Rétrocipation : Février 1960

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Suite à la rupture accidentelle du couloir spatio-temporel qui relie le blog Bifrost d'aujourd'hui au Bulletin d'Information des Amateurs d'Anticipation et de Terreur de Conflans-la-Haute du début des années 60, nous n'avons pas été en mesure de vous présenter, le mois dernier, votre rubrique Rétrocipation et nous nous excusons de cet incident technique indépendant de notre volonté. A présent que la liaison a été rétablie, découvrez avec quelques semaines de retard (ou quelques décennies, selon le point de vue), le tour d'horizon des parutions et des sorties en salle de février 1960 : ce qu'il faut lire et voir, ce qu'il faut éviter à tout prix, par notre reporter de l'impossible en direct du passé, Albert Ledou.

Une

Nouveau venu (1)

Il faut se faire une raison : le « Rayon Fantastique » n'est plus ce qu'il fut. Cette collection prestigieuse qui a introduit aux lecteurs français les plus grands écrivains de science-fiction américains n'est plus que l'ombre d'elle-même. Il est symptomatique de constater que depuis plus d'un an aucun auteur étranger n'y a été publié. Et parmi les œuvres parues, hormis les romans de Daniel Drode et Charles Henneberg, la plupart d'entre elles auraient tout aussi bien pu trouver leur place dans la collection « Anticipation » du Fleuve Noir. Non parce qu'ils sont mauvais, pas tous en tous cas, mais parce qu'il s'agit de récits où l'accent est mis sur l'aventure et l'action, au détriment de la réflexion ou de la vulgarisation scientifique.

Prenons le cas de Aux Etoiles du destin, premier roman signé Albert HigonNote du rédac-chef :... et l'un des rares signés sous ce nom puisque, par la suite, Albert Higon publiera sous son véritable nom : Michel Jeury.. Il s'agit d'un space-opera standard, dans lequel un brave Français est entrainé dans une histoire extravagante qui va l'amener à l'autre bout de l'univers où il va rencontrer une civilisation extraterrestre et affronter une menace cosmique. Le livre souffre de quelques défauts, probablement dus à l'inexpérience de son auteur. Celui-ci a su imaginer une forme de vie assez originale et singulière, mais l'intérêt d'une telle création est dilué au sein d'un récit où alternent péripéties classiques et longues descriptions des mœurs d'une société étrangère.

Malgré tout, puisqu'il s'agit après tout d'un premier roman, il convient d'insister davantage sur les éléments positifs qu'il contient. Monsieur Higon signe ici un honnête roman d'aventure spatiale, assez distrayant, et l'on suivra avec attention ses prochaines œuvres. Ce n'est sans doute pas le genre de roman que j'espérais lire au « Rayon Fantastique » il y a encore deux ans, mais après tout, je me vois mal leur reprocher de favoriser désormais les romanciers français, et les jeunes auteurs en particulier, surtout lorsque le résultat constitue somme toute une lecture agréable et prometteuse.

Nouveau venu (2)

Après Maurice Limat l'an dernier, c'est au tour de Peter Randa de faire ses premiers pas dans la collection « Anticipation ». Précisons toutefois que Monsieur Randa n'a rien d'un débutant, puisqu'il a déjà été publié dans les collections « Angoisse » ou « Spécial-Police » du Fleuve Noir. « Survie » est un roman d'aventures plaisant, plutôt bien construit, sinon original. Son aspect le plus intéressant est certainement son écriture, plus proche de celle du roman policier contemporain que de la science-fiction : narration au présent, utilisation de termes argotiques, voilà qui tranche par rapport aux habitudes stylistiques que l'on rencontre le plus souvent dans la collection. Le récit y gagne certainement en dynamisme.

L'histoire est celle de deux condamnés à mort à qui le gouvernement décide d'offrir une seconde chance en les envoyant sur Vénus, où ils devront survivre à un environnement difficile et aux manigances d'un personnage aussi brillant que sournois. Pour Monsieur Randa, la conquête de l'espace s'apparente nécessairement à une lutte permanente, à l'instar des conquistadores de jadis, contre un inconnu par nature hostile, et doit être confiée à des baroudeurs de l'espace plutôt qu'à des savants ou des diplomates. On n'est pas obligé de souscrire à ce point de vue, il n'en reste pas moins que « Survie » est un roman d'action réussi, et que l'on ne peut que se féliciter de voir cet auteur rejoindre la collection.

Max-André Rayjean 
Le Péril des hommes
(Anticipation n°151)

L'autre parution du mois, quoique moins réussie, n'est pas dénuée d'intérêt pour autant. Monsieur Rayjean s'y intéresse à un avenir dans lequel naissent de plus en plus de garçons et de moins en moins de fillesNote du rédac'chef :Une intrigue qui n'est pas sans rappeler celle de « Lune de miel en enfer » de Fredric Brown, paru en 1958, mais dont la traduction n'arrivera en France que'en 1964.. A terme, cela risque de poser de graves problèmes à l'humanité. Une expérience à grande échelle est donc tentée afin d'y remédier, sans succès, et bientôt plus aucun enfant de sexe féminin ne nait.

C'est alors que Max-André Rayjean fait dévier son roman vers tout autre chose : un petit groupe de scientifiques chargé d'étudier la situation est « kidnappé » par des extraterrestres qui les conduisent sur leur planète d'origine. Les créatures en question trouvent les humains plus beaux qu'eux et souhaitent prendre leur apparence ! Après diverses mésaventures plus ou moins intéressantes, le romancier parvient in extremis à relier cette histoire à son propos de départ, soulevant par la même occasion quelques questions intéressantes (sans tout révéler, disons que la solution au problème des naissances viendra des extraterrestres, que l'on découvre capables de se transformer en femmes et de tomber enceinte). Malgré tout, Le Péril des hommes souffre d'une construction particulièrement maladroite, et n'aborde son véritable sujet que de manière très superficielle. Un roman plus frustrant que convaincant.

Ex-agent SR 27
Ici Base Spatiale 15
(Espions de Demain n°121)

Il semble désormais évident que la France compte une collection de science-fiction supplémentaire. Après Pagaille au Pentagone le mois dernier, les éditions de l'Arabesque publient un nouveau roman signé Ex-Agent SR 27, en couverture duquel apparait la mention « Espions de Demain ». Tant mieux, mais souhaitons qu'elle propose rapidement d'autres auteurs que celui-ci, tant il ne fait pas montre d'un grand talent littéraire.

Ici Base Spatiale 15 se situe à la fin du XXème siècle, alors que dans l'espace divers incidents ont fait monter la tension entre Russie et Amérique. Coincée entre ces deux blocs, une poignée d'Européens va tenter d'intervenir discrètement pour empêcher l'escalade vers une nouvelle guerre mondiale.

Par certains points, ce roman rappelle les premières œuvres de Jean-Gaston Vandel, en particulier Les Chevaliers de l'espace . Mais le texte de cet Ex-agent SR 27 s'éparpille entre de trop nombreux protagonistes, de multiples manigances dont on oublie très vite l'objet, des rebondissements peu vraisemblables, et surtout une résolution bâclée et pas du tout convaincante.

Arthur C. Clarke
Demain Moisson d'Etoiles
(Présence du Futur n°36)

Le Rayon Fantastique nous avait autrefois permis de découvrir Arthur C. Clarke avec Les Enfants d'Icare, c'est au tour de la collection Présence du Futur de le publier avec ce recueil de douze nouvelles, toutes inédites à ma connaissance. Pour qui connait un peu l'auteur, l'on sait qu'il est l'un de ceux qui accordent une place toute particulière à l'exactitude scientifique dans leurs récits. C'est certainement le cas ici, mais cela ne suffit malheureusement pas à en faire de bons textes littéraires.

Parfois, Monsieur Clarke écrit des textes tout à fait anodins et sans intérêts : « Le Réveil  » et son futur déjà vu mille fois ou« L'Indigène est rétif » et ses gauches envahisseurs extraterrestres. Mais le plus souvent, ses nouvelles reposent sur une idée passionnante et originale. Hélas ! Plutôt que de développer l'idée en question, Monsieur Clarke se contente d'en aborder quelques aspects plus ou moins superficiels, avant de conclure son récit par une chute particulièrement malvenue. Parmi les exemples les plus marquants, citons « Les Feux intérieurs  », où l'auteur nous laisse entrevoir une découverte tout à fait fascinante au cœur de notre planète, avant de s'en débarrasser de la pire des manières, et surtout « Jupiter Cinq », où un principe semblable est appliqué cette fois à une échelle plus grande encore, mais que l'écrivain gâche en se focalisant sur les rivalités puériles entre les deux expéditions se trouvant sur place. La majorité des textes présents au sommaire fonctionnent sur le même principe, ou plutôt ils ne fonctionnent pas, et à l'arrivée nous laissent frustrés.

Peut-être la nouvelle n'est-elle pas la forme qui convient le mieux à Monsieur Clarke. Les hypothèses avec lesquelles il jongle méritent sans doute davantage d'espace pour être pleinement exploitées. Il est donc à souhaiter qu'il se tournera désormais davantage vers le roman, et qu'il y confirmera toutes les qualités que l'on ne peut que pressentir à la lecture de Demain moisson d'étoiles.

Fiction n°75

Le dernier numéro en date de Fiction propose comme toujours une sélection de qualité, mais aucune histoire ne se détache vraiment du lot. Hormis les courts textes de Robert Anton, J. Lincoln Paine et Pierre Versins, n'offrant guère d'intérêt, le seul raté est « Les Communicateurs » d'Edward S. Aarons. Il repose certes sur une idée intéressante, celle d'images subliminales transmises à la télévision et permettant d'influencer l'esprit des spectateurs, mais le récit est passablement confus.

Dans « Aux Produits martiens », Howard Fast, fidèle à son habitude, part d'une idée souvent utilisée en science-fiction qu'il va s'approprier pour y apporter son point de vue particulier. Il y réussit cette fois moins bien que d'habitude, son propos au final ne sortant pas vraiment des sentiers battus. Plus réussies sont « Les Marchands de sable » de J.T. McIntosh, étranges voyages successifs à travers des mondes plus ou moins familiers, et surtout «  Les Frontières de la nuit » de A. Bertram Chandler, contant les mésaventures d'un criminel qui pensait avoir échappé à ses poursuivants en se réfugiant sur une planète lointaine, et dont la vie va pourtant tourner au cauchemar. Le texte le plus intéressant du mois est sans doute « Retour aux origines » de Gérard Klein, court texte davantage surréaliste que relevant de la science-fiction, mais où l'auteur parvient à instiller une ambiance d'étrangeté très prenante.

Côté fantastique, la sélection est globalement de meilleure qualité, à commencer par «  La Vraie chose à faire » de Henry James, où de manière très subtile un homme et une femme installés dans la demeure d'un défunt ressentent de manière de plus en plus persistante la présence de ce dernier. Dans un registre similaire, Thomas Owen signe avec « Le Manteau bleu » un texte très réussi, histoire d'amitié à laquelle un terrible drame vient mettre un terme. Enfin, sur un ton plus léger, « Le Jardin du diable » de Robert Arthur conte les mésaventures d'un gentleman britannique persécuté par un fakir.

Satellite n°26

Dans le dernier numéro en date de Satellite, il est beaucoup question des relations entre humains et extraterrestres. Le traitement le plus convenu de cette question est celui de Scott Nichols dans « Solitude des étoiles », où la première rencontre se solde par un désastre. Plus distrayant est l' « Examen de passage » que Gordon R. Dickson fait passer à son héros afin de permettre à l'humanité de rejoindre la prestigieuse confédération galactique. Malgré les tricheries, la route promet d'être longue… Lorsque c'est un criminel qui croise le chemin d'extraterrestres bienveillants, celui-ci semble posséder toutes les cartes en main pour devenir, si l'on en croit Jack Williamson, « la plus heureuse créature  ». Mais l'on ne se refait pas, et le Paradis offert deviendra bien vite un enfer.

Le texte le plus réussi de cette fournée est sans doute « Les Gnassis » d'Irving Cox Jr. Cette fois l'humanité a failli disparaitre après un conflit contre les Gnassis en question et a du trouver refuge sous terre. Quatre siècles plus tard, elle craint que ses ennemis ne soient de retour pour terminer le travail. Irving Cox Jr. signe ici une nouvelle très intelligente, sur les préjugés et les haines ancestrales, qui s'achève sur un constat amer.

Si les auteurs américains réalisent globalement une très belle prestation, il n'en est pas de même des Français. Il faut dire que la plupart ne disposent que d'une poignée de pages pour s'exprimer, et que plus de la moitié d'entre eux sont des débutants. Seul Michel Demuth, dans la partie Hypothèses de la revue, a l'opportunité d'écrire un court roman, malheureusement « La Clé des étoiles » n'est pas une réussite. L'auteur y mêle plusieurs thèmes très différents : la Terre ravagée par une guerre atomique, un univers parallèle et le moyen de s'y rendre, une créature extraterrestre d'une nature fort différente de notre espèce. A travers un récit très rythmé, l'auteur tente de lier entre eux ces différents éléments, mais la sauce ne prend jamais tout à fait et le résultat ne convainc pas. Dommage, Monsieur Demuth est l'auteur de plusieurs forts bons textes, l'on espérait mieux de ce rendez-vous, mais gageons que ce n'est que partie remise.

Dans les Salles Obscures…

Depuis le temps que je vous en parlais, je suis enfin allé voir La Malédiction des Pharaons, nouvelle production de la Hammer Films signée Terence Fisher. J'en suis sorti un peu déçu. Pourtant les acteurs y sont fort bons, à commencer par Christopher Lee, impressionnant dans le rôle du tueur ressuscité, et Peter Cushing, convaincant dans celui de la victime. Le réalisateur se montre à la hauteur de sa réputation, et réussit quelques scènes assez terrifiantes, qui en ont fait sursauter plus d'un dans la salle où je me trouvais. Enfin le maquillage de la momie est particulièrement réussi.

Le seul défaut de ce film est son scénario, tout à fait banal dans son déroulement (les trois archéologues ayant découvert le tombeau d'une princesse égyptienne vont être l'un après l'autre victime de la momie) et ne laissant finalement que peu de place à l'horreur pour s'exprimer. Au lieu de quoi l'on assiste à une reconstitution sans grand intérêt des funérailles de la princesse en question, ou à l'enquête du policier chargé d'élucider ces crimes. On sort donc de la projection déçu, malgré de bons moments et d'indéniables qualités.

Dans un genre très différent, mon film préféré en ce début d'année est à mon avis La Souris qui rugissait de Jack Arnold. On connait ce dernier pour ses travaux sur d'excellents films tels queLe Météore de la nuit, L'Etrange créature du lac noir ou L'Homme qui rétrécit. On le retrouve ici aux commandes d'une comédie qui, sans être de la science-fiction, devrait pourtant intéresser nos lecteurs. Le duché du Grand Fenwick est un minuscule état européen, dont la seule ressource est l'exportation de son vin. Lorsqu'une société américaine décide de copier ce breuvage, le pays est au bord de la ruine. Son gouvernement décide alors de déclarer la guerre aux Etats-Unis afin que, une fois le duché vaincu, il bénéficie de l'aide américaine de reconstruction. Tout cela est d'une logique imparable. Le seul problème est que la douzaine d'hommes en armure envoyée sur le sol américain va, contre toute attente, remporter cette guerre dont les USA n'ont même pas conscience !

Sur ce point de départ aussi farfelu, Jack Arnold bâtit un film fort amusant, en tous cas dans sa première moitié. Par la suite, il semble tout aussi démuni que les habitants de Grand Fenwick, ne sachant quoi faire de cette victoire empoisonnée. Il peut toutefois s'appuyer jusqu'au bout sur le talent comique de Peter Sellers, jeune acteur que je découvre dans ce film où il tient plusieurs rôles, dans des registres fort différents, du premier ministre à la grande duchesse en passant par le héros victorieux des Américains. Une prestation épatante, qui ajoute encore au bien que l'on est en droit de penser de ce film fort amusant.

Les hasards de la programmation font qu'en ce début d'année est sorti dans les salles un autre film de Jack Arnold, Le Monstre des abîmes, malheureusement bien moins réussi que La Souris qui rugissait. Il s'agit d'une énième variation autour de l'histoire du Dr. Jekyll et M. Hyde. Cette fois, un scientifique s'inocule accidentellement un produit qui va le faire régresser de plusieurs millénaires dans la chaine de l'évolution et le transformer en homme des cavernes. Le scénario est prévisible, les trucages ratés donnent lieu à des scènes parfaitement ridicules (un berger allemand, pauvre animal, se voit affublé de longues canines pour donner l'impression qu'il a régressé à l'état sauvage), et Jack Arnold semble s'être désintéressé tout à fait du tournage, laissant tourner sa caméra tandis qu'il allait chercher quelque réconfort au bar du coin. On le comprend, Le Monstre des abîmes est certainement son plus mauvais film.

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