîner avec Mark V. Ziesing et sa: femme Cynthia. Puis nous nous rendons ensemble à la « Masquerade » (sorte de défilé en costumes, un événement traditionnel, commun à chaque Worldcon). Nous ne restons pas jusqu'au bout, le défilé est interminable et très inégal, certaines des petites pièces jouées par les acteur sont succulentes, d'autres absolument surréalistes par, leur manque d'intérêt. Meilleur moment l'apparition d'un monolithe noir avec une voix caverneuse qui dit : « Tout le monde a oublié quelle était la: question, mais la réponse est… » Le monolithe tourne lentement sur lui même pour arborer un splendide « 42 ». La salle explose d'un grand rire communicatif, applaudit, crie… Après avoir bu un verre avec Mark et Cynthia, je me rends à la soirée Ed Wood où j'assiste au combat dément des participants costumés avec une immense pieuvre en peluche. Il est temps de rentrer.

Dimanche 9 août

La convention prend fin à 16h00, mais j'ai trop de route à faire pour rester jusqu'à la cérémonie de clôture. J'ai juste pris un rendez-vous avec Geoffrey A. Landis à 11h00 pour les contrats de son recueil à paraître chez Bifrost/Étoiles Vives. Landis est un des scientifiques qui a participé à la mission Pathfinder. Il a reçu de nombreux prix et nominations pour ses textes de fiction, dont trois à ce jour ont été publiés en France dans la série Isaac Asimov présente… Je dis au revoir à Michael Swanwick qui en profite pour me présenter un tout petit homme timide : Alexander Jablokov. En quittant Baltimore, je fais un bilan de cette convention mondiale. Un bilan très positif. J'ai rencontré tellement de gens passionnants… Je n'oublierais jamais la soirée japonaise, la rencontre avec Walter Jon Williams, James Patrick Kelly en smoking, le torticolis occasionné par ma discussion avec John Kessel… Mais je regrette tout de même d'avoir été le seul français présent. Je me suis d'ores et déjà inscrit pour Chicago en l'an 2000. Faites en autant si ça vous démange, vous ne le regretterez pas, et comme ça on sera plusieurs à porter les bouteilles… Évidemment, rien ne vous empêche de vous rendre en Australie en 1999, et à votre tour de faire un compte-rendu pour Bifrost, la seule revue française présente à la Worldcon 98.

Gilles Dumay, from the US(S)A

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