Rétrocipation : Mars 1960

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Vous aurez beaucoup parcourir en long, en large et en travers les allées du Salon du Livre de Paris, vous aurez bien peu de chance d'y croiser Richard-Bessière, Maurice Limat ou JH Rosny-Aîné. C'est pourtant ces auteurs, parmi d'autres, qui font la une du blog Bifrost en ce week-end où tous les regards sont braqués sur le monde du livre grâce, comme chaque mois, à la faille spatio-temporelle qui relie le blog Bifrost au début des années 60. Découvrez ou redécouvrez toutes les parutions littéraires et sorties cinéma du mois de mars 1960 pour les genres qui nous intéressent, grâce à notre intrépide reporter de l'impossible, Albert Ledou, en direct du passé, et souvenez-vous d'un temps où le livre électronique n'était même pas de la science-fiction !

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F. Richard-Bessière
Terre Degré “0”
(Anticipation n°153, Fleuve Noir)

Il plane sur le nouveau roman de F. Richard-Bessière un persistant parfum de fin du monde. Une guerre entre les Etats-Unis et la Russie a fait des centaines de millions de morts, et lorsqu’à la suite de l’explosion d’une bombe expérimentale les rayons du soleil ne parviennent plus à franchir la couche d’ozone de l’atmosphère terrestre, c’est l’ensemble de l’espèce humaine qui risque de disparaitre à très court terme. Son unique espoir repose désormais entièrement sur les épaules d’un scientifique qui a conçu un sérum centuplant les capacités du cerveau. Son intelligence ainsi développée devra lui permettre de trouver la solution au problème posé, et peut-être de permettre à l’humanité de progresser vers un stade supérieur de son évolution.

Cette fois, on ne pourra pas reprocher à Monsieur Bessière d’être avare en idées tant ce nouveau roman s’avère foisonnant. On serait presque tenté de lui faire la critique inverse, certaines coïncidences nous apparaissant trop invraisemblables, mais la qualité d’ensemble du récit nous fait oublier ces quelques faiblesses. Les rebondissements sont nombreux, et surtout Terre degré “0” baigne en permanence dans une ambiance de chaos que le romancier restitue très bien à travers le point de vue de son narrateur sur les évènements en cours. Même la conclusion de cette histoire évite tout manichéisme. Les lecteurs qui recherchent dans la science-fiction des avenirs meilleurs ne goûteront sans doute pas cet univers sinistre, les autres devraient reconnaitre sans mal qu’il s’agit de l’une des meilleures œuvres de son auteur.

Maurice Limat
J’écoute l’Univers
(Anticipation n°154, Fleuve Noir)

L’autre nouveauté de la collection est malheureusement moins enthousiasmante. Ce troisième roman pour la collection « Anticipation » de Monsieur Limat souffre des mêmes défauts que les précédents, notamment une écriture ampoulée frisant le ridicule, en particulier lors des dialogues. L’histoire est celle d’une menace d’invasion extraterrestre visant la Terre, que seul un enfant en bas âge semble en mesure de stopper. Le choix d’un tel héros permet au romancier de décrire quelques scènes tout à fait inattendues, comme ce duel à mort entre un gigantesque dragon cracheur de feu et… un ours en peluche ! Je vous laisse deviner qui en sortira vainqueur.

Même si de tels moments procurent une distraction inattendue, le roman dans son ensemble souffre de trop de défauts pour être réussi. Les envahisseurs ne sont qu’une menace indistincte dont on ne saura jamais rien, les moments spectaculaires sont trop souvent bâclés en une ligne (une armada de plusieurs milliers de vaisseaux spatiaux est balayée en trois paragraphes !), les personnages fades. Voilà donc une lecture plutôt ennuyeuse que je me garderais bien de conseiller.

Marianne Andrau
Les Faits d’Eiffel
(Présence du Futur n°37, Denoël)

Les éditions Denoël ont précédemment publié plusieurs romans fantastiques de Marianne Andrau, dont D.C. (Doom City) et Le Prophète, ainsi qu’un premier recueil de nouvelles intitulé Lumière d’Epouvante. On ne s’étonnera pas de voir cette nouvelle publication rejoindre la collection « Présence du Futur », les textes qui le composent appartenant aux genres qui nous intéressent.

S’il fallait faire un tri plus sélectif encore, on classera ces nouvelles du côté du fantastique plus volontiers que de la science-fiction. Un fantastique en général des plus classiques, comme dans « La Renégate », le plus long texte du recueil, narrant une histoire d’amour d’outre-tombe, voire aimablement désuet, lorsqu’elle s’essaie au conte pour enfant et raconte le destin de deux frères, l’un gigantesque, l’autre minuscule (« Krispi et Gordevoil  »). Les textes sont très variés, et Marianne Andrau passe sans mal d’un hommage solennel à la Mère Nature (« L’Arbre ») à une fable ironique sur les problèmes de communication d’un couple en apparence ordinaire (« Malentendu »).

Peut-être pourrait-on classer les deux premières nouvelles de ce recueil comme des œuvres de science-fiction, si ce n’est que Madame Andrau n’accorde aucune attention à la rigueur scientifique ou à l’extrapolation. «  Les Faits d’Eiffel » est l’amusant et surréaliste récit du combat des Parisiens contre une Tour Eiffel devenue folle. Quant à « La Planète Inexistence », l’auteur donne à cette exploration d’un monde invisible une forte coloration religieuse.

S’il ne contient pas de textes exceptionnels et donne plutôt l’impression d’un exercice de style réalisé avec application, Les Faits d’Eiffel mérite néanmoins que l’on s’y intéresse et trouve sans mal sa place au sein de la collection.

J. H. Rosny Aîné
Les Navigateurs de l’Infini
(Le Rayon Fantastique n°69, Hachette)

Quelle agréable surprise que de retrouver Monsieur Rosny Aîné, illustre précurseur de la science-fiction francophone, dans la collection du Rayon Fantastique. On est d’autant plus enchanté que ce volume, outre la réédition des Navigateurs de l’Infini, paru initialement en 1927, propose également sa suite, Les Astronautes, inédite à ce jour.

Ce roman conte la découverte de la planète Mars par trois explorateurs français. La rencontre des autochtones donne lieu aux passages les plus intéressants du récit. Ces derniers, quoique fort différents de nous, et même particulièrement étranges (ils possèdent, entre autres particularités, trois jambes et six yeux), nous apparaissent dans toute leur fascinante beauté à travers les yeux émerveillés du narrateur. Une beauté teintée de tragédie, ce peuple semblant condamné à disparaitre tant les conditions de vie sur Mars semblent difficiles. L’arrivée des trois Terriens leur apportera de nouvelles raisons d’espérer.

Les Astronautes ramène nos intrépides aventuriers sur Mars, accompagnés cette fois d’une jeune femme, Violaine. Sa présence offre l’opportunité à Monsieur Rosny Aîné de décrire un étonnant triangle amoureux, sans jamais être graveleux mais au contraire en insistant sur la pureté d’une telle relation.

Si dans ses premiers chapitres cette seconde partie n’évite pas quelques redondances dans la description de Mars, elle trouve tout son intérêt et son sens lorsque le romancier s’intéresse à une nouvelle forme de vie, plus singulière encore que la précédente.

De par l’importance historique qu’a eu J.H. Rosny Aîné aux origines de la science-fiction française, il n’est que justice que son œuvre soit à nouveau disponible en librairie pour les lecteurs d’aujourd’hui. Une réédition d’autant plus indispensable que Les Navigateurs de l’Infini figure parmi les meilleures créations de son auteur, et demeure toujours aussi passionnant, plus de trente ans après sa rédaction.

Fiction n°76

Le hasard faisant bien les choses, on trouve au sommaire du nouveau numéro de Fiction le petit-fils de Rosny, R. Borel-Rosny qui, en compagnie de son épouse, signe un récit fantastique non dénué d’un certain charme, « Sous le vieux Pont-Neuf  », un drame familial que l’amour et une intervention surnaturelle finiront par régler. Dans un registre proche, Jean-Charles Pichon fait se confronter un homme âgé et l’enfant qu’il fut jadis, tandis que Theodore Sturgeon, dans «  Douce-Agile ou la Licorne », revisite à sa façon toute particulière un conte fabuleux.

« Le Diadème » est un très intéressant texte signé H. Beam Piper. Nous y découvrons une Terre future, berceau de l’expansion galactique, devenue au fil des siècles une arrière-cour spatiale gelée et arriérée. Son héros, vieil homme solitaire vivant en compagnie de ses deux chiens, a hérité de ses ancêtres d’un diadème, symbole d’une civilisation disparue, qu’il est chargé de protéger. Une mission en apparence dérisoire, pour laquelle il est pourtant prêt à sacrifier sa vie. H. Beam Piper signe une fort bonne nouvelle, à la fois dans la description de cet environnement hostile et dans le portrait touchant qu’il fait de son personnage principal.

Autre texte digne d’intérêt, « La Fille de l’espace » de Lester Del Rey interroge les relations hommes-femmes à l’occasion d’un voyage vers la planète Mars. Un récit qui fera peut-être grincer quelques dents mais qui mérite d’être découvert. On n’en dira malheureusement pas autant de « Le Souvenir et la réflexion » de Mark Clifton, la plus longue nouvelle du numéro mais hélas la moins bonne. Cette histoire d’un petit groupe d’humains dotés de pouvoirs psi participant à la construction d’une fusée expérimentale aurait sans doute été davantage intéressante si elle n’avait pas été racontée du point de vue d’un personnage pour l’essentiel extérieur à l’action. Signalons pour terminer un court récit de James Blish, « Les Ongles  », intéressante vignette dans laquelle on découvre une méthode inédite pour lutter contre le pouvoir politique en place.

Satellite n°27

Autant Fiction conserve au fil des mois une qualité globale tout à fait satisfaisante, autant Satellite me semble filer un mauvais coton. Je n’ai pas souvenir d’avoir lu un numéro aussi mauvais que celui-ci.

Dans « L’Hôte » Jacqueline Osterrath raconte l’intervention sur Terre d’un extraterrestre chargé de juger si la planète est suffisamment évoluée pour rejoindre la Grande Ligue Galactique. On peut toutefois s’étonner de la méthode choisie, puisqu’il va prendre possession du corps d’un humain pour lui faire commettre les pires horreurs. Il y a de quoi s’interroger sur les valeurs morales de l’extraterrestre qui manipule ainsi sa victime, et surtout sur la valeur d’un tel test. Ce que ne fait jamais l’auteur, préférant nous assommer de détails sur la vie familiale finalement bien quelconque de ses protagonistes.

Invasions extraterrestres encore dans les médiocres « Tête de pont » de T.E. Bethlen et «  La Conquête des invisibles » de Selen Silver. Dans le premier texte elle sera repoussée par le plus grand des hasards, dans le second elle commence à peine. Les autres courtes nouvelles sont moins intéressantes encore.

Mais il y a pire : les lauréats du Prix Satellite. Les apprentis écrivains étaient invités à répondre à cette question : Pourquoi voulez-vous aller dans la Lune ? Le résultat est un pot-pourri de vignettes plutôt que de nouvelles, insignifiantes pour la plupart. Le prix a ainsi été attribué à Monsieur Théodore Pontzen pour «  Ceci est mon testament », où l’auteur témoigne de sa volonté de se rendre sur la Lune afin d’y proclamer un message de paix universelle. L’intention est certainement louable, mais l’intérêt nous échappe quelque peu. Les autres lauréats nous donnent à lire la description d’un voyage de la Terre à la Lune, très factuelle pour Jacques Legendre, plus fantaisiste pour Henri Mertullin, voire carrément farfelue sous la plume de Fernand François. Dans tous les cas, nous conseillerons plutôt la relecture de On a marché sur la Lune de Monsieur Hergé, autrement plus distrayant et inventif.

Le pire reste à venir. Dans la partie Hypothèses de la revue, nous n’avons pas droit à un mais à deux courts romans. Dans « Le Bouchu et ceux d’ailleurs » de J. Meyer, il est une nouvelle fois question d’une invasion extraterrestre. Cette fois, leurs plans de conquête seront anéantis par le proverbial bon sens paysan d’un brave bougre qui a vu ces créatures atterrir dans son champ. Une histoire peu amusante et beaucoup trop longue.

On atteint des abîmes de nullité stupéfiants avec « Mission sur Palemon » d’un certain Peveril. Je soupçonne ce dernier d’être un charmant quoique peu doué écolier, qui aura profité de ses jeudis libres pour rédiger avec application ce récit infantile d’espionnage spatial. Il aurait certainement été plus inspiré d’aller jouer au ballon avec ses camarades de classe. Dans tous les cas, je ne peux envisager un seul instant qu’un adulte ait pu commettre une telle ineptie. Et je ne trouve aucune explication à la présence de ce navrant enfantillage dans les pages de Satellite. Par pitié, messieurs, ressaisissez-vous !

Les Yeux sans Visage

Quelle joie d’avoir l’occasion de consacrer quelques lignes à un film français, lequel n’a d’ailleurs pas à rougir de la comparaison avec ceux qui nous parviennent d’Angleterre ou d’Amérique. Bien au contraire ! Les Yeux sans visage, adapté du roman éponyme de Jean Redon paru l’année dernière dans la collection « Angoisse », est sans doute ce que j’ai vu de mieux en salle depuis fort longtemps.

Avant tout, mieux vaut avertir les spectateurs sensibles que ce film donne à voir quelques scènes (et une en particulier) d’une horreur qu’ils pourraient juger insoutenable. A ces derniers nous déconseillerons d’emblée son visionnage.

Les autres sont invités à découvrir de toute urgence cette histoire tragique, celle d’un père, scientifique de renom, prêt à tout pour rendre à sa fille le visage qu’elle a perdu dans un accident, jusqu’à kidnapper d’innocentes jeunes femmes qui lui serviront de cobayes.

Le personnage du Docteur Génessier, auquel l’interprétation admirable de Pierre Brasseur apporte à la fois noirceur, solennité et une profonde lassitude, est des plus fascinantes. Il est difficile de porter un jugement moral péremptoire sur lui, tant le mal qu’il incarne puise sa source dans un amour sincère et désespéré. Le rôle que joue sa fille est tout aussi ambigu, complice silencieuse de la folie de son père et figure ô combien tragique, dissimulant en permanence ses traits défigurés sous un masque d’albâtre.

Il convient enfin de louer les talents de metteur en scène de Monsieur Georges Franju, alternant avec brio des scènes d’un esthétisme inouï et d’autres qui vous glaceront les sangs. Entre beauté pure et horreur absolue, Les Yeux sans visage est à voir absolument.

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