Celui qui refusait d'être culte, un entretien avec Lucius Shepard

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A l'occasion de la parution de du recueil Sous des cieux étrangers de Lucius Shepard, le blog Bifrost extirpe de ses archives une interview réalisée pendant les Utopiales 2006, il y a plus de trois ans et paru dans le numéro de Bifrost qui lui était consacré. Découvrez un auteur atypique, capable, rien que pour le plaisir d'enquiquiner une modératrice de table ronde, d'inventer un auteur de toutes pièces... et capable d'écrire les romans supposément attribué à cet écrivain fictif, toujours pour le plaisir, celui cette fois d'écrire des phrases longues de plusieurs pages. Découvrez un auteur qui emploie autant d'énergie à ses écrits qu'à son engagement aux côtés des populations exploitées d'Amérique du Sud, et qui avoue bien volontiers qu'il troquerait son statut d'auteur culte contre de meilleurs revenus...

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Cette interview de Lucius Shepard, réalisée par Patrick Imbert en novembre 2006 à Nantes, a été précédemment publiée dans le Bifrost n°51, paru en juillet 2008. Les plus anglophones de nos lecteurs pourront l'écouter dans sa version audio (non traduite), sur un obscur site de téléchargement illégal ukrainien.

Votre vie d’homme avant votre vie d’écrivain… Vous êtes un grand voyageur, vous pouvez en parler ?

Ces derniers temps, je me balade beaucoup en Amérique Centrale. J’y étais encore, juste avant de venir ici, à Nantes. Au Nicaragua. Pour un film sur la Dole Food Corporation auquel je participe. On était dans une petite ville, près de la frontière avec le Honduras, au bord de la Coco River, un endroit magnifique… On interviewait des ex-employés de Dole, persécutés par leur entreprise, dans une ville côtière, un port bananier… Un tremblement de terre l’avait réduit à l’état de décombres. Il ne restait quasiment plus rien… Juste un simple quai, avec des prostitués, des marins… On a entendu de sales histoires… Mais bon, ça c’est tout récent. Sinon, j’ai pas mal voyagé en Asie, en Inde, en Thaïlande, au Cambodge, Au Vietnam. Et puis en Europe, aussi, en Espagne, un peu en France, en Grèce, en Egypte…

Restons en Amérique Latine. C’est une composante essentielle de votre travail…

J’aime beaucoup le Honduras. Je ne sais pas vraiment pourquoi. C’est un pays très spécial. La United Fruit Company l’a tenu d’une main de fer pendant plus d’un siècle, et ça ne fait pas très longtemps que les gens redécouvrent leurs propres traditions. Même les indiens ont vu leur culture un peu éclipsée par celle des autres ethnies, en Amérique Centrale… Mais la Mosquito Coast, c’est encore différent. Des traditions bien particulières, très spéciales… Je ne sais pas, ce pays possède une saveur incomparable. Ce n’est pas un beau pays au sens photographique du terme, mais il y a quelque chose… Une atmosphère, une ambiance, comme si quelque chose d’important peut se produire à tout moment… Je sais que ça à l’air très vague, dit comme ça, mais c’est justement ça qui me plaît. J’aime cette région, surtout les environs de Trujillo… Dès que j’y vais, je lis tout ce qui me tombe sous la main… Là, par exemple, je me documente beaucoup sur cette fameuse Mosquito Coast et sur les indiens qui y vivent. Ça ressemble vraiment à ce qu’était la vie il y a cents ans, voire deux cent ans… On trouve encore de vieux comptoirs européens, de vieux relais postaux installés le long de la rivière… De la boue partout, même sur le carrelage des banques, des villages perdus… C’est très rustique… La principale activité du coin, c’est la pêche à la langouste ; et les bateaux de pêches appartiennent tous aux trafiquants de cocaïne. Les plongeurs sont vraiment exploités. Ils servent de couverture au trafic vers les Etats-Unis, et en plus, ils plongent. Les capitaines les envoient tous les jours au fond, dix à quinze plongées par jour, à six, dix mètres de profondeur. C’est très risqué pour leur santé. Ils n’ont pas de matériel, pas de détendeurs, rien. Du coup, il y a énormément d’accidents de décompression, des paralysies, des bends, des barotraumatismes… On y rencontre plein de jeunes hommes apparemment en parfaite santé, musclés, très sains, mais totalement incapables de vous serrer la main. Ceux qui vivent de ça, quel que soit l’endroit où ils travaillent, ils finissent tous handicapés à un degré plus ou moins important. Alors on a lancé l’idée d’une association pour améliorer leur condition… Fournir des chaises roulantes, lancer des programmes artisanaux coopératifs pour paralytiques, etc. En faire des menuisiers, des réparateurs de bicyclettes… Ça fait 4-5 ans que je m’implique dans ce projet.

Vos implications sont politiques. On pense au documentaire consacré à la Dole Corporation dont vous parliez tout à l’heure, mais cet engagement n’est pas récent. Il a toujours été là.

Oui, ça fait maintenant plus de 30 ans que je vais régulièrement en Amérique Latine. J’ai commencé par le Guatemala… Aux Etats-Unis, je rencontre un type, pendant une soirée chez des amis, et il commence à me parler de son usine, au Guatemala. C’était le responsable de la Chambre de Commerce américaine à Guatemala Ciudad. Et il m’explique le plus sérieusement du monde que là-bas, les gens travaillent dans la joie, seize, dix-sept heures par jour [rires], vous voyez le genre… Ils n’avaient pas besoin de prendre beaucoup de précaution, question produits chimiques, ce genre de trucs… Ça m’a vraiment horrifié… Je me suis rendu compte que la plupart des entreprises américaines qui s’implantaient dans le sud du continent se servaient honteusement des standards du tiers-monde pour maintenir les coûts de production au minimum… Les employés mouraient, certains se blessaient gravement, d’autres s’empoisonnaient à petit feu. C’est à partir de là que j’ai commencé à m’impliquer.


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Vos voyages ont nourri votre œuvre littéraire, ce qui nous ramène à Lucius Shepard, l’écrivain. On vous a découvert en France comme auteur de nouvelles — Zone de feu émeraude, Le Chasseur de jaguar, etc. Ça se passe souvent en Amérique Latine, dans des mondes un peu détruits, décalés…

Oui, c’est bien mon univers, et ça va le rester. Je ne sais pas bien pourquoi, mais les Etats-Unis ne m’intéressent pas vraiment, pas en tant qu’écrivain. Bon, parfois, ça reste intéressant, bien sûr, mais disons qu’en général, l’Amérique Centrale m’attire plus. Surtout les gens. Je ne veux pas du tout me présenter comme celui qui « leur donne une voix », qui leur « donne conscience d’eux même », non non, c’est juste que ce monde-là m’attire, me plaît, tout simplement. Toute cette imagerie, l’immensité de la jungle, la pauvreté endémique, ça me fascine, j’ai toujours voulu écrire là-dessus.

Et parallèlement, avec un ouvrage plus récent — Handbook of american prayer —vous revenez aux Etats-Unis et vous vous intéressez à la mythologie américaine dans tout ce qu’elle a de glaçant pour un européen : la mainmise de la religion sur la politique et inversement… Ça c’est assez nouveau, non ?

Oui, effectivement. [Rires.] En fait, je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai écrit ce livre. Le titre m’est venu comme ça, un matin, au réveil, avec le nom du personnage. Je ne sais pas. Moi je suis du Sud, le sud profond. Là-bas, l’influence de la religion est très forte, et il y a beaucoup de cultes « primitifs », du genre revival, le culte du serpent, les cultes animistes, tout un tas de trucs comme ça. Gamin, je suppose que ça m’a impressionné. Mon père ne s’occupait pas de moi, alors c’était le prêtre de l’église baptiste qui me sortait de temps en temps. Je lui filais un coup de main… J’ai donc grandi au sein de l’église baptiste, avec les rassemblements, les mains levées, tout ça. Et ça m’a influencé, oui, bien sûr. Handbook of American prayer s’axe autour d’une seule idée tout simple : la haine de la religion telle qu’elle se manifeste aux Etats-Unis… Le prédicateur comme objet de culte, le prédicateur malhonnête, voleur, tout ça… Je ne sais pas à quel point je pensais à Bush en écrivant ce bouquin. [Rires.] Mais avec le recul, ça marche pas mal, surtout depuis qu’on a un président fondamentaliste.

Ce livre tutoie le blasphème… Le personnage principal invente une nouvelle religion, un nouveau dieu, et ce dieu va s’incarner dans un autre personnage qui intervient directement (enfin, à peu près) dans les affaires humaines. C’est un livre à charge, plutôt radical…

Oh, vous savez, les religions traditionnelles, aux Etats-Unis... L’église Baptiste, du moins... Eh bien leurs prédicateurs sont d’autant plus aimés qu’ils ont d’abord vécu dans le pêché et qu’ils ont fini par trouver le Seigneur. Rien ne plaît plus aux gens qu’un ancien pêcheur désormais absous. Nous avons quantité de prédicateurs véreux, des types qui ont régulièrement des problèmes avec la justice pour des histoires de prostitution. Et pour eux, les affaires marchent encore mieux après un bon petit scandale. Dans le livre, mon personnage s’inspire de ce genre de type, ces mecs qui arrivent à contrôler les autres par des moyens effrayants… Et donc, pour revenir à votre question, l’idée d’un Dieu nouveau, c’est presque culturel chez moi. Critiquer la nature même de la religion, de l’impulsion religieuse. En fait, même les principes constitutionnels des Etats-Unis sont assez fragiles, face à la religion.

Faisons un tour en France, maintenant. Aztechs, à ce jour votre dernier recueil en français, propose des nouvelles qui mettent en scène une réalité distordue. Tout dérive vers le fantasme, le flou, l’onirisme, un point que l’on retrouve dans le Handbook avec un passage d’anthologie où le héros — défoncé au LSD — tente d’échapper à des tueurs. Le glissement entre le réel et le fantastique… Tous vos livres y reviennent à un moment ou à un autre.

Oui, d’ailleurs je perds pas mal de lecteurs ! [Rires.] Je n’ai jamais été très fan de la littérature consensuelle, de la réalité consensuelle, même. Je ne suis pas sûr que ça existe vraiment, en fait. Les gens voient ce qu’ils veulent voir. Alors j’invente des personnages qui se rendent compte à un moment de leur existence que ce qu’ils voient n’a plus aucun rapport avec ce qu’ils voyaient avant. Ça les secoue un peu, forcément, ça les retourne... Et ils commencent à comprendre que les apparences sont trompeuses. Quant à l’exemple que vous donnez, le type qui prend du LSD, c’est un peu la même chose pour le personnage principal de la novella « L’Eternité et après » dans Aztechs. La pression augmente de plus en plus… Il est dans cette boîte de nuit, là, il observe, et tout se distord. Mais je crois que c’est très réaliste, comme description. Quand on est sous pression, la réalité s’altère, les ombres se fondent et on commence à voir les choses différemment.

C’est presque frustrant, parce que vous placez vos personnages dans des décors extraordinaires et vous vous concentrez exclusivement sur l’humain. Le décor disparaît complètement…

Non non, le décor a son importance. Ce n’est pas qu’un décor. Il détermine ce qui se passe. C’est lui le personnage principal de mes histoires et ça a toujours été le cas, dès mes premières nouvelles. C’est très important. Il reflète l’état d’esprit des protagonistes, d’accord, mais il influe également sur eux. Dans « L’Eternité et après », le décor, c’est une boîte de nuit. Pour moi, c’est une métaphore du cerveau. L’état d’esprit, tout ça… Je ne vois aucune différence — je n’y arrive pas — entre le personnage principal de la nouvelle et l’endroit dont il fait partie, à savoir l’Éternité. Et Moscou. C’est la créature de cet environnement. Tous mes textes fonctionnent de la même façon. Du moins c’est comme ça que je le conçois quand j’écris : c’est le décor qui fait le personnage, pas l’inverse.

On retrouve cette idée dans Viator, un livre encore plus récent. Ça se passe en Alaska, il y a une jungle, un bateau échoué, des gens qui vivent dessus pour le compte de quelqu’un qu’on ne voit jamais… Ils découpent peu à peu le navire et ils deviennent fous les uns après les autres. Là, c’est très clair, le décor a une influence. Et vous avez réécrit la fin, c’est vrai ?

Viator, à l’origine, c’était une blague. Je participais à une table ronde pendant une convention, aux Etats-Unis. Et je n’aimais pas beaucoup la fille qui l’animait. Jeff Vandermeer et moi, on a décidé d’inventer un faux auteur, avec un nom imprononçable, un type dont on tenait absolument à parler… Alors on a inventé les livres qu’il avait écrits, et l’un d’entre eux, c’était Viator… Je me suis dit : pas mal, comme idée… Et j’ai fini par écrire le livre. Ok, c’était une blague, mais au final, j’y ai développé ma capacité à faire des phrases très longues. Je me suis dit que c’était l’occasion ou jamais de lâcher la bride à cette tendance. Faire des phrases qui s’étireraient sur plusieurs pages, vous voyez le genre…

Un vrai cauchemar pour Jean-Daniel Brèque, s’il se décide à le traduire…

Oui, c’est clair… J’avais envie de voir jusqu’où ça me mènerait. Et puis l’histoire a fini par me fasciner. Cette lente transformation du paysage en rivage d’acier… Je ne savais vraiment pas où j’allais, parce que j’étais très malade, à ce moment-là. Les huit premiers chapitres correspondaient à peu près à ce que je voulais faire au départ, mais les derniers, non, ça n’allait plus. Quelque temps après, je me sentais un petit peu mieux, et j’ai décidé de les réécrire. Aujourd’hui, je crois que ça ressemble à ce que ça aurait dû être. C’est difficile d’en être certain, mais disons que c’est assez proche, quand même. L’histoire est vraiment bizarre, je ne veux pas trop déflorer l’intrigue, mais l’idée d’un glissement de réalité d’origine bactériologique qui débouche sur une nouvelle réalité, ça m’intéressait vraiment.

On y décèle des petites touches conradiennes. Ça ressemble presque à Beckett, En attendant Godot. Avec cette attente, cette angoisse, cette absurdité existentielle… On pourrait également citer Buzzatti. Vous confirmez ?

Oh, j’ai lu Conrad et Beckett, mais je n’en sais rien. Conrad a clairement une influence sur tout ce que j’écris, mais Beckett, non, pas particulièrement. Quant à Buzzatti, je n’ai jamais rien lu de lui, donc, non. Moi, je voulais juste faire un livre avec des phrases très longues et très belles, à tel point que je me perdais en cours de route. Il me fallait parfois une journée entière pour écrire une seule page. C’est un processus beaucoup plus lent. Je dois vraiment m’assurer que tout ça a un sens. Un minimum, au moins. Ça doit rester lisible, quand même. Il faut une certaine patience pour lire Viator, un peu comme avec Finnegan’s Wake… Mais bon, pour revenir à l’influence, je ne sais pas… Les gens adorent poser cette question. Je ne crois pas qu’un seul écrivain sache exactement qui l’influence ou pas… Oh, on en trouve plein pour vous dire qu’Hemingway les influence beaucoup, Camus, tout ça… Mais moi, je crois qu’on est plus influencé par les Comics, par les journaux… Peut-être qu’on pique des trucs à certains écrivains, mais la véritable inspiration, la véritable influence, c’est la vie, c’est l’expérience.

Un petit détour par Lousiana Breakdown… Même si ce n’est pas votre livre le plus récent, ça l’est pour nous autres français.

Oui. J’ai passé beaucoup de temps en Louisiane, avant Katrina. Et j’ai toujours été fasciné par l’omniprésence du religieux à la Nouvelle Orléans. Il y a des dieux partout. Toutes ces églises… On voue un culte différent à chaque coin de rue. Il y a des centaines et des centaines de dieux. Afrique, Vaudou… J’avais envie de raconter une histoire sur le sujet. L’influence religieuse… Et je voulais l’écrire dans le dialecte local. Il m’a fallu beaucoup de temps pour écrire les huit premières pages, pour trouver le bon ton. Mais finalement, j’y suis arrivé. Les dialogues s’enchaînent, la langue fonctionne. Quant à l’histoire, elle est assez simple, en fait. C’est comme une loterie. Au début, je ne m’en rendais pas compte. Mais bon, je me plais à croire qu’on y retrouve la saveur de la Nouvelle Orléans et de la Louisiane en général. En tout cas, c’était mon intention.

Et question actualités américaines, deux livres paraissent en même temps… Roman et essai…

Softspoken est le premier roman que j’écris en adoptant le point de vue d’une femme. C’est un roman qui traite essentiellement d’un mariage raté. Le personnage principal — Sanie Bullard — est une jeune femme au foyer. Son mari est avocat et ils vivent tous les deux en Caroline du Nord. Un jour, ils décident de s’installer dans la vieille propriété familiale du mari, une ancienne plantation à moitié abandonnée, dans un coin perdu de la Caroline du Sud. Une région beaucoup plus primitive et encore très rurale. Sanie est très malheureuse dans sa vie de couple. Quant à Jackson, son mari, c’est un taré qui a du mal à se contrôler. Sanie n’en avait pas vraiment conscience jusque-là. Elle s’en doutait, bien sûr, mais là, elle pige vraiment tout ce que ça implique… Certains événements se produisent dans la maison… Et Sanie commence à entendre des voix, des voix qui lui parlent à elle. Sanie, Sanie, viens me rendre visite, Sanie, Sanie… Vous voyez le genre. Tout ça est très bizarre et ça l’inquiète pas mal. Le frère de son mari habite lui aussi dans la maison. C’est un type qui prend régulièrement du peyotl et dont le cerveau est totalement cramé. Sa copine pense qu’il est en connexion directe avec l’univers, mais bon… Lui, il est juste ravagé. Un soir, Sanie décide d’essayer elle aussi le peyotl… Que dire de plus ? [Rires.] Bref, elle découvre des choses en rapport avec la maison…

Encore un léger décochement dans la réalité ?

Oui ! [Rires.]

Sinon, mon essai s’appelle Christmas in Honduras. J’ai entendu parler de Lee Christmas en 1976, quand je suis allé au Honduras pour la première fois. Cet homme a vraiment existé. Juste avant de partir, j’avais lu tout un article à son sujet. C’était un soldat de fortune, un mercenaire, vers la fin du XIXe siècle. Il travaillait à la Nouvelle Orléans comme conducteur de train, et il a bousillé tout un convoi. Incapable de retrouver du boulot après la catastrophe, il a tout quitté pour le Honduras, où il a fait le même travail pour le compte de la United Fruit Company qui possédait le réseau ferré, à l’époque. Une révolution éclate. Les révolutionnaires attaquent son train et envisagent de l’exécuter. Mais lui, il leur montre comment blinder les wagons avec des morceaux de métal abandonnés le long des voies. Une semaine plus tard, les insurgés contrôlent toute la côte Nord du Honduras. Et lui, ils en font un général. Finalement, il passe un accord avec la United Fruit Company, il fait venir son copain Machine-Gun Malloney, un ancien policier de la Nouvelle Orléans, expert en fusils mitrailleurs. Et ensemble, ils deviennent les tueurs à gages de la UFC… Ils renversent les gouvernements qui déplaisent à leurs patrons et qui refusent d’appliquer leurs directives économiques… En fait, ces deux-là, c’est un peu Butch Cassidy et le Kid, mais en méchants. Une histoire vraiment fascinante. Et dans mon livre, j’essaie de compiler les histoires de ceux qui souffrent de la même maladie que Lee Christmas, ceux qui voient l’Amérique Latine comme leur chasse gardée, leur arrière-cour… Quantité d’Américains pensent comme ça, à des degrés divers… C’est fascinant, cette attitude américaine envers l’Amérique Latine, c’est un peu nos Balkans à nous… Une vraie prédisposition psychologique…

Dans deux nouvelles, « On the Border » et « Aztechs », vous mettez en scène une frontière laser qui sépare le Mexique des USA. Et aujourd’hui, le Congrès américain vient d’autoriser la construction d’un mur le long de la frontière…

Oui, c’est très logique. Ça devait arriver. Vu la mentalité politique américaine, c’était une simple question de temps. Ça me rend malade. D’autant que c’est absurde. Ça n’empêchera pas les clandestins de passer. Mais les politiciens estiment que si le mur est suffisamment gros et suffisamment élevé, les immigrants vont cesser de venir comme par enchantement. [Rires.] Que vous dire de plus ? Que dire sur ce que ça implique ? Je savais que ça arriverait un jour. C’est l’un des rares exemples où je donne dans le visionnaire… C’est agréable, pour une fois… [Rires.]

On vous qualifie d’auteur culte, ça vous convient ?

Je préférerais ne PAS être un auteur culte ! [Rires.] Je gagnerais beaucoup plus d’argent et je n’aurais pas de problèmes pour payer mes soins médicaux, mais bon, j’espère que ça va changer… Mais si rien ne bouge, eh bien c’est comme ça… Peut-être que j’aurais pu mener un peu mieux ma barque ; écrire plus de livres, des bouquins que les gens avaient envie de lire… Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Par paresse ou perversité, je ne sais pas. Mais ça va, je me sens plutôt en accord avec moi-même. Là, je travaille sur un très gros livre. Mon agent est très content. On verra.

Propos recueillis et traduits par Patrick Imbert.
Avec un grand merci à Jean-Daniel Brèque.
Photos DR Patrick Imbert

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